Portraits
The Move, les grands oubliés des années 1960-1970

The Move, les grands oubliés des années 1960-1970

par Our Kid le 12 septembre 2005

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Bien qu’ils n’eurent jamais connu de tubes aux États-Unis, The Move a réalisé quelques-uns des disques les plus intemporels de l’histoire de la musique populaire britannique entre 1966 et 1969.

De Birmingham au Marquee

L’origine de cette formation remonte au milieu des années 1960 à Birmingham, deuxième ville la plus importante d’Angleterre, située au cœur de l’île. En 1965, un journaliste de TV Times s’écria : « Liverpool today, Birmingham tomorrow » pour décrire une réalité perceptible à l’époque. En effet, le son Mersey qui avait contribué à placer Liverpool au centre de l’activité musicale du royaume dans le sillage de The Beatles ou de The Hollies peine à se renouveler et c’est désormais la capitale des Midlands qui prend le relais avec le Brum Beat. Cet état de grâce ne dura guère longtemps, mais permis tout de même l’émergence de groupes comme El Riot & The Rebels, Denny Laine & The Diplomats, The Moody Blues, The Spencer Davis Group, The Idle Race et plus tard, Black Sabbath voire Led Zeppelin. La plupart de ces groupes, à l’instar de The Beatles, fit ses armes en Allemagne, à Hambourg, où ils développèrent tous un furieux jeu de scène avant de revenir écumer les clubs de Birmingham et d’enregistrer une poignée de 45 tours ou, dans le meilleur des cas, un album.

Au moment de leur formation en février 1966, les membres de The Move officiaient tous précédemment dans divers groupes beat de la ville : Wood avec Mike Sheridan’s Lot (qui deviendra par la suite The Idle Race), Ace Kefford et Bev Bevan avec Carl Wayne & The Vikings ; et Trevor Burton avec Danny King’s Mayfair Set. Frustrés par un sentiment d’immobilisme et percevant que les scènes étaient en train de changer, les cinq décidèrent de mettre en commun leurs talents dans un projet neuf, tourné vers l’avenir, The Move, avec d’autant plus de force que la plupart des singles sortis avec leurs groupes respectifs constituaient des échecs retentissants, sorte de mauvaise repliques de ce qu’on nommait à l’époque la British Invasion Music et qui était symbolisée par Herman’s Hermits ou encore The Seekers. Le groupe fut ainsi nommé car les cinq musiciens étaient des transfuges en provenance de combos locaux vers un nouveau groupe, d’où l’idée de traduire ce mouvement par une dénomination originale du nouveau projet. Dorénavant, The Move se composait de Carl Wayne au chant, Trevor Burton à la guitare et au chant, Roy Wood également à la guitare et au chant, Chris « Ace » Kefford à la basse et au chant, ainsi que de Bev Bevan derrière les fûts.


Sous le management de Tony Secunda à la fin de l’année 1966, The Move migre vers Londres et va rapidement faire les gros titres avec ses prestations scéniques destructrices au Marquee Club à Londres où ils sont résidents, durant lesquelles des postes de télévision, des effigies politiques et - au moins à une occasion - une voiture étaient démolis à coups de haches et de marteaux. Secunda était l’un des managers les plus controversés d’Angleterre et il utilisa des méthodes qui ont probablement inspiré Malcolm McLaren avec les Sex Pistols des années plus tard. Il n’était pas rare de voir les pompiers arriver à la mythique scène pour éteindre l’incendie que le groupe avait provoqué...
Leur jeu de scène, largement influencé par The Who présentait également un côté mod avec un goût pour ce qui était arty et on distingue chez les cinq de Birmingham un penchant pour la pop évoquant tantôt The Kinks, tantôt The Beatles.

À peu près à la même période, ils signèrent pour la maison de disques Deram, une subdivision de Decca destinée à la nouvelle scène. À cette occasion, Secunda réalisa sa première acrobatie en faisant signer le contrat sur le dos d’une hôtesse dénudée...


Des débuts tonitruants

Le premier single de The Move chez Deram, Night Of Fear, lancé en décembre 1966, est devenu un tube instantané, atteignant la deuxième place des charts.
En fait, les premiers singles des cinq anglais sont largement influencés par le mouvement mod avec leurs accords pêchus et leur mise en scène théâtrale, même si la musique du combo deviendra par la suite de plus en plus pop et dynamique.

