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mercredi 15 avril 2015
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par Yuri-G le 22 juillet 2008
paru le 3 juin 2008 (Matador/Beggars/Naïve)
Un doute a plané au-dessus de nos têtes. Il fallait poser la question : quel est le dernier disque qui vous a bouleversé ? À coup sûr, l’interlocuteur répondait : "oh.. eh bien, sûrement cet album de John Cale... celui très dépouillé, on croirait un testament..." ou "j’ai découvert Marvin Gaye, incroyable, ça me donnerait presque envie de pacifier le monde" ou "Rush, ouais carrément Rush, je peux pas écouter autre chose c’est increvable ce truc attends". Ça se confirmait. "Et cette année ? Quelque chose d’aujourd’hui ?" Peut-être un Radiohead du bout des lèvres. Ah, d’accord. Rien d’émergeant. C’était donc une certitude. Des groupes accumulés, une fièvre entretenue, mais et l’émotion dans notre époque ? Pas la petite mélancolie aigrelette, s’entend. La tornade, le vertige, le dérèglement de nos existences. Silence. Arcade Fire ? Une belle exception. Sinon le règne de la danse, frottement, transpiré, ivresse, pour un soir.
Okay, mais rien n’est certain. Quelle présomption de l’être, d’ailleurs. Il y a plein d’entorses. Comme ce disque, Rook. On pourrait le qualifier de coup d’éclat, mais son prédécesseur, Palo Santo, avait déjà préparé le terrain. C’était du folk pour ainsi dire, oui, mais du folk en lambeaux, brisé en mélodies sauvages comme douces. Les deux étaient possibles car cet album, à l’image des derniers Talk Talk (analogie qu’on ne cesse de constater), créait sa propre respiration. Piano et guitare tour à tour impétueux puis murmurant, accompagnés dans leurs dérives par la voix peu oubliable de Jonathan Meiburg. Le terme folk était purement générique en fait. C’était un peu autre chose, sur plus de la moitié des titres. En tout cas, Palo Santo avait marqué. Et deux ans plus tard, ce successeur au nom d’oiseau, Rook (ça veut dire "freux", un genre de corbeau apparemment mais je n’en sais pas plus, oh si ce n’est que sa taille est de 47 cm, son envergure de 81 à 94 cm et son poids de 380 à 520 g). Rien de très étonnant à cet intitulé ; la pochette dévoile une silhouette inquiétante, les bras stoppés dans un mouvement vers le ciel car ployant sous les "freux", le corps entier servant de perchoir, et le visage masqué dans sa totalité par cette affreuse menace. Tout ceci peut être expliqué par le fait que Meiburg est un ornithologue diplômé, en plus d’un songwriter incroyable. Et ce quelque chose de christique et d’hitchcockien sur cette belle pochette, immédiatement nous interpelle.
Shearwater comble et même surpasse les espérances placées en eux. Rook est riche, beau, précis. Il y a les arrangements dont le groupe rêvait depuis deux ans et qu’il n’avait pas les moyens de s’offrir, une enveloppe harmonique de piano, de guitare, de violon, de bois et de cuivres qui s’emporte, marque le calme, où un instrument se place dans la lumière puis s’efface. Un souffle, exactement. Gothique, romantique, à la fois sophistiqué et élémentaire (les textes sont imprégnés de pureté naturaliste). C’est un choc. Bien simple, les mélodies vous empoignent. Avec méticulosité et violence. Le groupe ne cherche pas à paumer dans un dédale orchestral, aux émotions aussi courtes que les idées foisonnent. Il ne cherche pas à se situer dans une quelconque démarche. Leur musique est très limpide et elle déborde de ferveur. Aussi bien dans le peu (un filet de piano et le chant suffisent) que dans le beaucoup (Home Life, richement écrite et interprétée). Ce sont des chansons bouleversantes. Aussi simple que ça.
Comme la voix de Meiburg. Elle pourrait nous tuer. En falsetto à la douceur toute féminine puis en étranglement rageur, elle est la clef de Rook. Vous pouvez imaginer Scott Walker, Thom Yorke, David Byrne, sûrement quelques autres. Vous pouvez aussi pouffer, la trouver maniérée. Dans mon cas, je ne m’en remet pas. Son chant est franc, délicat. Quand retentissent les guitares cinglantes de Century Eyes, quelque chose de très simple et de très puissant, et que Meiburg commence à couvrir le terrain, qu’il lance ses intonations de prophète. Réfugié sur une plaine rocailleuse, ouverte vers le ciel, exprimant la douleur, l’espoir et la frustration... En effet, tout ceci prête au lyrisme. On ne pouvait rêver mieux en ces temps.
Alors... quel est le dernier disque qui vous a bouleversé ? Rook ? Oh, comme je vous comprends.
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