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par Psychedd le 25 novembre 2008
J’en vois déjà qui soupirent... « Pfff, encore les Beatles. J’vois pas pourquoi on en fait tout un foin ! »
Le problème avec les Beatles, c’est qu’ils ont l’air mignons, genre bons garçons... Et que forcément, tout ce qu’on entend d’eux, c’est dans les pubs ou alors des trucs du genre Yellow Submarine.
Et pourtant... Les Beatles, c’est l’éternelle adolescence, une liberté, une grâce... Les Beatles ont cristallisé une époque, ils en sont les auteurs, les acteurs, les spectateurs. Oui, tout ça.
Étonnez-vous après qu’on en fasse tout un plat !
L’histoire de ce groupe est fascinante, il faut planter le décor et essayer de comprendre...
...Comprendre ce que ça veut dire d’être un gamin à Liverpool, né durant la guerre et grandissant dans une des plus grandes villes industrielles du nord de l’Angleterre, à une époque où le monde occidental connaît un essor sans précédent et que comme par hasard, cette petite ville portuaire autrefois si florissante se retrouve en pleine débâcle économique et sociale. Détruite, lacérée, effondrée durant la Seconde Guerre Mondiale, en voilà un contexte moyennement fun pour grandir... Et puis, il y a l’Amérique, la petite sœur autrefois pauvre, qui fait un gros pied de nez de l’autre côté de l’océan et omniprésente grâce aux bateaux de l’US Navy qui remplacent les gros cargos de commerce. Échanges culturels et monétaires, Liverpool est maintenue en vie grâce à l’aide de l’oncle Sam.
Et à l’époque, tout se fait là-bas. Consommation, confort et gigantisme... L’Américain moyen se satisfait de sa petite vie, il n’a pas à se plaindre. Une génération silencieuse... Et qui dit silence, dit bruit. Au milieu des années 1950, un bruit, ou plutôt un son, perturbe les États-Unis bien pensants. Rock’n’Roll is born...
Et il faut bien le dire, c’est quand même un bon moyen de s’échapper de la misère ambiante. Pour la peine, la jeunesse anglaise succombe à ces nouveaux rythmes. De la musique « noire », jouée par des blancs, regardée par les plus vieux comme un phénomène particulièrement effrayant. Raison de plus pour que les gosses s’y mettent sérieusement. Hé oui, le rock a créé l’adolescence !
L’idole ultime : Elvis Presley et ses déhanchements qui font crier les filles de plaisir et les parents d’horreur.
C’est dans cette ambiance électrique que s’épanouissent nos joyeux lurons.
Nos joyeux lurons ? Quels joyeux lurons ? À ce stade de lecture, autant dire qu’aucune règle de politesse n’a été respectée, et comme c’est important, la politesse, laissez-moi faire les présentations des quatre protagonistes de notre histoire.
Il était une fois...
John Lennon, qui a eu la bonne idée de se pointer lors d’un bombardement, le 9 octobre 1940. Fils d’Alfred Lennon et de Julia Stanley, rien qu’une naissance pareille lui promet un destin pas commun. Sa mère lui ayant de plus donné le joli second prénom de Winston, en hommage à Churchill, voilà le genre de détail qui vous forge une personnalité ! Tout comme l’enfance du petit Lennon qui, on peut bien le dire, n’est pas franchement marrante : son père toujours absent de la maison, parce que trop présent dans les bars, et violent de surcroît, se fait virer par Julia qui trouve pour John un beau-père qui, au final, ne vaut pas mieux que son géniteur. A dix ans, le gosse se retrouve chez sa tante Mimi qui considère l’éducation donnée par sa sœur quelque peu légère pour le petiot. Niveau social, ça fait faire un bond au gamin qui quitte le milieu ouvrier pour se retrouver dans une maison avec jardin, dans un quartier légèrement plus classe. Ballotté comme ça, rien de plus normal que d’être moyennement stable dans sa tête. Reconnaissant envers sa tante, John ressent néanmoins un vide béant, celui de sa mère qu’il aime tant. Pour la peine, il va développer tout au long de sa croissance un esprit cynique, un humour assez particulier (souvent cruel même). Complexe, complexé et complexant, déjà un peu maniaco-dépressif mais extrêmement intelligent, Lennon est un gamin à part qui passe pas mal de temps à rêvasser, à écrire un journal satirique pour l’école (The Daily Howl) et à rendre dingues ses professeurs et la tante Mimi qui a un peu de mal à le suivre, malgré toute son affection pour lui. La seule qui réussit à le stabiliser et à l’apaiser est sa mère quand elle vient pour sa visite hebdomadaire. Il est là, bouche bée, à l’écouter chanter, lui raconter des histoires merveilleuses qui nourrissent un peu plus son imagination déjà bien fertile. Puis elle repart pour une longue semaine et ça, John a de plus en plus de mal à le digérer.
Mid fifties : le rock’n’roll déboule et fait mal. Lennon découvre avec passion Gene Vincent, Buddy Holly (qu’il imite en mettant le même genre de lunettes, ce qui a le mérite de mieux lui faire accepter sa myopie, parce qu’au moins, il a le style) et Chuck Berry. Émois adolescents, sauvages et électriques. Et excellent prétexte pour exprimer sa rage de vivre. Grâce à Julia, qui lui a offert un banjo et lui a aussi appris les bases du ukulele, John peut en plus jouer de la guitare (mal et sur cinq cordes, parce qu’il n’a pas appris avec six !) dans un groupe de chevelus dégénérés qui font du skiffle.
