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par Emmanuel Chirache le 13 septembre 2010
Paru en novembre 1999 (Immortal/Epic)
Voici l’un des disques les plus sous-estimés de l’histoire du metal. De façon arbitraire, il délimiterait la limite entre le "bon Korn", l’ancien, celui des nineties, et le "mauvais Korn", le nouveau, celui des années 2000. Que lui reprochent certains pinailleurs au juste ? trop froid ? trop peu novateur ? En réalité, on ne sait pas trop pourquoi ses contempteurs lui en veulent (cf. le formidable Robert Christgau qui s’est fait un devoir de torcher en trois lignes ses critiques de disque sur son site et ne prend même la peine ici de développer son opinion au-delà d’un logo en forme de bombe). Sur le site popmatters, un scribouillard considère que l’album n’est "pas assez énervé, pas assez lourd, pas assez sincère" ! Il trouve même le moyen d’entendre du hip-hop dans les chansons (what the fuck ?) et de prétendre que Falling Away From Me décalque note pour note Roots Bloody Roots de Sepultura. Il faut arrêter de les fumer, les bloody roots, hein les gars. Du côté du NME, on moque surtout les lyrics à balles deux signées Jonathan Davis et son mal de vivre un peu forcé. Ok, les gars, si vous voulez. N’empêche, on s’en cogne.
Pour les fans, le disque marquait pourtant le recentrage du groupe autour d’un metal sombre et intègre, loin des tentatives de fusion de Follow The Leader et du succès putassier de Limp Bizkit à la même époque. Du metal, rien que du metal, tout le metal. Du gros son et des chansons. Et finis les "poum-ta hum, ta poum, ta hmm - rapatapata" etc., maintenant on chante, monsieur. On livre un disque carré, cohérent, monolithique, homogène. La vérité, c’est que Korn joue ici en état de grâce, qu’on le veuille ou non. Certes, le groupe n’a plus la fraîcheur des débuts, cependant il continue d’exprimer sa volonté de puissance et de travailler au corps un son qui évolue doucement mais sûrement depuis le premier opus.
Chaque musicien donne avec Issues la pleine mesure de son talent. Aux guitares, Head et Munky continuent de trouver des idées fulgurantes dans la droite lignée du morceau Freak On A Leash, réalisant des arpèges suraigus et liquides, voire boueux (Beg For Me), durant les couplets et attaquant le refrain à partir de power chords très graves. Jamais sans doute le lien entre les deux ne sera chez Korn aussi fluide et complémentaire, chaque guitare à l’intérieur même d’un couplet étant par ailleurs également dépendante de l’autre. Pour densifier les notes éparses suspendues dans l’espace, rien de mieux que la section rythmique assurée par Fieldy et David Silveria. Ce dernier notamment signe quelques parties de batterie gigantesques, de Make Me Bad à Somebody Someone. Son utilisation des cymbales est particulièrement savoureuse puisqu’il étouffe très souvent le son de celles-ci, par exemple durant Falling Away From Me ou encore Let’s Get This Party Started, ce qui rend le son plus sec et tendu.
Surtout, Jonathan Davis n’a jamais aussi bien chanté, jamais il n’a montré autant de qualités dans le domaine, incarnant la musique de Korn à travers sa seule voix frêle. Partout sur Issues, il déchaîne le feu sacré, écrase la mélodie par son chant, qui surnage au milieu du chaos. Soudain, la voix de Davis devient la mélodie, remisant cette dernière au rayon des accessoires. Putain, le mec ne sent littéralement plus le sol sous ses pieds, il lévite, vocifère sans même y penser, laisse l’esprit vagabonder tandis que le corps s’exprime. Voilà pourquoi les pédants qui s’attardent sur les paroles ne saisissent que l’écume de Davis, au lieu de le percevoir tout entier dans les soubresauts et les hoquets de ses intonations vocales. Rarement un chanteur aura autant changé de registre en si peu de temps (prenez Somebody Someone, où il gueule avant de se calmer deux secondes plus tard) et donnera pourtant l’impression de faire bloc d’une chanson l’autre. Difficile de sortir un morceau en particulier, Jon le freak est immense sur chacun d’entre eux. C’est d’autant plus criant qu’après Issues, le pauvre garçon pètera un câble et pourrira ses refrains en les laissant traîner à la Duran Duran (genre "Sometimes I feel it chasing meeeeeeeeeee / All the hate that’s breaking freeeeeeeeeee"). Trop kitsch, sauf exceptions (dont le génial Untitled).
Pouvoir Pop Korn
envoyé par mrpim. - Plus de vidéos fun.
Pour faire sa promo, Korn bénéficie d’un épisode entier de South Park, la série presque aussi bien que les Simpsons (hahaha), où le groupe sert à parodier Scoobi-doo dans une histoire débile de fantôme, à la fin de laquelle il interprète son single Falling Away From Me. Si ça c’est pas le sommet de la gloire, je ne sais pas ce que c’est (encore que s’ils étaient passés chez les Simpsons, c’eût été nettement plus drôle et glorieux). En quelque sorte, Issues représente l’apogée d’une carrière, la maîtrise absolue d’un style, une démonstration de force totale et sans conditions. Un disque étonnant aussi, qui se permet des interludes entre les pistes qui, contrairement à toutes les tentatives du même genre généralement vaines au possible, s’avèrent ici souvent épatantes, que ce soit le cotonneux For U ou l’amusant I Wish You Could Be Me.
C’est aussi le dernier album de Korn qui réussisse à produire d’aussi bonnes chansons sans faille ou baisse de régime. Les disques suivants contiennent chacun de bons titres ou des moments grandioses mais manquent de constance. Mettons de côté Untitled, exploration d’autres territoires beaucoup moins chansonniers. A l’inverse, tout Issues conserve un niveau de qualité bluffant dès le fabuleux Falling Away From Me qui, comme tout classique de metal, n’est que rage maîtrisée. Puis c’est la curée, le festin ininterrompue d’efficacité indécente, l’orgie décadente de riffs gras : on voudrait dire du mal de Trash qu’on n’y arriverait pas, idem avec Beg For Me, Make Me Bad, Hey Daddy, Somebody Someone, No Way, Let’s Get This Party Started, Counting. Merde alors, pas grand chose à jeter. Ce serait enfin un crime de ne pas citer Dirty, vertigineuse montée en force, progression sur fonds de notes étranges, tremblement de décibels soudain, mer calme devenue orageuse. Quel jeanfoutre a dit que l’album n’était pas assez lourd et violent ?
Le 15 novembre 1999, Korn a joué Issues dans son intégralité à l’Apollo Theater d’Harlem. C’est le deuxième groupe blanc après Buddy Holly en 1957 à s’être produit dans cette enceinte mythique de la musique noire. Extrait :
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