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par Oh ! Deborah le 25 janvier 2011
Elle a photographié Johnny Thunders, Destroy All Monsters, les Ramones, Iggy Pop, The Dead Boys, Sonic’s Rendezvous Band, Pere Ubu ou encore Patti Smith, à la fin des années 70. A l’occasion de son exposition au bar l’Apostrophe à Paris, nous avons rencontré Sue Rynski, photographe qui capture l’exaltation et les moments privilégiés d’un contexte rare en mouvement. Sur scène ou en coulisses, il s’agit toujours d’un microcosme désinvolte, où les nuits blanches sont sans lendemain.
Inside Rock : Quand et comment as-tu commencé la photo ? Voulais-tu en faire ton métier au départ ?
Sue Rynski : En 1973, je faisais mes études de Beaux Arts et d’Arts Plastiques à Detroit, mais je venais à Paris pendant les vacances scolaires. C’est pendant un séjour à Paris que j’ai appris la photo. Au départ, je voulais faire une carrière d’artiste, pas forcément dans la photographie, mais en fin de compte, ça a été le moyen d’expression qui me convenait le mieux.
Quelles sont tes premières photographies ?
C’était les ballets de l’Opéra de Paris, car j’aimais beaucoup la danse, que j’ai également étudié. C’est réellement par ce biais que j’ai su saisir le mouvement, que j’ai appris à développer des images dans des situations où il y avait peu de lumière, sinon des lumières contrastées. Ensuite j’ai eu d’autres sujets, comme des sortes de natures mortes à Paris, ce pouvait être des poubelles ou ce genre de choses, mais c’était des exercices de compositions !
Comment es-tu venue au mouvement punk ?
Je viens de Detroit, et dans les années 60/début 70, il y avait beaucoup de musiques supers qui venaient de chez nous, un rock’n’roll authentique, un rock made in Detroit. Il y avait tout un héritage musical que j’ai écouté avec grand plaisir, avec des tas de groupes qui jouaient gratuitement dans les parcs et que j’aimais beaucoup. Quand j’ai terminé mes études à la School of Arts de Ann Arbor, Université du Michigan, il y avait quelques groupes, comme le Sonic’s Rendezvous Band qui avait déjà une très bonne réputation scénique. Je suis donc allée les voir, j’ai fais des rencontres, puis je suis devenue amie avec les membres qui fondaient le groupe Destroy All Monsters. J’ai commencé à passer beaucoup de temps avec eux, toujours munie de mon appareil photo. J’ai donc assisté aux tous débuts de ce groupe, que ce soit durant les répétitions, pendant les concerts ou les fêtes. Il y avait beaucoup d’autres groupes à Détroit, parallèlement au punk britannique et au punk new yorkais. Ces scènes étaient différentes mais avaient toute la même énergie et le même désir de créer quelque chose de nouveau.
Peux-tu parler du Bookies Club 870 à Detroit, des soirées que tu as passées, de l’ambiance ?
Le Bookies Club 870 n’existe malheureusement plus, il a été rasé vers la fin des années 80. Dans les années 40/50, le Bookies Club 870 était un café dansant avec une façade bien Art déco. Dans les années 70, c’est devenu un lieu de soirées disco gays où il y avait peu de concerts. Alors Scott Campbell, du groupe The sillies, a convenu avec le propriétaire du club de faire venir des groupes de rock. C’est ainsi que le Bookies Club 870 est devenu un lieu de concerts rock, à partir de 1978. Très vite il y eut des concerts tous les soirs de la semaine, programmés par Scott. Il s’agissait de groupes indépendants locaux, de Detroit ou d’Ann Arbor, mais aussi de Cleveland comme les Dead Boys ou Pere Ubu. Iggy Pop est venu aussi, ainsi que les Cramps ou encore John Cale. Mais pour la plupart, c’était des groupes de Detroit qui venaient jouer dans une ambiance très confidentielle, auprès d’un public averti composé d’une cinquantaine de personnes, les seules à savoir qu’une telle scène existait. Il y avait des flyers distribués un peu partout, sur lesquels était mentionné le programme du mois, et c’était environ deux ou trois dollars l’entrée. Les concerts commençaient vers 22/23h jusqu’à 2h du matin, à raison de trois groupes par soir.
Tu photographies souvent des parties du corps en mouvement sur scène, ainsi que le public, des gens anonymes. Avant l’artiste lui-même, quelles sont les choses primordiales que tu souhaites exprimées ?
De plus en plus, je recherche à isoler l’énergie, à me focaliser sur l’extase, le mouvement figé ou non, plutôt que de montrer l’artiste en train de faire ce qu’il a à faire. Il y a une place pour l’artiste, mais selon ma démarche artistique, je me fie davantage à la citation de Wolfgang Tillmans : « J‘essaie d‘aller à l‘encontre de l‘idée selon laquelle la photo n‘est accessible que par son sujet. » Admettons qu’on photographie Patti Smith, on va tout de suite voir Patti avant de regarder la photo. Pour ma part, je souhaite que la photo elle-même, parle.