I Can Hear The Grass Grow accompagna quelques mois plus tard Night Of Fear et établit le groupe comme une machine à tubes sur laquelle il fallait désormais compter. C’est à ce moment-là que commencèrent le début des ennuis pour The Move : à chaque nouveau single, les radios, les media en général, disséquaient les paroles en quête d’éléments susceptibles de constituer une menace pour la morale en place. Ainsi, dans I Can Hear The Grass Grow, les références à la vision d’arcs-en-ciel et de cercles colorés laissèrent peu de doutes quant à l’herbe dont il était question et qui n’avait rien à voir avec celle que l’on trouvait sur les traditionnels gazons britanniques :

"My heads attracted to a
Magnetic wave of sound
With streams of coloured circles
Makin’ their way around.
I can hear the grass grow I can hear the grass grow
I see rainbows in the evening."

En tout cas, ceci apparut suffisamment ambigu pour éviter une censure de la sacro sainte BBC, ce qui n’empêcha pas, paradoxalement, l’institution d’enregistrer dans la frénésie ce morceau lors d’une session, compte tenu du succès du titre...

Artistiquement parlant, le succès de The Move s’explique par les chansons excentriques de Roy Wood, le compositeur de la bande, résultant d’une combinaison de mélodies pop contagieuses avec un sens aiguisé de l’absurde, et de paroles qui insistent fréquemment sur les thèmes de la folie ou de l’incongru. La particularité du groupe réside également dans le brassage de styles qu’il cultive, même s’il conserve une base pop. Ainsi, sa musique se révèle être un condensé de racines rock’n’roll, comme le révèle les fréquentes reprises du Weekend d’Eddie Cochran ; de pop à la Beach Boys, avec ses superbes harmonies vocales (cf. California Girls sur The BBC Sessions) et de psychédélisme assorti de freakbeat typiquement britannique. Ainsi, des morceaux de Love, The Byrds, Moby Grape ou de Jackie Wilson concluaient fréquemment les sets en concert.

Le groupe livre des mélodies tordues avec un pouvoir et un dynamisme véritablement imposant. Ce muscle musical est étiré au maximum sur leur second single, I Can Hear The Grass Grow. Le morceau tonne de bout en bout, galvanisé par la basse hurlante de Ace Kefford et l’habile guitare de Wood, pendant que sur le devant de la scène, on démontre ses prouesses vocales ; chaque membre jouant sa propre partition tout en contribuant aux harmonies. Réalisée en mars 1967, la chanson a atteint le top 5 britannique, ce qui est à peine volé.

En avril, le groupe participe au 14 Hour Technicolor Dream, festival haut en couleurs et premiers faits d’armes de la scène underground britannique, aux côtés de Pink Floyd, Soft Machine, The Pretty Things, The Creation ou encore The Crazy World Of Arthur Brown.

Bien que ce fut un autre gros succès, atteignant la deuxième place des charts en octobre 1967, le troisième single du groupe, Flowers In The Rain, trouva le groupe attaqué en justice par le Premier ministre de l’époque, Harold Wilson, à propos d’une carte postale diffamatoire qui avait été conçue pour promouvoir le single (on le voyait en train de se déshabiller aux côtés de sa secrétaire !). Tous les bénéfices du morceau durent être reversés à des œuvres de charité. C’est d’ailleurs ce morceau qui reçut le privilège d’être le tout premier disque diffusé sur Radio 1, la nouvelle station de musique populaire de la BBC, le 30 septembre 1967. Autre preuve de leur succès, le groupe fut dans la foulée invité au premier show musical de John Peel intitulé Top Gear et diffusé sur cette nouvelle station. L’épisode Harold Wilson signa la fin du management de Secunda qui laissa sa place à Don Arden, réputé avoir lancé les Small Faces de façon musclée.

Avec la réputation outrageuse du groupe sur scène déjà fortement établie, le single suivant Cherry Blossom Clinic ( traitant d’un interné dans un asile) fut retiré de la circulation avant même sa parution pour éviter encore plus de publicité défavorable.

Le 45 tours qui lui fit suite, Fire Brigade, avec Walk Upon The Water en face B prolongea la série de succès en atteignant la troisième place des charts en dépit du fait qu’il a été composé en une nuit et enregistré le jour suivant. Paru en janvier 1968, cette magnificence pop offrit au groupe son quatrième top 5 des charts en quatre singles publiés. Débutant sur un effet sonore approprié de sirène de pompiers (cf. I Am The Walrus) et un jeu de guitare discordant, le morceau utilise un son vibrant inspiré de Duane Eddy au côté d’une basse proéminente caractéristique des cinq de Birmingham. Roy Wood chante seul de son style nasilllard exagéré, passant le relais à Carl Wayne pour le merveilleux refrain soupiré. Le morceau est quelque peu autobiographique et renvoie aux prestations scéniques du groupe :