Le skiffle ? « Kekcéça ? », me demanderez-vous.
Je cite Paul McCartney : « Le skiffle précède de quelques encablures le rock’n’roll. Il y avait les ballades, les chansons idiotes avec le refrain (il chante) « tipiti-pop, tipitie-pop woupie ! ». Puis le skiffle est arrivé et là on retrouve une base blues. C’est plus nerveux et c’était certainement plus hip, donc très attirant pour des garçons de notre âge [...]. »
Paul McCartney tiens... En voilà un qui n’a pas tout à fait le même vécu que John Lennon mais qui va quand même utiliser le rock pour s’exprimer. Né le 18 juin 1942 dans une famille de la classe ouvrière qui mélange les origines irlandaises et écossaises, condition et origines dont sont extrêmement fiers ses parents Jim et Mary, qui n’hésitent d’ailleurs pas à les revendiquer dès que l’occasion se présente. De joli poupon, il franchit le cap de joli gamin, bosseur, bien sous tout rapport, et grandit tranquillement avec son frère Michael dans la douceur de leur foyer (ça fait un peu « Petite Maison dans la Prairie » non ?). Gentiment déconneur et très curieux, il apprend rapidement à jouer du piano, sur celui du salon, aidé par son père qui se rend compte que le gosse se débrouille pas trop mal. Il a en plus une sacrée bonne mémoire et sa mère trouve qu’il a un joli brin de voix. Mais bien que ses parents aimeraient mieux que tout ça reste dans le domaine du loisir, rien à faire, Little Paul est accro à la musique. Et assez intelligent pour combiner sa passion avec sa belle gueule, ce qui lui permet de se taper pleins de nénettes (et de rendre fou le pauvre père qui se trompe une fois sur deux dans les prénoms des diverses copines !). Quand le rock arrive, Macca se dirige vers le côté plus romantique et mélodique de Roy Orbison tout en vouant un culte au dément Little Richard, qu’il va jusqu’à imiter devant ses parents médusés et légèrement dépassés. Cela avant qu’un drame ne vienne ternir la belle vie des McCartney : le 31 octobre 1956, Mary meurt d’un cancer, événement marquant pour le jeune Paul qui va continuer malgré tout à faire de la musique pour oublier son chagrin. Lui aussi va commencer à jouer du skiffle : il va pour cela délaisser le piano pour se mettre à la guitare, instrument avec lequel il ne se débrouille pas trop mal.
Pas trop mal certes, mais pas aussi bien que le jeune George Harrison qui le prouvera un peu plus tard. Pour le moment, on remonte jusqu’au 25 février 1943 qui a vu la naissance du petit George, appelé ainsi en l’honneur du roi anglais (et qui s’en sort mieux que son frère que les parents ont eu la bonne idée d’appeler Harry...). Discret dès sa naissance, on sait assez peu de choses de lui au final. Ce qu’on sait par contre, c’est qu’il a toujours été assez solitaire et musicien-né. Aidé par ses parents, et plus particulièrement sa mère qui lui offre des instruments de qualité, il apprend la guitare et fait preuve de beaucoup de talent et d’une oreille sûre. Solitaire et effacé, il choisi d’écouter Carl Perkins, dont il pompe le jeu sobre et Jerry Lee Lewis. Proche voisin de Paul, ils ne se rencontrent pourtant pas avant un petit bout de temps.
Trois garçons déjà bien différents les uns des autres, mais unis par une seule passion : la musique. La musique qui sauvera d’ailleurs un autre gars de Liverpool, parti pour avoir une bonne cirrhose à vingt ans s’il n’avait pas commencé à taper sur des fûts (au lieu de les boire !). Richard Starkey, né le 7 juillet 1940, et par conséquent le plus vieux des quatre, fait figure de Cosette à côté de ses futurs acolytes. Né d’une famille vraiment pauvre, sa mère était dépressive et son père alcoolique. Joie et bonheur donc... Il est raconté dans certains ouvrages que le petit Starr aurait commencé à confondre biberon et bouteille de gnôle à l’âge de neuf ans (même si on ne boit plus au biberon à neuf ans...) et qu’à quinze ans, après un autre coma éthylique, il aurait été chassé de chez lui. Ramassé par une bande de Teddy Boys en panne de batteur pour leur groupe, il s’essaye bon gré mal gré... Et il tape correctement. On appelle ça de la chance, on appelle ça aussi avoir de l’oreille, parce que taper au hasard c’est bien, si en plus on sait bien écouter la musique et qu’on arrive à la reproduire sans l’aide de solfège, c’est mieux. Mais c’est malheureux à dire, Richard se traîne une grosse dose de mélancolie dans le caractère, chose compréhensible après son enfance chaotique. Pour pallier à ça, et pour essayer de voiler son côté dépressif, il s’orne les doigts de grosses bagouzes, ce qui lui vaut le surnom de Ringo (rings en anglais) et devient franchement rigolo. Avec lui, on peut être sûr qu’on va faire la fête. Quant au pseudo de Starr, on ne sait pas trop. À cheval entre le diminutif honteux pour masquer ses origines et un nom de famille qui ne doit pas lui rappeler de très bons souvenirs et le surnom qui fait rêver et qui va peut-être lui permettre de briller comme une étoile (haha !) au firmament des dieux du binaire (peu nombreux à l’époque, on vous l’accorde), le truc à admettre, c’est que ça le fait ! Et puisque c’est la mode, il va aussi jouer du skiffle dans le Eddie Clayton Skiffle Group et va se frayer peu à peu un chemin dans le milieu musical de Liverpool.
