Après avoir découvert Joe Gideon & The Shark en première partie d’un concert d’Archie Bronson Outfit à Bruxelles, je me mis à scruter régulièrement l’horizon dans l’espoir d’y voir poindre un demi-cercle qui révèlerait peu à peu l’apparence d’un disque que j’espérais non pas solaire mais au moins lumineux. Récemment, celui-ci finit par sortir et le label Bronzerat Records accepta gracieusement de m’en envoyer un exemplaire. Un bel album, qui plus est, à l’artwork léché réalisé par des spécialistes en la matière, les excellents Archie Bronson Outfit, groupe ami et mentor. Harum Scarum, c’est le nom de l’objet, fait référence à un film d’Elvis. La musique, elle, invoque le Velvet Underground, Lou Reed, Nick Cave, (dont ils ont assuré la première partie en Angleterre) voire Sonic Youth et Jonathan Richman. Lou Reed pour cette façon désinvolte de raconter des tranches de vie fascinantes et pathétiques, Jonathan Richman pour cet amour du récit parlé plus que chanté (cf. Pablo Picasso des Modern Lovers). Sonic Youth pour la saturation bruitiste. Nick Cave enfin pour cette tendance à la répétition et la montée en puissance des chansons.

Le disque contient donc les avantages et les défauts de ce type de musique. Indéniablement, la grande force de Joe Gideon & The Shark réside dans l’art d’arranger les climats. Fondées sur deux ou trois idées, les chansons pénètrent notre esprit avec une langueur hypnotique et s’étoffent au fur et à mesure. Entre la voix du chanteur et la musique s’installe vite une connivence harmonieuse, qui laisse l’auditeur captif de ses sensations. Pendant ce temps, la petite sœur Viva joue les multi-instrumentistes en cumulant batterie, piano, percussions, guitare et chœur... La formule fait des merveilles sur Harum Scarum - on y décèle un faux air de Black Keys, petite perle bluesy cradingue et entêtante. Idem avec Civilization, morceau très réussi qui passe en revue une vie entière en quelques minutes. Lou Reed, Bowie, voire Arcade Fire ne sont pas loin du tout de cette petite pièce musicale épatante. Autre titre à ne pas manquer, DOL fait dans le tribal : rythme percutant, mantra répété à l’envi, guitares saturées. On en redemande.

Et ce n’est pas tout, le meilleur reste à venir. Chef-d’œuvre de l’album, Hide And Seek évoque l’histoire d’un cache-cache qui tourne mal sur fond de piano lancinant et de voix épileptiques hoquetant le titre de la chanson. Vers le milieu du morceau, le piano voit sa promenade accélérer sous les coups de boutoir de guitares agressives qui font sonner le riff à la manière d’un Lust For Life revu et corrigé par l’immense talent des Joe Gideon & The Shark. Citons encore True Nature et, dans un registre beaucoup plus aérien et contemplatif, le splendide Pale Blue Dot. Autant de bouts de vie plus ou moins fantasques admirablement mis en musique par le groupe. Seul défaut à l’horizon, la formule a l’inconvénient d’en être une. Comme toujours, sa limite est contenue dans son principe même, qui se veut intangible. On peut donc reprocher à Joe Gideon & The Shark l’aspect systématique dans la construction des chansons. Il n’en reste pas moins que ce disque est un excellent disque, qu’il faut savoir apprivoiser au fil du temps. Gageons que dans un mois, il gagnera encore en qualité. Le temps sera alors peut-être venu de lui mettre une quatrième étoile à côté de sa pochette en haut de cet article.