"You get fascinated by her
She could set the place on fire
Run and get the fire brigade
Get the fire brigade
See the buildings start to really burn
Get the fire brigade
Get the fire brigade
If you jump you’ve got to wait your turn"

Le groupe consacra le début de l’année 1968 à l’enregistrement de son premier album, The Move, dont la pochette a été réalisée par The Fool. Celui-ci, un solide coup d’essai aux relents mod-pop-psychédélique, met en valeur plusieurs compositions de Roy Wood : les hits mentionnés, la version originale de Cherry Blossom Clinic, les moins connues mais d’égale valeur que sont Yellow Rainbow and Walk Upon The Water ainsi que trois reprises de routine dont Weekend. De haute facture, l’album se glisse dans les hautes places des charts à sa sortie, confirmant le talent entrevu à l’écoute des singles.


Blackberry Way ou l’état de grâce de The Move

Fire Brigade reste cependant la dernière contribution de la formation originale de The Move. En effet, Chris « Ace » Kefford, bassiste au visage de play-boy et principale image commerciale du groupe quitta ses compères subitement en avril 1968 après une dépression nerveuse nécessitant que Trevor Burton passe de la guitare à la basse. Bien qu’étant un élément secondaire du groupe et ne remettant donc pas en cause l’existence de celui-ci, il sortit tout de même un single solo sous le nom de Ace Kefford Stand puis un suivant avec Big Bertha avant de disparaître de la circulation.

Réduit à quatre, The Move enregistra Wild Tiger Woman qui fut réalisé en juillet. Le morceau demeure l’un des rares singles du groupe à ne pas entrer dans les charts, ce qui constitua une déception, d’autant plus que cette autre composition de Wood était plutôt réussie. La presse sembla de plus en plus s’attacher aux flamboyantes bouffonneries que le groupe commettait sur scène, à la garde robe de ses membres ou encore à ses tours de force publicitaires souvent axés sur l’outrageux plutôt que sur sa musique. Mais les tournées et la renommée du groupe se poursuivirent tout de même et l’année se termina en apothéose avec la sortie en décembre de leur classique Blackberry Way qui grimpa en tête des charts en janvier 1969. Ce morceau, qui aurait très bien pu figurer sur un album de The Kinks ou constituer une réalisation de McCartney dispose d’un humour noir, d’une ambiance peu jubilatoire et d’un refrain qui s’imprègne au plus profond de l’auditeur suggèrant une filiation avec, au hasard, Penny Lane ou encore Waterloo Sunset.

Malheureusement, peu de temps après avoir décroché la timbale, The Move est confronté à un nouveau départ d’un de ses membres. Trevor Burton, second guitariste du groupe qui avait déjà compensé le départ d’Ace Kefford en tenant la basse, quitta à son tour le groupe pour jouer avec Jim Capaldi, Steve Gibbons et John Cale. Il est immédiatement remplacé à la quatre cordes par Rick Price en provenance de Sight And Sound. Le groupe relâcha un peu la pression durant le reste de l’année, ce qui permit à Roy Wood de composer et de produire pour The Acid Gallery, un combo formé à Londres. Dance Around The Maypole, paru en octobre, contient ainsi son soprano nasal caractéristique et un mixage le mettant bien en avant. The Acid Gallery évoluera par la suite en Christie et rencontrera le succès avec Yellow River.
Cependant peu de temps après avoir achever l’enregistrement de leur deuxième album, le chanteur Carl Wayne, qui s’était aventuré dans le circuit des cabarets sur les conseils de son manager, jette l’éponge également, laissant dans un premier temps les parties vocales à son leader. Il s’est distingué par la suite dans la comédie musicale et a enregistré plusieurs jingles publicitaires. Il a également rejoint les Hollies en 2000 avant de disparaître en août 2004 emporté par un cancer.

En janvier 1970, Jeff Lynne, chanteur et guitariste de The Idle Race, accepta une invitation de son vieil ami Roy Wood pour rejoindre son groupe. La succession rapide des changements de personnel aurait détruit plus d’un groupe mais The Move devint un groupe plus intéressant au début des années 1970. Lynne est à ce moment-là le seul membre du groupe avec Wood à fournir de chansons notables et à définir une direction musicale à l’ensemble.

