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Messe Pour Le Temps Présent

Messe Pour Le Temps Présent

Pierre Henry

par Milner le 26 mars 2005

4

paru en août 1967 (Philips / Universal)

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En cette année charnière où le Monterey Pop Festival marqua la transition de la pop au rock - d’une musique pour faire taper les pieds des ados à un art FM pour jeunes adultes, il en est un qui n’eu finalement peu à craindre d’une quelconque concurrence. Pierre Henry, jeune ingénieur à la RTF, auparavant passé par le Conservatoire, n’a que faire de ces théories de musicologues dégénérés. Son truc à lui, ce ne serait évidemment pas de faire de la musique sans avoir à la connaître ou à apprendre d’un instrument. Non, il avait un concept, une vision.

Titre du “spectacle total” de Maurice Béjart créé en août 1967 au Festival d’Avignon, pour lequel Pierre Henry a composé spécialement, avec la collaboration de Michel Colombier, les fameux jerks électroniques, Messe Pour Le Temps Présent voulait être à cette époque de la musique de discothèque sur les rythmes du moment truffés d’effets électroniques voyants et carrés très efficaces. C’était une des premières fois où le son électronique était employé, avant l’apparition du synthétiseur, de manière aussi directe et provocante dans la musique pop, ce qu’on appellera par la suite, la musique concrète.

La musique concrète, ce sont des collages, le son considéré comme objet. La volonté d’utiliser le bruit même du monde, de le mettre en peinture. Bribes de fêtes foraines, voix de nulle part, trains qui déraillent et montres molles, tout est bon. Bidouilleur de génie, il avait déjà inventé le sampling dans les années 50 et tout ce dont George Martin, Les Paul, Brian Eno et bien d’autres sauront se souvenir ensuite. Sur Too Fortiche, il crée un monde et un style : puissant, élémentaire, éloquent, un style de bûcheron et de pionnier.

Sur le morceau Psyché Rock, les arrangements balloches flamboyants de Michel Colombier semble créer une symphonie de clochettes de l’espace et de clavecins malades gavés de fuzz. Tout un orchestre extraterrestre au moment où démarre le psychédélisme. Un titre de la même importance que Good Vibrations qui utilisait le séquenceur, les ondes Martenot et le Theremin ou encore Whole Lotta Love. Jéricho Rock et Teen Tonic, les autres compositions de l’album, dénotent sa force évocatrice, sa poétique aussi singulière que son humour, soit tout bonnement ce que la musique occidentale a produit de plus inouï.

Tous les disques d’aujourd’hui sont compressés à outrance et de façon semblable. Un procédé qui tue toute dynamique et toute nuance. Messe Pour Le Temps Présent, lui, passe du quasi-silence au hurlement déchirant. Car avant le blues expérimental de Ten Years After, les pédales pour guitare et le phasing pour tous, l’album inventait dix ans auparavant l’école allemande, Kraftwerk et les autres, puis l’electro, la techno, tous les Moog et Odissey ARP analogiques à venir.

C’est un fait, Psyché Rock a eu trop de succès. Ce n’était qu’un extrait de l’album, presque un gag. Cela a éclipsé tout le reste, cela a enfermé Pierre Henry dans un style. Après cela, il n’a plus créé que des compositions de circonstances, balloches voire électroniques. Notre homme a résisté comme il pouvait à la grosse machine qui voulait l’avaler. Écouter la Messe Pour Le Temps Présent, c’est comme écouter une relique du passé qui se moquerait du futur, dénoncerait le fric qui fait tout le musicien, le laser disco qui écrit sur les nuages à la place de la musique, les sixties qui font le répertoire, le Flower Power, issu des mirages bariolés qui faisaient de Londres et de San Francisco les lieux d’une fête du son et de la lumière. C’était avant que tout le monde ne flippe, avant que la musique planante ne devienne triste.

Devenant best-seller de vente (du disque ... classique) pendant de nombreux mois, ce sont paradoxalement ces jerks d’un style volontairement bal de province qui furent le Cheval de Troie de la musique electro-acoustique sérieuse. On peut donc considérer la Messe Pour Le Temps Présent comme un événement de l’histoire de la musique contemporaine, qui contribua notablement à l’éclatement des barrières entre la musique symphonique, jazz, recherche et variété.

De nos jours plagié, pompé, remixé, l’homme se retient de trop profiter de ce succès facile. L’explosion de la techno réédite le malentendu des sixties ... Alors que cette dernière, et la musique à base de samples en général, sont devenues une plaisanterie, celui qui en avait tout dit avant tout le monde et inspirait les plus sérieux de ses créateurs est bien vivant. Ventru, barbu, joufflu, Pierre Henry ahane. Le temps passe, les albums aussi, au rythme de un par an environ.



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