Tante Mimi à John : « La guitare c’est bien joli, mais ce n’est pas comme ça que tu vas gagner ta vie ».
Sûr que pour le moment, John ne gagne pas vraiment sa vie, mais il se fait des potes et vire délinquant juvénile. Sexe, bastons, racket et alcool n’ont pas de secret pour le jeune homme de 16 ans qui s’habille comme un Teddy Boy (bien que ces derniers lui foutent une trouille monumentale), la banane au vent. Le 16 janvier 1957, un nouveau club ouvre à Liverpool : The Cavern, un lieu pas encore mythique et pas vraiment fait pour les jeunes branchés... Lennon a monté un groupe de skiffle avec des copains de son collège, Quarry Bank School et leur trouve un nom fort à propos, les Quarry Men. Ils se produisent pour la première fois en concert le 22 juin 1957, dans des conditions pas vraiment terribles et ne sont même pas payés. John qui assure le chant et la guitare est mort de trac, mais une fois sur scène, l’alcool aidant un peu, il se déchaîne, véritable sauvage rock’n’roll dans les règles. Avant de redescendre de scène et de se faire bastonner par quelques Teddies !
Le groupe donne son second concert le 6 juillet lors de la fête paroissiale en plein air de l’église St Peter à Woolton. Devant un public plutôt familial, ça ne passe pas très bien et les seuls applaudissements proviennent de deux gars qui ont à peu près l’âge de Lennon. John connaît bien l’un d’eux, Ivan Vaughan, son voisin et complice dans les conneries à faire. Ce dernier va lui présenter l’autre garçon, un copain de classe, Paul McCartney. Sonnez trompettes du destin ! Ces deux là ne le savent pas encore (d’ailleurs, comment auraient-ils pu savoir ?), mais ils vont jouer les frères siamois pendant près de quinze ans. Pour le moment, Paul, qui a amené sa guitare au cas où il y aurait moyen de taper un bœuf entre musicos, montre à John comment il joue Twenty Flight Rock d’Eddie Cochran (et note pour note s’il vous plaît !). Ce qui semble impressionner Lennon, mais également, le piquer au vif : « J’ai vaguement pensé : Il est aussi bon que moi. Jusqu’ici, j’étais le pilier. Maintenant, si je fais équipe avec lui, ça donnera quoi ? ».
Il paraît que cela a donné un engagement direct de Macca dans les Quarry Men, puis une grosse biture et un Paulo malade par manque d’habitude de son foie. Ils ne se mettront d’ailleurs au boulot que quelques semaines plus tard, une fois Paul étant parti en vacances, le cerveau et l’estomac encore en vrac. Durant cette trêve estivale, les Quarry Men donnent un concert, sans Paul, à la Cavern pour la première fois, le 7 août. John tente d’y jouer un peu de rock’n’roll mais reçoit l’ordre du proprio, Alan Sytner, d’arrêter « ce putain de rock ».
Paul revenu de vacances, le boulot commence vraiment. Et une alchimie entre les deux garçons se met en œuvre, ils semblent avoir ouvert les vannes de leur imagination et comme si tout découlait de source, ils passent des journées entières à jouer et écrire, encore et encore, parfois dans le salon des McCartney, d’autres fois chez la tante Mimi, presque en cachette, car elle ne voit définitivement pas d’un œil sympathique cette passion de la musique. Certains de ces essais de jeunesse vont disparaître, parce qu’on peut avoir de l’inspiration, mais pas forcément du talent. De plus, Lennon et McCartney ont décidé de faire passer à leurs compositions l’épreuve de la scène : si le public réagit, on garde, si c’est un gros fiasco, on jette sans remords ! Il existe par contre des « maquettes » de cette période qui vont être gardées puis réarrangées pour plus tard (ainsi Love Me Do et P.S : I Love You). Paul fait aussi écouter une chanson qu’il a écrit seul : I Lost My Little Girl, en hommage à sa mère. Elle sera jouée sur scène pour le premier concert de Paul avec les Quarry Men, le 18 octobre, mais ne sera pas gardée pour la postérité. La fin d’année est ponctuée de quelques concerts des Quarry Men, ce qui permet à Lennon et McCartney de se forger un peu d’expérience de la scène.
Entre temps, John est entré au Liverpool Art College et Paul fait la rencontre d’un jeune type à l’école, George Harrison, qu’il va présenter le 8 février 1958, à John. D’abord rebuté par son jeune âge (le gosse a tout de même 3 ans de moins que lui !), puis forcé d’admettre que, franchement, il se débrouille fort bien à la six cordes (en fait, George est le seul bon instrumentiste du groupe). Argument décisif : le gamin entre dans la bande.
