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mercredi 15 avril 2015
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par Psymanu le 21 novembre 2006
paru en octobre 2006 (V2)
Parce qu’AC/DC ne sera pas éternel, et qu’ils ont déjà depuis un moment mis un peu (beaucoup ?) d’eau dans leur whisky, la nécessité d’une relève se fait chaque jour plus pressante. Et les Datsuns, ça fait un moment qu’ils n’attendent plus pour tenter de la choper au vol, cette relève. En trois LP, chacun bien espacé de son prédécesseur de deux années, ils se sont imposés comme une sorte de version garage du gang australien.
C’est tout de même confortable, l’unanimité. On ne peut pas détester les Datsuns, impossible. On peut rester un peu froid devant leur blues-rock sous amphétamines certes un peu passéiste, mais pas les accuser de poser, de faire semblant, encore moins de mal faire quoi que ce soit, et surtout pas de susciter la morosité. Lors d’une prestation live un peu trop intense, ils pourraient même vomir leur bière en un puissant geyser sur votre veste neuve que vous leur donneriez encore une petite claque amicale sur le dos en riant. Ils ont des cheveux trop longs et trop gras qui bougent en tout sens au gré de head-bangings hystériques et de circonstance, ils font un peu pouilleux, ils font pas très propres, ils ne sonnent pas propre, d’ailleurs. La moindre des choses quand on veut inviter à l’ivresse et au pogo, parce que les brushings et le côté immaculé, ça le fait juste le temps de saluer le videur à l’entrée. Après, il est temps de passer aux choses pas sérieuses. C’est un groupe en "The", pourtant, les Datsuns. Un parmi tant d’autres, dont on ne se souvient même plus des noms, pour la plupart. Eux on se souvient. Sans même savoir qu’ils reviennent avec un nouveau disque, on est acoudé au comptoir, peinard devant sa pinte, lorsqu’on entend les accords rageurs fouettés de Who Are You Stamping Your Foot For ? avec une voix aigrelette de petite teigne et les trépidations en acier trempé d’une batterie frénétique. Alors on tape du coude dans les côtes du voisin en demandant : "hey, c’est pas les Datsuns, ça ?". L’apanage des tous grands, ce don de provoquer le clin d’œil entendu, entre gens qui savent.
Who Are You Stamping Your Foot For ?, donc, n’a surtout pas pour objectif de créer la surprise. Parce que l’un des principaux points de comparaison avec AC/DC réside dans cette étonnante capacité des Datsuns à ne pas changer une formule qui marche, non pas parce qu’elle marche, justement, mais parce qu’ils sont tout entier dedans, avec cette conviction inébranlable qu’ils jouent la musique comme elle doit l’être, point barre. Tout le monde est donc bien calé sur ses marques, au taquet comme il se doit, mais sur ses marques quand même. Batterie (énorme Matt) et guitare rythmique ne laissent aucun répit à l’auditeur. Le répit, encore qu’il demeure tout relatif, ce sera pour plus tard, nous en reparlerons. C’est le convulsif System Overload qui prend la suite, Christian Datsun nous grattifie d’un superbe solo, le temps que Dolf reprenne son souffle. Ensuite, surprise, c’est une gratte acoustique qui nous cueille sur Waiting For Your Time To Come. Bon, elle se noie vite sous les coups de boutoir de Matt, mais ce morceau louche vers la pop, c’est évident, ou vers un blues-rock le plus mélodique possible. Et si les Datsuns tentaient de nous faire leur Led Zeppelin III à eux ? Stuck Here For Days pourrait le laisser croire. Un blues tout à fait dans l’esprit Dirigeable en acoustique (le temps de retrouver la prise de courant, en tout cas), un Matt Datsun plus John Bonham qu’il ne fut jamais, il y a de la magie dans ce morceau, sans nul doute l’un des plus intéressants du disque. On revient toutefois immédiatement aux bases du groupe avec Maximum Heartbreak, et ce chant qui évoque le meilleur du MC5.
On oublie souvent qu’un solo de guitare peut être merveilleux parce qu’ils sont peu à savoir bien les faire, mais Christian est clairement de ceux-là. Jamais trop bavard, mais cabot tout de même lorsque c’est son tour de flamber, avec ce don du juste enchaînement de note. Bien sûr, c’est un solo de hard rock qui serait juste plus tourné vers le blues que les autres, quelque chose de moins exhibitionniste que les clichés brushés du genre, un truc plus rentré. Ça n’est pas du Hendrix, ça n’est même pas du Jimmy Page, mais ça reste très loin d’un shredding à la gomme, c’est simplement une allumette, mais une allumette bien affûtée, sensuellement promenée sur des napes de gasoil. On frissonne puis on s’enflamme.
Encore de la musique black sur All Aboard, une chorale gospel comme accompagnement, des accords qui slident le long de notre échine, une batterie comme un battement de coeur, pour un morceau viscéral au sens propre, un autre grand moment de ce Smoke & Mirrors. Et une nouvelle fois, après nous avoir (tout doucement) surpris, le groupe reprend les hostilités comme par réflexe, style "merde qu’est-ce que je fous, je dors ou quoi ?", et hop ! on nous envoie Such A Pretty Curse dans les dents, et l’auditeur de ronronner à nouveau dans cette brutalité de décoffrage dont décidément on ne se lassera jamais. C’est à peine si Blood Red sonne un peu plus "rond" qu’attendu, un peu moins rêche, un peu plus pop, quoi, avec un petit je ne sais quoi de mélancolique qui fait qu’on n’est pas dans la redite du titre précédent. Emperor’s New Clothes envoie plus clairement le boulet, et ne prépare en rien à cette petite merveille qui clot l’album : To Little Fire en appelle une nouvelle fois aux chœurs, se fait lancinant, caressant. Les Datsuns auraient-ils finalement composé un hymne pour stade ? Vous savez, le genre de truc que tout le public chante avec le groupe, même une fois que celui-ci a mis les voiles, tous à deux doigts de sortir le briquet pour le lever bien haut (mais le public des Datsuns sait pas qu’il y a bien mieux à faire d’un briquet, et beaucoup moins cu-cul, surtout). Bon ben ce type de morceau-là, c’est un peu To Little Fire : ça réchauffe le coeur parce qu’on peut le crier tous ensemble, lumières à demi-éteintes et yeux clos, dans un élan confraternel un peu absurde mais tel qu’il en existe dans ces endroits où des foules entières d’humains, pleines de leurs différences, regardent pourtant pour un instant toutes dans la même direction, appréciant ensemble sans même s’être concerté le spectacle offert, et dans le genre on peut tout à fait légitimement préférer un concert des Datsuns à un match de foot.
Smoke & Mirrors est une troisième réussite pour les Néo-Zélandais. On les en remercie car ils sont un élément de stabilité nécessaire, un de ces groupes dont on n’attend rien de spécial puisqu’on sait que quoi qu’il advienne ce sera juste du bon rock’n’roll qu’ils sortiront de leur besace, la prochaine fois qu’ils repasseront, puis la suivante encore. Quatre mecs sur lesquels on peut compter, en somme, et quand on voit comme ça défile, du côté des "révélations", "nouvelles sensations" et autres futures stars (qui ne dureront que le temps de surprendre et même pas de décevoir avant de disparaître parce que les projos seront déjà braqués sur d’autres ailleurs), ça fait du bien.
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