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par Lazley le 17 août 2010
Paru en mars 1977 (Elektra / East West)
Argh ! C’est donc à moua qu’il échoit la dure tâche de causer de Television aux webspectateurs... Si la cause ne manque pas de panache, elle peut correspondre parfois à quelque chose comme un billet direct pour l’échafaud. Bon... Voyons voir...
Avant toute chose, petit décrassage temporel. 1977 : "année punk" (bon, d’accord, c’est l’immonde Rumours de Fleetwood Mac qui se vend le mieux, mais quand même, Johnny Rotten, hein ???), "coup de pied dans la fourmilière", "gifle aux dinosaures du rock", "résurrection de l’énergie des pionniers"... Ça vous dit quelque chose, isn’t it ? Bien sûr que OUI ! Tous ces glorieux qualificatifs attribués à la plus "grosse escroquerie rock’n’roll" (c’est pas moi qui le dit, c’est Malcolm McLaren !) continuent de polluer les célébrations en tous genres, et de bâtir totem sur totem au décorum millésimé 1977, que l’on peut résumer ainsi : riffs baltringues et graisseux, nouvelle hiérarchie piercée (dans l’ordre de la Pyramide No Future : Damned et Sex Pistols au pinacle, Ramones et Clash au balcon, et la piétaille Heartbreakers/Stiff Little Fingers/Generation X/Wire balayant le sol cradingue), et ce foutu look, poncif redondant au possible (perfecto, levi’s ruinés, T-shirts Richard Hell, délires Westwood... On te clone Sid Vicious comme aujourd’hui Doherty).
Aaaaah, et puis j’oublie la prétendue grrrrande et sainte légitimité du ponque (comme on le dit par chez nous) : l’absence voulue de solos, "bordel mais tu rigoles ? Le solo, mec, c’est un coup monté de ces porcs de groupes pachydermiques gavés de fric et de coke ! Tu vois pas qu’ils te ramollissent avec leur super technicité à deux balles ? Nous, on est purs, on est droits mec !"
Pas vraiment de quoi s’extasier, en somme... "Mais", me direz-vous d’un ton soudain altéré par les trémolos "y’en a pas un ou deux qui valaient le coup dans le tas ?"
C’est là que ça devient intéressant. Oui, il y eut bien de véritables chefs-d’oeuvre au cours de cette ère, quelques authentiques joyaux qui faillirent disparaître, noyés sous le tas de mornes cailloux produits par l’époque. Trois groupes sortiront de l’impasse créative punk, obsédée par les plans chuckberryens : The Jam (incroyable combo transcendant l’héritage mod pour en faire une arme imparable), Richard Hell et ses Voidoids (bien plus nihiliste que les braillards avinés type Rotten, l’homme égala rien moins que la prose assassine de Lou Reed - qui lui fut responsable en 1976 du seul vrai album "fucked up" de l’époque avec les 45 minutes de feedback apoplexique de Metal Machine Music), et donc Television.
Television... Nom étrange, évoquant cruauté (les braillements cathodiques du petit écran) autant qu’espoir (les intermittences télévisuelles enjouées), parlant à coup sûr d’actuel, mais rappelant cette intemporalité que nous, tripatouilleurs de rêve, avons placé dans l’objet cubique. Alors, si tel patronyme ne prédestine rien de sûr, on y sent déjà comme une odeur urbaine, contemporaine, aiguisée, à la fois vivace et traîtresse... Un fort parfum new-yorkais, en clair...
New York qui, en 1977, vrombit au rythme du CBGB, club branché qui accueille Ramones comme Patti Smith. La Dame, intronisée depuis Horses sacro-sainte matrice du nouvel underground local, flirte avec tout ce que le coin compte d’authentiques allumés. Produite par John Cale, elle copine avec Todd Rundgren (LE créateur glam !) sur son démentiel A Wizard, A True Star, et sympathise avec Thomas Miller, leader et fondateur de Television, le rebaptisant Tom Verlaine (héritage culturel européen oblige... quoique bien mieux maîtrisé que par les punks d’outre-Manche, jarrets de porc trop occupés à vomir leur bière sur les têtes compatissantes de leur public, le tout sans la moindre once de chanson à l’horizon... navrant).
Balancé en 1973 par Verlaine et Richard Hell à la basse, puis rapidement rejoint par le gratteux Richard Lloyd, ce combo d’intellectuels psychotiques avait déjà fait paraître en 1975 Little Johnny Jewel, 45 tours préfigurant les prochains agissements du groupe : arpèges déformés, riffs suintant la nuit new-yorkaise, basse chaotique, batterie jazzy, lyrics brumeux...
Le tout servi par un line-up d’anthologie : un inquiétant sadique en Jazzmaster, chanteur au regard cendré et habité (Verlaine, donc), un tueur/human riff au toucher voyou (Richard Lloyd), un mercenaire subreptice au faciès dylanien (chose batteur), et Hell, bientôt parti fonder les Voidoids (fatigué des brimades de Verlaine du type "putain, Richard, tu voudrais pas juste jouer un peu avant de te vautrer sur le public pendant une plombe ?)" en 1976, remplacé par Fred Smith (AUCUN RAPPORT AVEC LE GUITARISTE DEFUNT DU MC5 !!!), as de la Rickenbacker aux thèmes bigarrés.