Le 15 juillet, Lennon vit le plus grand drame de sa vie : Julia vient de mourir, renversée par un policier hors service, ivre. Elle sortait juste de chez la tante Mimi après sa visite hebdomadaire à son fils. La douleur de John est sans limites. Pour masquer son chagrin, il boit plus que de raison, devient un expert du vandalisme et avec Paul, il écrit toujours plus, il exorcise. Tous les deux orphelins de leur mère, ils comblent les vides affectifs en se raccrochant l’un à l’autre, ils s’épaulent, ils se comprennent, sans en parler. Ils n’en ont pas besoin, ils communiquent par la musique et leur collaboration se fait de plus en plus intéressante : les idées de l’un amène les critiques de l’autre, et les critiques amènent aussitôt une nouvelle idée. Et ça dure des journées entières comme ça, guidés par un processus créatif quasi-magique que même eux ont du mal à saisir. Même si leurs débuts, comme on l’a déjà dit, ne sont pas fulgurants, ils ont même la fâcheuse tendance de copier ce qu’ils entendent, car ne connaissant pas du tout le solfège, ils bossent à l’oreille et au feeling. Leurs premiers plagiats concernent tous les groupes rock à la mode, sauf les Shadows que John trouve parfaitement risibles, par leur manque d’originalité et de folie. Ce à quoi Harrison répond que eux au moins ont un son, clair, propre, reconnaissable... Le son au centre de leurs recherches futures, le gamin a des arguments imparables, heureusement que John l’a embauché (à défaut de le débaucher). Ca va changer leur manière de voir les choses, puisque jusqu’à présent, Lennon et McCartney étaient plus intéressés par jouer fort et faux en concert. Changement d’autant plus intéressant qu’ainsi ils vont commencer à faire des ballades plus romantiques, à la manière de Roy Orbison ou de Buddy Holly, leurs premières idoles, ce qui plaît fort aux filles. Et les filles ont de l’importance pour le duo, ils ont perdu les femmes de leurs vies, leurs mères, ils vont combler ce vide par de nombreuses conquêtes. Les filles en plus mettent de l’ambiance en concert et donnent une bonne image, raison de plus de les faire tomber comme des mouches.
Il n’y a bien sûr pas que des filles qui se retrouvent attirées dans le sillage irrésistible des Quarry Men, John se fait un ami aux Beaux-Arts, Stuart Sutcliffe qui voit en son voyou d’ami un génie potentiel mais qui risque de se gâcher à force de jouer au vandale fou furieux. Il va d’ailleurs être recruté à la basse pour le groupe. Avec Paul, il est celui qui est le plus apaisant pour John, grâce à sa sérénité et son calme imperturbable. Ce n’est bien sûr pas un bassiste génial, il est définitivement plus doué pour la peinture, mais ça semble l’amuser de jouer les rock stars. John est malgré tout un peu jaloux du succès de Stuart auprès de la gent féminine, lui qui déteste son gros nez et qui, malgré les apparences, n’a jamais été très sûr de lui. Aussi, quand il rencontre Cynthia Powell à l’université, et qu’il sent une ouverture possible, il en est tout chamboulé. Commence alors une histoire où John peut enfin découvrir les vraies joies de l’amour auprès d’une fille qui peut, pour le moment, le calmer et le décomplexer. Mais comme tante Mimi et madame mère Powell n’ont pas l’air réjouies par cette idylle, les deux tourtereaux se réfugient dans la petite chambre qui pue de Stuart pour faire des câlins en toute tranquillité.
Musicalement parlant, Paul et John sont de plus en plus ambitieux, ils pensent même pouvoir faire chanter leurs chansons par Frank Sinatra ! Et sur scène, les Quarry Men attirent de plus en plus l’attention. Comme ils sont tout fous dans leurs têtes, ils peuvent faire durer l’intro de What I’d Say de Ray Charles plus de 12 minutes et dégagent une énergie communicative. Rarement payés avec de l’argent, les patrons sont en général plus généreux avec la bière. Et ambiance !
Le 29 août 1959, ils jouent pour l’ouverture d’un nouveau club, appartenant à Mona Best, le Casbah Club et finissent par s’y ancrer solidement. Y a pas à dire, tout commence à bien s’enchaîner. Les noms du groupe aussi s’enchaînent. Les Quarry Men deviennent Johnny & The Moondogs (pour faire comme Buddy Holly et ses Crickets), ce qui amène une réflexion de la part de George : et pourquoi pas Georgie & The Moondogs siouplaît ? Une fois de plus, « Junior » fait mouche, cette petite touche d’insolence plaît bien à John qui décide de chercher encore (ils se produiront pourtant à trois sous ce nom pour la finale d’une émission appelée TV Star Search).
Toujours pour rendre hommage à Buddy Holly, et puisque l’idée des insectes semble chère à Lennon, il va se creuser le crâne et trouver que les beetles (scarabées) sont de charmantes bestioles. Le 5 mai 1960, les ex-Quarry Men et ex-Johnny & The Moondogs deviennent officiellement The Silver Beetles. Si en plus il y a un jeu de mot à faire, c’est la fête : John retire un « e » pour le remplacer par un « a », comme dans « beat ». Oué ! Des scarabées qui ont du rythme, ça c’est rigolo !
Ils passent donc par l’étape Silver Beatles et enfin, Beatles. John est tellement content que pour fêter ça, il se prend une bonne cuite. Et complètement cuit, il aurait déclaré : « Un ange m’est apparu en songe et m’a dit : désormais, vous serez les Beatles, avec un grand A ! ». Ce que Lennon oublie de mentionner, c’est que Stuart était avec lui la veille de cette déclaration fracassante et qu’il serait logique et juste de partager le mérite de cette trouvaille miraculeuse avec son ami. Pour couronner le tout, comme si leur nouveau nom avait une aura magique, ils dénichent un vrai batteur, Pete Best, le fils de Mona, ce qui leur assure l’ouverture totale à la Casbah, devenu le lieu branché de Liverpool. Pete Best n’est pas très marrant, mais il se défend plutôt bien et il a un oncle dans le show-bizness, un bien gentil tonton qui croit au potentiel du groupe. Et ainsi Allan Williams devient leur premier manager. Il commence alors à les faire tourner hors de Liverpool, et parce que le groupe a décidément une chance insolente, il se fait repérer par Bruno Koschnider qui leur propose d’aller faire un tour du côté de l’Allemagne.
