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par Emmanuel Chirache le 30 novembre 2010
Paru en 1996 (Immortal/Epic)
Vous en connaissez beaucoup, vous, des disques qui commencent par un roquet en transe, qui aboie comme si un passant distrait lui écrasait la patte ? A n’en pas douter, Twist est l’une des meilleures introductions de l’histoire du rock, un truc bien barré, déstructuré, hystérique. Jonathan Davis n’est pas bien dans sa tête et il nous le dit, avec ses mots à lui. Une espèce d’écho violent à l’ironie du titre, Life Is Peachy, ou « la vie, c’est trop bien » en français, alors que de toute évidence, la vie selon Korn n’est pas si chouette que ça. La pochette, d’ailleurs, sombre et menaçante, n’est pas la gaieté incarnée, et l’auditeur se rend vite compte qu’elle annonce une déflagration sonore supérieure au premier essai du groupe. Le producteur Ross Robinson a en effet boosté les amplis et les musiciens ont poursuivi leurs tentatives pour débrider le metal.
Pour autant, Life Is Peachy n’est pas meilleur que l’album Korn, malgré un aspect expérimental qui n’est pas pour déplaire, perceptible dès le fameux Twist, assez peu orthodoxe. Car s’il s’agit d’une pièce essentielle de la discographie kornienne, le disque pâtit néanmoins par un manque de relief des compositions, qui peinent à se distinguer les unes des autres, la faute sans doute à une saturation de guitare trop similaire sur tous les morceaux. Le son des guitares est impressionnant, crade et hyper saturé, mais trop égal d’un bout à l’autre pour surprendre à la longue. Difficile par exemple de bien faire la différence entre le trio Chi, Lost et Swallow, groupe de chansons éminément réussies mais trop banales pour un groupe de la trempe de Korn, qui prouve ailleurs sur le disque qu’il peut faire beaucoup mieux. De la même manière, on peut regretter des titres un peu plats comme K@#Ø% ! et Ass Itch, aux lyrics peu inspirées.
Mais, nous l’avons dit, Korn tente ici des choses que d’autres n’ont pas l’audace d’essayer. Et quel plaisir d’écouter un groupe sans se dire "tiens, on dirait les Beatles" ou "ha, ça ressemble pas mal au Clash", ou bien "bah... c’est les Kinks ou quoi ?". Jonathan et sa bande, eux, travaillent un son et des riffs relativement uniques, en témoignent le refrain dément de Good God, au break final hyper violent (un des points forts de Korn), mais aussi le chef-d’œuvre Mr. Rogers, où la voix de Davis se transforme en voix au pluriel, duplication en stéréo des fantômes de gamin Jonathan qui revient hanter son double adulte pour lui rappeler qu’on lui a volé son enfance (« my childhood is gone »). Audace également de caser en single un titre aussi déconstruit que No Place To Hide, où la basse quasi jazzy de Fieldy répond aux guitares dissonantes de Munky et Head lors du refrain. Ceux qui ont pu, comme votre serviteur, voir à l’époque la performance du groupe à Nulle Part Ailleurs sur Canal + s’en souviennent encore. Un truc pareil était alors vraiment exceptionnel, une petite bombe, un grand moment de free-metal.
Nous sommes alors au cœur du disque, son sommet artistique depuis l’excellent Porno Creep, instrumental funky original pour Korn, jusqu’à Wicked et A.D.I.D.A.S., les deux derniers très bons morceaux de Life Is Peachy. Reprise d’Ice Cube, Wicked est un essai de fusion rap-metal pas trop mauvais, même si le morceau va provoquer des poussées d’urticaire chez les puristes, qui voient d’un mauvais œil l’évolution qui mènera aux accents hip hop de Follow The Leader. Juste après, Korn prouve qu’il peut aussi faire dans l’efficace avec l’autre single du disque, cet A.D.I.D.A.S. lubrique dans lequel Jon nous avoue ses penchants de sex-addict (« all day I dream about sex, yes... »), atroce dépendance qui a dû lui coûter cher en escort-girls. Avec sa tonalité orientale à la guitare, son refrain accrocheur et le potentiel commercial de la thématique (le sexe fait vendre les amis, tenez, si j’ajoute à l’article un truc comme "Teen anal Pov", hop j’augmente de 5000 le nombre de visites sur Inside Rock, c’est aussi simple que ça - et je fais beaucoup de déçus...), le titre s’est imposé depuis longtemps comme un essentiel du groupe, scandé par les fans en concert.
Pour conclure le répertoire, Korn finit par un peu de cornemuse (Low Rider, autre reprise) et surtout l’incontournable moment "drama queen" du disque, vous savez, quand Jonathan crie, pleure et s’arrache les cheveux dans la cabine de mixage, parce qu’il revit les instants les plus douloureux de son existence : l’obtention de son permis de conduire, la couture déchirée de son premier kilt, le F reçu en contrôle d’anglais au collège. Le morceau s’intitule sobrement Kill You et contient du bon et du moins bon. En fait, il représente le défaut majeur du disque, cette impression de bâclé ressenti à son écoute, le regret qu’il n’ait pas été davantage mûri. Ce qui sera aussi un peu le défaut de Follow The Leader, et à l’inverse le grand atout d’Issues, beaucoup plus travaillé et élaboré. Cet album restera donc une tentative un peu inachevée d’expérimenter de nouvelles choses tout en maintenant le cap inventé à l’origine, une façon dissonante et novatrice de concevoir le metal, accouplée à une rythmique puissante. En réalité, Life Is Peachy s’impose comme l’œuvre majeure du batteur David Silveria et du bassiste Fieldy, ici au meilleur de leur forme.
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