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mercredi 15 avril 2015
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par Le Daim le 20 mars 2007
paru le 20 novembre 2006 (Echo Productions)
Nous vivons une époque troublée où l’on confond non sans arrière-pensée mercantile artiste et vache à lait, amateur de musique et consommateur hydrocéphale. Une époque insolente où nous est démontré en prime-time que le vedettariat s’achète en kit et s’assemble comme un duplo. Face aux grandes maisons de disque alignant sur la table assez de biftons pour s’assurer le monopole absolu de la diffusion, de la distribution et de la médiatisation, la grande majorité des labels non-multinationalisés doit se contenter de miettes et compter sur un public averti mais minoritaire pour survivre. Ne nous méprenons pas cependant, l’univers de l’indé est aussi une sorte de business, et son public une cible. Le discours inverse, souvent tenu par les uns et les autres, faisant tout autant figure d’argument commercial. La néanmoins fort sympathique communauté des djeunz à dreadlocks et baggy kaki n’étant dans le fond pas si différente que celle des minettes permanentées à la Beyoncé [1]. Nonobstant, si vous êtes du genre à en avoir jusque là d’être manipulé et gavé, si vous commencez à douter que le rock en France se limite à Kyo, Calogero ou... Naast (héhé), si votre médecin vient de vous prescrire une cure à base de nouveauté alors cette compilation qui tombe donc à point nommé est faite pour vous. Pascal Nègre n’est bien entendu pas à l’origine du projet. C’est en fait Mike D’Inca du groupe Sinsemilia qui a produit Pas Vu À La TV, fêtant du coup comme il se doit la naissance de son label Echo à qui nous souhaitons longue vie.
En fait de compilation, il s’agirait plutôt d’un coffret dont la boîte comporte pas moins de quatre galettes pleines jusqu’à la gueule de soixante-dix titres interprétés par autant d’artistes différents... Dans l’ordre alphabétique (les chochottes qui n’aiment pas les douches écossaises repasseront) ! Connaissez-vous, au hasard, Parabellum, Watcha, Mass Hysteria, Jad Wio ou encore Little Bob ? Non ? Pourtant certains de ces groupes ont plusieurs décennies de carrière, des milliers de concerts et plusieurs albums à leur actif. Autant dire que ce sont des acteurs essentiels du paysage rock hexagonal. Vous ne les avez certainement jamais entendus à la radio et ne les verrez probablement jamais en train de faire les guignols à 20h30 dans votre boîte à cons. Étonnant, non ? D’où le titre de l’objet : Pas Vu À La TV. Un acte militant en faveur de tous les sans-papiers de l’alternatif, ceux qui ne mettront jamais les pieds aux Victoires de la Musette. Ou alors ils iront l’air coupable et ne résisteront pas à l’envie de tenir quelque discours sur la condition des intermittents ou la méchanceté de la grosse industrie, histoire de passer un peu moins pour des traîtres à la Cause.
Toutefois cet objet ne s’adresse pas qu’aux néophytes. L’amateur aura le plaisir d’y retrouver des sons connus mais aussi assurément d’en découvrir de nouveaux. J’en viens naturellement à la qualité des soixante-dix titres du coffret. Vous comprendrez qu’étant donné le vaste panorama musical parcouru toute tentative de critique au cas-par-cas serait vouée à l’échec, c’est-à-dire à la migraine du lecteur comme du chroniqueur. Car il y en a pour tous les goûts, du gros métal énervé au punk, du dub planant à la chanson mâtinée d’accordéon en passant par l’expérimental et autres métissages... Il faut également signaler l’excellence de nombre de textes des artistes représentés ; réalistes, poétiques, malsains, drôles, ils sont aussi souvent particulièrement engagés au point de faire passer les chansons de l’ami Renaud (référence absolue en la matière comme chacun sait) pour le générique de Candy. Certes, le mixage n’est pas toujours de premier ordre, et surtout tel auditeur contestera forcément la présence de tel groupe ou râlera sur l’absence de tel autre. D’ailleurs on est en droit de se demander sur quels critères les protagonistes de cette compilation ont été retenus car en réalité tout cela pourrait sentir le copinage, ce qui selon le point de vue entacherait ou non la démarche revendiquée par l’auteur. De plus on estimera nécessairement que tous les morceaux ne relèvent pas du génie voire que certains sont de pures daubes. C’est affaire de goût et ma foi il sera toujours possible de trier plus tard le bon du mauvais et de refaire sa propre compile tenant sur une seule galette ou dans l’i-trucbidule. Malgré tout on ne vous arnaque nullement sur la camelote ; collez ces disques dans votre lecteur et vous obtiendrez une sympathique radio indé. Une telle somme, une telle diversité mérite le coup d’oreille, et du coup d’oreille ou coup d’œil il n’y a qu’un pas que les auteurs de cette compilation souhaitent bien entendu que vous franchissiez. On ne saurait néanmoins que trop conseiller au lecteur de ne pas juger cette compilation comme une étude exhaustive de la production alternative actuelle : nombre d’excellents groupes non-représentés ici existent également. Il suffit de parcourir les colonnes de ce webzine pour s’en rendre compte et suivre tout aussi bien le lapin (rouge et) blanc.
Pas Vu À La TV, c’est un peu l’histoire de David contre Goliath, ou plutôt du pot de terre contre le pot de fer. On aimerait croire que nos gamins bouffeurs de Star Ac’ l’achèteront par curiosité, ou au moins le téléchargeront. Vain espoir. On ricanera d’ailleurs avec le designer de la pochette du coffret, parodiant non sans cynisme les innomables compiles de dance qui fleurissent dans les bacs des grandes surfaces à la place d’œuvres dignes d’intérêt. On y voit la silhouette d’un musicien brisant sa guitare contre un tube cathodique... A défaut de révéler à vos oreilles ébahies chacun des groupes représentés comme autant de prodiges, Pas Vu À La TV pourrait faire date dans l’histoire de la publication musicale française, un peu à l’instar de l’excellent coffret Nuggets, immortalisant avec plus ou moins de bonheur une époque, un mouvement dont on veut croire ici qu’il ne sera jamais totalement étouffé. Pour 20 euros TTC, c’est-à-dire beaucoup moins cher que le dernier Johnny, admettez que vous auriez tort de vous en priver.
[1] Là, je sens que je vais avoir des problèmes. Je ferais mieux de rentrer ma voiture...
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