Les Beatles partent donc forger leur mythe à Hambourg du 17 août au 30 novembre 1960. John quitte définitivement les Beaux-Arts et George qui n’a même pas 18 ans arrive à passer à travers les mailles du filet lors des contrôle à la douane. Et c’est parti mon kiki ! Là-bas, ils passent 106 nuits à jouer, à raison de 4 sets les soirs de semaine et 6 les week-end, d’abord à l’Indra Club, un boui-boui pour marins en escale où il n’est pas rare de voir des couteaux prendre l’air, puis au Kaiserkeller, qui ne vaut pas vraiment mieux que l’autre club...
Et là, c’est littéralement Sex, Drugs & Rock’n’Roll. Pour tenir le rythme, les musiciens se gavent de speed et d’alcool bon marché.
George Harrison : « Les effets conjugués de l’alcool et du Préludin - qui vous tient debout pendant des jours - provoquaient des hallucinations et un comportement de plus en plus étrange. John pétait parfois carrément les plombs [...] ». Ça fait peur... Sans oublier que les différents excitants maintiennent nos p’tits gars éveillés, ils les énervent aussi pas mal, et c’est presque de l’écume au coin des lèvres qu’ils font leurs concerts, dans un concentré pur d’énergie, de testostérone en folie et de rage absolue. Parce que, essayez de vous faire entendre dans un bouge à marins tout aussi excités que nos lascars, entre les cris et les bastons. Les Beatles jouent de plus en plus fort, de plus en plus vite, c’est pas du skiffle ça, non, c’est du vrai rock’n’roll qui tape et qui fait mal. Comme ils ont une sacrée bonne réputation, les filles se succèdent et des gens pourtant peu habitués à ce genre d’ambiance viennent les voir. C’est le cas de Klaus Voorman, étudiant en arts hambourgeois, à l’origine passionné de jazz qui considère que le rock n’est pas vraiment de la musique. Pourtant, il est bien forcé de constater que les cinq musiciens en jettent pas mal et il finit par complètement craquer pour eux. Il ramène également sa petite amie, Astrid Kircherr, également étudiante mais en photographie. Elle aussi tombe sous le charme, mais de manière un peu différente. Amusée par la différence d’attitude entre John, fou furieux parmi les fous furieux, qui monte parfois sur scène en caleçon, une lunette de toilettes en guise de collier, et le flegme caractéristique de Stuart qui, habillé de noir, tourne le dos au public et l’ignore cordialement. Elle craque sévèrement pour ce dernier, ce qui n’est pas pour déplaire au bassiste, et se rapproche peu à peu du groupe. Là où ça s’envenime, c’est qu’elle plaît également beaucoup à Lennon qui prend ombrage de la relation de son ami avec cette jeune femme fascinante. D’autant plus fascinante qu’elle ne semble nullement effrayée par le comportement chaotique de John, qu’elle n’est pas avide de conseils et prend vite un ascendant sur tout le groupe, totalement subjugué par cette petite fée blonde qui leur ouvre de nouveaux horizons. Elle les emmène dans des musées, parle poésie et cinéma nouvelle vague. Une véritable révolution ! Elle va finir par persuader Sutcliffe de reprendre la peinture, sûre de son talent, qu’il gâche un peu en étant un piètre musicien...
Puis, on ne sait trop comment, le police tombe sur le dos du groupe. Une thèse est avancée selon laquelle les Beatles, peu au courant de ce genre de choses, aurait brisé un contrat qui les liait à une boîte, pour aller jouer ailleurs (parce qu’ils étaient mieux payés...). Le genre de faux bond qui ne plaît pas à un patron, qui pour se venger va trouver les flics. Et forcément, c’est le moment où George est découvert et expulsé hors d’Allemagne parce qu’il est mineur, suivi par le reste du groupe (moins Stuart, resté près de sa douce) qui cherche à éviter d’autres ennuis : Pete et Paul en manque de lumière un soir, ont mis le feu à une capote, provoquant par la même occasion un bien bel incendie... Le 5 décembre, les Beatles prennent le bateau, tous penauds. John retrouve sa Cynthia, tout en pensant à Astrid, qui a définitivement modifié sa façon de voir les choses. Paul retrouve son père, tout en pensant au groupe, qui a définitivement pris la place la plus importante dans sa vie. Et tous les deux ensemble, gonflés à bloc par l’expérience qu’ils viennent de vivre, ils vont recommencer à écrire et cette fois-ci, ils comptent bien ne rien jeter. En tout cas, ils se jettent sur les reprises de ce qu’ils entendent à la radio, le monde n’est pas prêt pour leur message, et leur message n’est pas bien consistant, il faut trouver comment meubler...
Avant cela, il faut retrouver un bassiste, parce que sinon, ça le fait moyen. Ils embauchent donc un dénommé Chas Newby et retournent jouer à la Casbah de maman Best.
Et là, c’est le début de la folie, l’écume aux lèvres en moins, nos charmants amis ont quand même une sacrée énergie qui laisse les petits anglais sur les fesses. Ils ont un jeu de scène incroyable, balancent des blagues apparemment très, très, très drôles. Un véritable spectacle vivant.... Avec leur vécu hambourgeois, les Beatles rigolent bien à l’idée de devoir affronter une bande de jeunes branchouilles venus pour danser. Ça va saigner...