Comme tu as été très proche de Destroy All Monsters, peux-tu me dire ce qu’ils représentaient pour toi ? Leur musique était très originale…
C’était de l’art pur. Ils ont mélangé des éléments de jazz progressif, de rock psychédélique, avec des guitares bien rock’n’roll. Les paroles avaient pour thèmes la mort, les vampires, la nuit. Niagara écrivait des textes qui provenaient directement de son esprit, de sa vie. C’était un univers vraiment original et très excitant. Et quand j’aime vraiment la musique, cela me stimule et me pousse à photographier de façon spontanée. Si je n’aime pas assez, je ne peux pas. D’ailleurs un jour, à Paris, je me suis trompée sur un concert, et je me suis retrouvée dans une ambiance style Club Med où j’étais totalement figée avec mon appareil donc on est parti !(rires)
Tu ne te vois donc pas venir photographier un groupe que tu ne connais pas, juste pendant ses trois premières chansons, comme c’est souvent le cas lors des concerts...
Non. Je viens d’une époque où j’avais la liberté totale de photographier ce que je voulais sur toute la durée d’un concert, donc l’idée d’être parmi d’autres photographes durant les trois premières chansons ne m’épanouit pas du tout. En revanche, je peux photographier des groupes dont la musique n’est pas ma tasse de thé, à condition que cela se passe en dehors des concerts et que j’ai écouté attentivement leur musique auparavant, pour m’imprégner d’une ambiance.
Parmi les rencontres que tu as faites, quels sont tes meilleurs souvenirs ?
Toute l’aventure avec Destroy All Monsters a donc été très marquante. Par le biais de Ron Asheton, qui a rejoint les DAM et qui est devenu un grand ami, j’ai rencontré son frère Scott, avec qui j‘ai passé beaucoup de temps. Scott est quelqu’un qui ne parle pas beaucoup, et pourtant nous nous retrouvions parfois assis dans une voiture à discuter pendant des heures. C’est une personne qui est assez spirituelle, mais qui exprime cela avec peu de mots. C’est aussi un grand batteur ! Il était comme mon grand frère.
Une autre rencontre magnifique fut celle de Fred Sonic Smith (ex-membre du MC5 et guitariste de Sonic’s Rendezvous Band, groupe dans lequel Scott Asheton jouait). C’était quelqu’un qui soutenait l’activité créative de tout le monde, c’était un grand artiste. En venant ici, j’écoutais une playlist formée au hasard sur mon iPod, et le ciel a choisi plein de chansons jouées par Ron Asheton ainsi que la chanson emblématique de Fred Smith, Shaking Street. J’ai soudain eu le sentiment d’avoir deux petits anges sur mes épaules, Ron et Fred, ce sont comme des saints dans la musique... C’est vraiment ce que je ressens aujourd’hui.
La dernière personne que je citerais, et pas des moindres, c’est David Thomas de Pere Ubu. Nous avons bien sympathisé et je pense que c’est un des plus grands artistes au monde. Une personne complexe, intellectuelle, magnifique.
J’ai lu plusieurs fois qu’il faisait partie des Témoins de Jéhovah. Est-ce vrai ?!
Nous n’avons jamais parlé de ça mais s’il l’a dit, c’était probablement une blague ! Cela me rappelle d’ailleurs un souvenir. Il a dit un jour sur scène : « Il y a une chose très connue des musiciens du Grand Ordre Maçonnique, c’est que s’il y a plein de nanas dans le public, ça signifie que vous êtes en train de monter d‘un cran ! ». Il a attribué cela à l’Ordre Maçonnique ! (rires). En tout cas, je suis très très heureuse de le compter parmi mes connaissances, c’est un grand homme.
En dehors des groupes dont on a parlé, quels étaient tes groupes préférés à l’époque ?
A Detroit il y avait un excellent groupe qui s’appelait les Mutants, qui mélangeait hard-rock et paroles humoristiques. Je pense qu’ils n’avaient pas un style qui convenait pour devenir mainstream. Mais c’était vraiment très bien, leur humour faisait partie intégrante de leur œuvre sans pour autant être parodique. Sinon, il y avait les Boners qui faisaient un peu dans le comique visuel.
Il y a une section « My Bar » sur ton site, de quel bar s’agit-il ?
Il s’agit de deux bars à Arles, où j’ai passé une semaine pour faire des photos de personnes qui n‘ont rien à voir avec le rock. C’était un exercice que j’ai apprécié, donc j’en ai fait une série.
As-tu d’autres thèmes de photographie ?
Je suis sur plusieurs projets. Je travaille beaucoup avec des muses, pour la plupart des femmes au style un peu rock, pour en faire des portraits, des tranches de vie. J’ai fais aussi une série de nus, ce sont des autoportraits. Sinon, j’essaie de me concentrer sur l’émotion, l’extase, le bonheur et l’épanouissement, parmi mes photos de rock, mais c’est un travail qui ne concernera peut-être pas que celles-ci.
Quels sont les groupes que tu écoutes aujourd’hui ?
Je découvre pas mal de groupes sur scène. Dernièrement je suis allée voir les Magnetix à la Machine du Moulin Rouge et j’ai adoré cette sorte de transe, d’énergie, de voyage. Sinon, j’écoute Dark Carnival (avec Niagara de Destroy All Monsters et Ron Asheton) ou ce que fait Pere Ubu. Aussi, je suis allée voir Lydia Lunch et James Chance. Je ne les avais jamais vus et c’était très très fort !
Inside Rock remercie chaleureusement Sue Rynski.
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