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mercredi 15 avril 2015
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par Giom le 31 juillet 2006
paru le 10 juin 2006 (XL Recordings)
Dans la famille des suractifs, je voudrais Thom Yorke ! Alors qu’il « s’ennuyait » avec Radiohead à une période où les musiciens d’Oxford ne réussissaient vraiment pas à sortir quelque chose qui le satisfasse, Yorke s’est mis dans son coin et, entouré de sa garde rapprochée (Nigel Godrich à la production, Stanley Donwood à l’artwork), nous a pondu The Eraser.
On le sait (et même s’il tente de nous faire croire le contraire avec son groupe actuellement en tournée), depuis quelques années, ce ne sont plus les guitares et les riffs rageurs qui peuplent l’imagination du chanteur mais bien les beats, blips et autres boucles electro. L’époque de The Bends est bien derrière lui et The Eraser, son œuvre par définition la plus personnelle est là pour le confirmer.
Obsédé par son ordinateur et ses potentialités, Yorke aura donc passé plusieurs mois à assembler les sonorités, découper les séquences pour arriver à neuf titres qui peuvent surprendre mais aucunement décevoir. Certes, on n’atteint pas ici les sommets de Kid A (mais sont-ils atteignables ?), mais cette musique déshumanisée au possible révèle souvent des moments d’une grande beauté. En témoigne un titre comme Cymbal Rush, qui clôt l’album, où l’auditeur peut avoir l’impression de se retrouver dans l’épicentre d’un typhon du golfe du Mexique tant la texture créée par Thom Yorke donne le tournis et fait perdre ses repères. Tout commençait pourtant calmement avant que ne survienne quelques notes de piano annonciatrices d’une tempête qui peut rappeler l’effet produit par la dernière minute de Sit Down Stand Up sur l’album Hail To The Thief de Radiohead.
Le défi est donc là pour Yorke depuis qu’il a pour de bon rejeté les mélodies trop bien faites d’OK Computer (on ne pouvait pas savoir à l’époque à quel point ce titre s’annoncerait prophétique). Créer des sensations à partir de la froideur du numérique, mélanger les blips et les beats jusqu’à la limite de la saturation pour prolonger l’expérience humaine et faire de la technologie un atout loin de ses utilisations négatives du quotidien comme il les dénonce dans ses textes. And It Rained All Night s’impose alors comme l’un des sommets du disque. Nouvelle fable écologique hallucinée, Yorke y pose une voix menaçante sur un beat puissant accompagnés de bruits de baguettes de batterie symboles d’un dérèglement planétaire programmé et déjà là. La musique est alors entraînante à souhait, l’auditeur se laisse happer par le rythme implacable, ne peut plus faire marche arrière, comme la voix ("So I give in to the rythm / The click click clack / I’m too wasted to fight back"), comme le monde qui va trop vite sans trop se poser de question parce que c’est vrai que c’est plus simple comme ça après tout.
La voix justement est sur le disque presque totalement dénudée du moindre effet. À contre-courant des textures musicales alambiquées, elle renverse le point de vue et bouleverse l’auditeur à chaque instant. La variété du chant de Yorke n’a jamais été aussi forte sur aucun disque de Radiohead. Elle fait parfois penser à celle Michael Stipe (Skip Divided), voire même Bono (And It Rained All Night)... Constamment traitée comme un instrument à part entière, elle se mêle, épouse ou lutte contre l’aridité musicale électronique et on comprend alors qu’elle est maintenant parfaitement intégrée au cœur du projet esthétique de Yorke : brouiller les frontières entre l’humain et le non humain, entre l’organique et le numérique pour qu’au final tout ne soit plus qu’humanité, mais une humanité maîtrisant son sujet jusqu’à faire corps avec lui. Pari impossible ?
"The more you try to erase methe more, the moreThe more I appearThe more I try to erase meThe more, the moreThe more that you appear"
La boucle est bouclée.
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