D’ailleurs, ça saigne pour le pauvre Pete, qui n’a apparemment rien appris en Allemagne, et qui commence de plus en plus à exaspérer les trois autres, qui ne se gênent pas pour l’insulter allègrement à la moindre faute.
Leur dernier concert de 1960, à Liverpool, marque même pour certains les prémices de la Beatlemania tellement ça commence à affluer pour venir voir les phénomènes, on les considère déjà comme « fabuleux » et leur réputation s’étend jusqu’à Manchester.
Le groupe commence la nouvelle année en remerciant Newby qui ne fait pas vraiment l’affaire. C’est Paul qui se colle à la basse et avec plaisir en plus. Il a une vision très nette de ce qu’il veut et puisque son grand-père paternel jouait de la contrebasse dans un orchestre de bal, il se dit qu’il doit avoir ça dans les gènes. Effectivement, l’hérédité fait bien les choses. Mieux encore, Paul va révolutionner la place de la basse dans la musique rock, puis pop (si, si !) en ajoutant au rôle rythmique de l’instrument, un rôle mélodique qui rappelle un peu le jeu de certains jazzmen, mais qui est totalement nouveau dans le joli monde du binaire.
En 1961, ils commencent à se sentir à l’étroit dans la Casbah, vite remplie de fans en folie. Comme ça marche décidément fort, ils s’achètent même un van pour faire des mini-tournées, piloté par leur nouveau roadie, ex-docker, Neil Aspinall, aujourd’hui PDG de label... Au mois de février, ils bougent pour aller à la Cavern qui entre temps, a fini par devenir un endroit branché où le rock est enfin autorisé, ce qui doit changer John de l’époque Quarry Men... Ils font un show là-bas dans l’après-midi, avant d’aller faire un concert ailleurs dans la soirée. Ils leur arrive même d’en faire trois ou quatre en une journée. La Cavern entre ainsi dans la légende et les Beatles y joueront 292 fois (après-midi ou soirées, parfois les deux) avant de décoller de Liverpool.
En attendant ce moment, George fête enfin ses 18 ans et le groupe retourne à Hambourg en mars, cette fois-ci dans un club légèrement plus classe que ceux qu’ils ont connu l’année précédente, le Top Ten Club. Ils vont y faire plus de 90 concerts, devant un parterre de fans de plus en plus nombreux mais aussi de leurs amis Stuart Sutcliffe, Klaus Voorman et Astrid. Cette chère Astrid à qui Lennon dédie parfois une reprise du King qu’il s’amuse à massacrer en bonne et due forme, It’s Now Or Never. Ce sera bien sûr never... C’est durant ce séjour que les Beatles entrent pour la première fois dans un studio d’enregistrement. Ils y enregistrent Cry For A Shadow, seul morceau de toute leur carrière signé et chanté par Lennon et Harrison, My Bonnie et Ain’t She Sweet, mais ils sont principalement là pour servir d’accompagnateurs à Tony Sheridan, sous le nom des Beat Brothers (il paraît que la sonorité du nom Beatles était trop proche d’un mot d’argot allemand, « peedles », désignant le pénis. Nous ne dirons rien quant à la sonorité du mot beat en français)... Ces sessions marquent la signature d’un contrat avec Kaempfert, orchestrateur de variétés, que le groupe finira d’honorer en 1962 en retournant à Hambourg pour faire deux morceaux. Le 3 juillet, le groupe retourne à Liverpool et songe sérieusement à se séparer de Pete Best, de moins en moins dans le ton. Paul louche sérieusement sur un batteur officiant dans le groupe Rory Storm and the Hurricanes, au nom plutôt marrant de Ringo Starr. De concert en concert, la réputation de groupe s’étend toujours plus loin.
Un coup de génie (et de chance, encore et toujours) va les faire évoluer un peu plus. Le 9 octobre pour fêter le 21ème anniversaire de John, lui et Paul vont à Paris en auto-stop. Il paraît que pour être sûr d’être pris, ils portent des chapeaux melons pour ne pas trop effrayer les braves gens avec leurs tignasses de jeunes dévergondés. Alors qu’ils étaient censés aller ensuite en Espagne, ils préfèrent rester en France. Et ils changent de coupe de cheveux en rabattant leur mèche sur le front à la place de leur éternelle banane... Révolution ! La coupe Beatles est née, Paul et John étant d’accord sur cette anecdote, ajoutant même qu’ils ont piqué ce style à Jurgen Vollmer (photographe de son état).
A leur retour, ils demandent aux autres de s’y mettre. George hésite mais accepte de suivre ses aînés. Pete refuse tout de go. Pas touche à sa mèche !!! C’est la goutte qui fait déborder le pot de Pento... Paul va trouver Ringo un soir où l’alcool coule à flot et il lui aurait déclaré quelque chose qui signifie, approximativement vu l’heure et l’état dans lequel ils se trouvent, que si le batteur se joint à eux, les Beatles sont assurés d’avoir la meilleure base rythmique de tout le rock. Ce à quoi Ringo aurait répondu tout aussi approximativement, que pourquoi pas, si la paie suit derrière. Hum...