Le second album est fin prêt en février et confirme l’inventivité du groupe malgré les départs en cascade. Shazam est considéré comme l’album le plus réussi fourni par un groupe de Birmingham, The Moody Blues compris, ce qui n’est pas rien. Les six pistes de l’effort studio témoignent d’une musique plus progressive - soit plus expérimentale - sortant du cadre imposé des simples à succès mais qui conserve tout de même un air de Beatles, inluence difficilement oubliable pour le groupe. Cet effort est une sorte de Sgt.Pepper’s Lonely Hearts Club Band progressif, composé d’une musique extrêmement énergique, forgée par des années passées sur scène à jouer fort. Shazam contient également une version d’un titre de Tom Paxton, The Last Thing On My Mind, qui fait de ce deuxième effort un classique bien supérieur à The Move.

En tournant la page de sa première mouture, The Move perd progressivement de son importance sur la scène britannique en dépit de la réussite de Shazam.


Le début de la fin et l’émergence de ELO

En fait, c’est l’arrivée de Lynne qui signa réellement la fin pour The Move. L’album qui suit en octobre, Looking On, le premier comportant des compositions de Lynne, est probablement le plus faible de la discographie du groupe. On y entend le groupe peinant à mélanger avec habileté des éléments progressifs et du hard rock boogie sur d’obscures et d’interminables morceaux. Les harmonies vocales sont néanmoins toujours au top et la palette d’instruments est variée. D’ailleurs, la plupart de ceux-ci sont joués par Wood, signe que l’entente au sein du groupe n’est plus tout à fait cordiale. C’est sans surprise que Rick Price s’écarte définitivement du groupe en quête d’une aventure en solo.

À partir de Looking On, et sous l’impulsion de Lynne, le groupe, réduit au format de trio, devient plus « artiste » et ne manque pas d’ambitions, préfigurant un rock orchestral inédit à l’époque. C’est ainsi que durant une très courte période, Lynne, Wood et Bevan ont également travaillé sous le nom de The Electric Light Orchestra, parallèlement à The Move, se dirigeant vers de nouvelles directions musicales.

En juin 1971, The Move se retrouve pour enregistrer Message From The Country, un honnête album cependant gâché par des compositions inégales, symboles du tiraillement artistique qui sévissait alors au sein du groupe. Effectivement, on y retrouve les inclinaisons pop de Lynne qui font le contrepoint des compositions plus sombres et plus ironiques de Wood, à la manière des grandes collaborations comme celles de Lennon/McCartney ou Stills et Young.
Paradoxalement, à l’époque, le meilleur travail de The Move est à rechercher du côté des singles, tels Brontosaurus, California Man ou Tonight qui font de très bons scores dans les charts britanniques.

Toujours inconnu en dehors du Royaume-Uni en 1972, The Move peine de plus en plus à trouver une âme, ce que confirme le modeste succès de Message From The Country. Menant de front deux projets musicaux, les musiciens décidèrent alors de ne plus en privilégier qu’un seul et c’est sans surprise que, devant l’émiettement de la production de The Move, soit annoncée sa fin au profit de The Electric Light Orchestra, en passe de devenir une fantastique machine à rêver avec son rock orchestré et sa pop commerciale. Mais ceci est, bien entendu, une autre histoire....

DISCOGRAPHIE :

Singles

  • Décembre 1966 : Night Of Fear / The Disturbance
  • Mars 1967 : I Can Hear The Grass Grow / Wave Your Flag And Stop The Train
  • Septembre 1967 : Flowers In The Rain / (Here We Go Round) The Lemon Tree
  • Novembre 1967  : Cherry Blossom Clinic / Vote For Me
  • Janvier 1968 : Fire Brigade / Walk Upon The Water
  • Juillet 1968 : Wild Tiger Woman / Omnibus
  • Septembre 1968 : Something Else EP (live recordings)
  • Décembre 1968 : Blackberry Way / Something
  • Juillet 1969  : Curly / This Time Tomorrow
  • Mars 1970  : Brontosaurus / Lightning Never Strikes Twice
  • Septembre 1970 : When Alice Comes Back To The Farm / What ?
  • Juin 1971  : Tonight / Don’t Mess Me Up
  • Octobre 1971 : Chinatown / Down On The Bay
  • Mai 1972 : California Man / Do Ya / Ella James

Albums

  • Mars 1968 : The Move
  • Février 1970  : Shazam
  • Octobre 1970  : Looking On
  • Juillet 1971  : Message From The Country

 [1]



[1SOURCES :

  • The Electric Light Orchestra par Bev Bevan, Mushroom Publishing, Londres, 1980.
  • Unknown Legends Of Rock’N’Roll par Richie Unterberger, Miller Freeman, San Francisco, 1998.
  • The Tapestry Of Delights : British Beat, R&B, Psychedelic and Progressive Rock 1963-1976, par Vernon Joynson, Borderline, Londres.

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