Reprenant le fardeau du groupe obscur, méconnus et émoussés par le départ de Hell, les gaillards repartent en guerre, et fourbissent dans les bars et clubs de NYC un set s’affûtant de soir en soir. Jusqu’à leur entrée en studio, milieu 77, où Television se lance à corps perdu dans ce qui va donner naissance à l’un des plus aventureux effort à guitares de l’histoire rock’n’roll : Marquee Moon.
C’est maintenant qu’on arrête de rigoler, les enfants. À l’heure où j’écris ce truc, fourmillent toujours plus de rassemblements de crétins congénitaux arborant T-shirts Pistols, gribouillis London Calling, et frottant mollement deux pauvres accords les uns contre les autres, tendant plus vers la branlette revivaliste que la partouze ultra-violente prétendûment inaugurée par 1977. À cause des râbachages chuckberryens d’albums ratés comme Nevermind The Bollocks ou le premier Clash (au moins, Count Five et les autres morveux garage des sixties savaient poser leurs riffs primaires avec classe et aplomb !), on se retrouve envahis par des galettes qui n’ont de "punk" que l’appellation, réduisant cette mentalité pathétique et déjà contrôlée à l’époque par des escrocs (Rotten) ou des sympathiques suiveurs (Strummer -quoi, le son des Clash ? Quel son des Clash ? Cette arnaque ska-reggae-roots chouravée à Dr. Feelgood, aux Specials et à Marley ?) à un tas de clichés répugnants.
Rien de tout cela ne peut se rapporter à Television. Partis explorer des coins du continent musical abandonnés des rockers (à savoir les oeuvres de John Coltrane), la paire Lloyd/Verlaine fomente ce qui va devenir sa marque de fabrique : une texture mélangeant beauté sardonique, soudaines dissonances, entrelacs et copulations féroces entre le jeu reptilien de Verlaine et les bourdonnements racés de la guitare de Lloyd.
L’incarnation la plus frappante demeurant bien sûr la chanson-titre Marquee Moon. 10 minutes 40 secondes de folie sonique pantelante, et mélodieuse comme une pluie d’acide grignotant les buildings de la ville qui ne risque pas de s’endormir avec pareil traitement...
Mais reprenons, si vous ne vous êtes toujours pas lassés, à la phénoménale entrée en matière que constitue See No Evil. Expression en moins de 4 minutes du rêve fait par Verlloyd lors de longues séances d’écoute du 19th Nervous Breakdown stonien, Psychotic Reaction, des travaux d’Arthur Lee et des Byrds : une CHANSON (mais si, vous savez, ce truc dépassé, tellement moins hip que le bordel inommable de tous les Johnny Thunders du monde) au harnachement "verse zigzaguant/ chorus multivocal", ébouillantée par la sorcellerie complémentaire bâtarde des deux escrimeurs et scellée par un solo rictus de Lloyd (oui oui, ce groupe envoyait aussi chier le travail à la chaîne "rythmiste qui mouline pendant que le soliste s’amuse").
Et on n’a même pas encore abordé le cas de Friction, c’est dire... Si je vous dis : "charley vicelard, 4-cordes subreptico-lascive, prisme de guitares conjuguant riffs syncopés, jets de ronces tordues, choeurs lancés à la cantonade comme vous mettriez un gauche à quelque interlocuteur abruti - j’éventre, tu pilonnes, il gronde, nous décollons, vous rêvez, ils s’interrogent- textes chloridriques ("my eyes are like telescope", déclamé par cette voix-rasoir de possédé à faire fuir les cold-waveux, et ce "F-R-I-C-T-I-O-N" !!!)..."
Vous me répondez "Strokes sous méthodrone ? Bowie humanisé ? MC5 new-yorkais ? Sonic Youth avec des mélodies ?"
Et vous auriez presque raison, si Television n’était pas le représentant unique de leur propre genre, à la croisée du rock sévèrement riffé, des impros jazzy et du songwriting loureedien...
Il vous faut encore des preuves, je vous connais.
Prenons donc Venus.
Rien que le titre (ce truc...) dénote de ce sens de la formule qui fera toujours défaut à 90% de la scène de l’époque (merde, ça sonne quand même mieux que Anarchy In The U.K ou White Riot !). Quant au contenu... Versant pop oldschool de Television, arpèges irrévérencieux, "tombant dans les bras de la Venus de Milo" (avec une pointe d’ironie assassine en bonus !), solo de citadin comatant dans les toxines de la nuit "made in NY", ça vous change du rot-plein-de-bière du Pourri, isn’t it ?
La seconde face de Marquee Moon reprend, après l’envolée humainement indescriptible du morceau-titre, le chemin un rien titubant de Venus. Elevation ricane dans son coin, Guiding Light berce puis vous jette hors du landau, Prove It se la donne bossa-nova au cran d’arrêt...
Et Torn Curtain vous balance au visage un Television se dandinant, achevant le bazar par du soli poussière d’étoile, et un ton faussement larmoyant, sourire acrylique de l’au-revoir Verlloydien.
Égout, arpèges, fantasmes et ruelles réunies dans un chef-d’oeuvre au titre stellaire. Cette lune-là ne craint pas l’éclipse...
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