Loin de ces considérations bassement matérielles (quoique...), les Beatles continuent de rameuter du monde. Pour la peine, un certain Raymond Jones va chez son disquaire lui demander un single du groupe (My Bonnie). Le disquaire en question, Brian Epstein, plus calé en jazz et musique classique doit reconnaître qu’il n’a pas ça en rayon. Le même jour il reçoit une autre demande du même genre. Intrigué et mettant presque son honneur en jeu, il se jure de découvrir qui sont ces Beatles. Quand deux jours plus tard il se retrouve face à deux filles qui veulent aussi le single mystérieux, il prend les choses en main... Début novembre, il appelle la Cavern pour qu’on lui réserve un billet, tout en ajoutant que c’est important. Le 9 novembre, il va enfin découvrir les jeunes gens et va d’abord se demander ce qu’il fout là-dedans avant de faire comme tout le monde, c’est-à-dire succomber au charme et à l’énergie des quatre garçons. A la fin du set, il va les voir, histoire de faire plus ample connaissance. Il se trouve que le groupe a perdu son manager à Hambourg, que niveau fric, ils sont plus enclins à se faire entuber qu’à gagner des fortunes. Pas très dégourdis donc... Mais aussi légèrement méfiants et impressionnés face à ce drôle de type pas de leur milieu. Parce qu’il faut bien le dire, Brian Epstein est leur total opposé. D’origine bourgeoise, juif et homosexuel, il lit Sartre et Cocteau et se passionne pour le théâtre. Rien à voir avec les jeunes habitués du petit club. Comme en plus il est honnête et franc, il propose direct de les prendre en main et de devenir leur manager, à condition qu’il touche 25 pour cent des recettes à venir. Ce qui fait un peu tousser Lennon... Mais en même temps, eux, ils sont là pour la musique. La proposition est donc acceptée. Et ainsi, Brian Epstein rentre dans l’histoire.
Le 10, à l’occasion d’un « festival » (Operation Big Beat), les Beatles jouent avec pleins d’autres groupes dont les Hurricanes et leur batteur aux doigts bagués, l’occasion pour tout le monde pour rencontrer le phénomène Ringo, tellement balèze qu’il arrive même à chanter tout en tapant, et sans perdre le tempo. Trop fort !
Le 1er décembre, un Brian Epstein très emballé leur arrange une rencontre avec les patrons du label Decca, dans l’espoir de leur faire signer un contrat. Dans sa lancée, il contacte le représentant londonien de la Deutsche Grammophone pour obtenir une sortie anglaise du single My Bonnie. Il contacte également le responsable des ventes de chez EMI pour obtenir un contrat de vente du single à venir.
L’année 1962 s’ouvre par l’audition chez Decca. Ils enregistrent quinze chansons à Londres et le stress n’aide pas vraiment. Le label va refuser de signer les Beatles, sous prétexte que les groupes à guitares ne sont plus à la mode. Ça n’empêche pas les Beatles de dormir tranquillement et de continuer à bosser inlassablement.
Le 4 janvier, c’est le début de la gloire : le groupe apparaît en couverture du magazine Mersey Beat, dans un numéro qui leur est presque entièrement consacré. Le lendemain, My Bonnie sort en tant que premier single anglais des Beatles avec Tony Sheridan. Enfin en confiance, ils signent enfin un contrat avec Brian le 24.
Courant février, Brian qui prend vraiment les choses à cœur, contacte Decca pour récupérer quelques acétates que le groupe avait enregistré lors des auditions. Il discute un brin avec des ingénieurs du studio et l’un d’eux, Syd Coleman lui promet de le mettre en contact avec un certain George Martin.
La routine des Beatles continue, c’est-à-dire qu’ils donnent des concerts à tour de bras, de plus en plus hors de Liverpool. Le 31 mars, ils font leur première date dans le sud de l’Angleterre, mais n’attirent que dix-huit malheureux spectateurs.
Qu’à cela ne tienne, les Beatles repartent une troisième fois pour Hambourg, le 10 avril. À leur arrivée, ils sont accueillis par Astrid qui leur annonce une terrible nouvelle : Stuart est mort deux jours plus tôt à la suite d’une hémorragie cérébrale. John est effondré, il vient de perdre l’un de ses amis les plus chers, comme si le sort semblait s’acharner sur lui... Il n’a pourtant pas le choix, il faut qu’il assure les quarante-huit nuits à venir dans le club haute catégorie d’Hambourg, le Star Club.
Pendant ce temps, Brian tente une négociation avec Parlophone, label dépendant d’EMI. Au lieu de seulement lui promettre, Syd Coleman lui arrange une entrevue avec George Martin, pour le lendemain. Le producteur accepte de rencontrer les poulains du manager pour les écouter un brin. Brian prévient ses gars avec un télégramme, histoire de les motiver un peu plus.
Ils rentrent à Liverpool le 2 juin, vont à Londres pour montrer ce qu’il savent faire à Martin, qui n’aime pas le rock’n’roll et qui semble être un vieillard sénile aux yeux des quatre petits jeunes (Martin est né en 1927 et a donc 35 ans, un âge canonique !). Ça promet... Et comme à chaque fois (ou presque), la chance est au rendez-vous : George Martin écoute poliment et le 4 juin, le groupe est admis au sein d’EMI. Dès le lendemain, le groupe est au boulot à Abbey Road pour enregistrer trois morceaux (Besame Mucho, P.S : I Love You et Love Me Do).
Le producteur veut bien faire un effort, déjà qu’il n’est pas bien emballé par cette histoire de jeunes chevelus, mais si Pete Best continue, il préfère lâcher l’affaire. Le prétexte idéal et tant recherché par le groupe pour se séparer du batteur tombe à pic. Pete tient encore un mois et fait ses adieux aux Beatles le 16 août. Pas très fiers, les garçons font porter le chapeau de ce renvoi à Brian et invoquent la raison bidon que de toute manière, Pete Best plaisait trop aux filles. Ringo Starr refait son apparition dans la tête des trois survivants et tape l’incruste à la demande d’Epstein. Ce dernier trouve une bonne idée pour ce nouveau départ : avant de mettre ses gars en studio, il les met dans des costumes. Adieu blouson de cuir et santiags. Les Beatles tous proprets font leur apparition. C’est à ce moment qu’ils sont filmés pour la première fois lors d’un concert à la Cavern, comme pour officialiser ce nouveau line-up...
Le 23 août, John endosse un autre costard, celui de jeune marié. Il s’unit officiellement à Cynthia, pour le meilleur. Et surtout pour le pire... A vrai dire, si Lennon passe devant monsieur le maire, c’est qu’il va être papa et que malgré son désarroi, il a appris les bonnes manières à la façon tante Mimi. Ah ! Elles sont loin les nuits hambourgeoises ! Ringo a à peine le temps de se mettre dans le rythme et John de profiter de sa petite femme et ils vont enregistrer à toute berzingue ce qui va être le premier single des Beatles nouvelle mouture, Love Me Do / P.S : I Love You.
Les séances ne sont pas de toute facilité. Lors de la première session du 4 septembre, Martin a un peu de mal à se faire au style Beatles : que la basse et la batterie soient en décalage, ça l’horrifie, ce n’est pas dans les règles. Il décide de baisser le son de Starr, et ça, ça horrifie Lennon. Sa vengeance : il a appris à jouer de l’harmonica une semaine avant, il va en jouer très mal et fort pour la peine. La session du 11 est encore pire, puisque le producteur décide de refaire complètement Love Me Do. Comme les batteurs de rock semblent représenter une vraie phobie pour lui, il cantonne Ringo au tambourin, fait venir un batteur de studio et provoque une mutinerie générale. Pour tenter de se faire pardonner George Martin propose de mettre une version de la chanson sur le single et l’autre sur l’album. Il décide également de laisser faire les garçons à leur convenance.
Le single sort le 5 octobre et ne marche pas fort sur la BBC, quelque peu conservatrice. Seule une radio de Manchester ose diffuser le morceau qui marche vite chez les jeunes auditeurs. Epstein met le paquet niveau promo dans son magasin de disques, ce qui amène un peu plus de curieux (et de jeunes fauchés) à s’intéresser aux Beatles. Il n’empêche que le succès grand public ne vient pas de Liverpool et le groupe part faire les interviews et les concerts à Manchester. Et sans y être vraiment préparés, ils commencent à déclencher l’hystérie dans le public. C’est effectivement surprenant quand on ne s’y attend pas, mais ça ne déclenche pas beaucoup d’émotion chez nos quatre héros. En tout cas, ça en déclenche moins que leur rencontre avec Little Richard qui les rend complètement euphoriques. Quand le héros de McCartney leur fait des bisous, c’est la folie, ils sont officiellement hissés au rang de stars du rock. A vrai dire leur amour inébranlable de la musique émeut également ce grand fou de Richard, surtout qu’il sait qu’il en est un peu la cause. Pour la peine, il va apprendre à Paul comment pousser de bons « Ooooh » à sa manière. Si c’est pas cool ça... A la fin de l’année, Love Me Do a atteint la 17ème place des charts et y est resté pendant 18 semaines. Pas mal pour un début...
Pour la quatrième fois, ils retournent à Hambourg, où ce n’est que folie et démesure, ils doivent même être protégés par un nouveau venu dans l’équipe officielle Beatles, Mal Evans, gentil géant, ancien videur de boîte à Liverpool. Le répertoire du groupe est encore principalement composé de reprises de standards rock, dont Twist And Shout est le fer de lance, concluant toujours les concerts et malgré la fatigue, toujours mené tambour battant... Retour éclair en Angleterre où ils enregistrent quelques chansons en plus et toujours à un rythme effréné. On se demande encore comment ils ne sont pas morts d’épuisement...
Pour fêter dignement la fin d’année, ils retournent faire la fête à Hambourg. Ce sera leur dernier voyage là-bas...
Les gamins ont bien poussé. Il est temps de passer à l’étape suivante, les premiers succès vont tomber. Le monde n’a qu’à bien se tenir, ils viennent le conquérir... Ils ont (presque) tous 20 ans et ils sont gueudins...
Disons que c’est la partie où on s’amuse bien, tant que le succès n’est pas trop pesant.
Les Beatles sont jeunes et ils s’adressent directement aux jeunes, les réactions sont spectaculaires et différentes selon les sexes : les garçons tapent frénétiquement dans leurs mains et secouent leur mèche, les filles s’accrochent à leurs culottes et virent hystériques. Et les parents trouvent qu’ils sont bien gentils ces p’tits gars (même que maman trouve que Paul est mignon)... S’ils savaient les pauvres. Oui, ça sent les hormones, même masquées par une bonne dose de niaiserie et de bons sentiments. Ça sent l’adolescence quoi !
Ce qui va marquer cette nouvelle étape dans la carrière des futures idoles des jeunes, c’est la créativité sans borne du duo magique Lennon - McCartney, qui écrit dès que l’occasion s’en présente c’est-à-dire, de moins en moins souvent et généralement dans des endroits assez insolites (les toilettes en tête de liste). Il paraît qu’ils écriront environ cinquante chansons rien que pour l’année 63.
D’ailleurs, dès le début de cette année, qui s’annonce prometteuse, le single Please Please Me / Ask Me Why atteint la deuxième place des charts en une semaine.
Pendant ce temps, Brian signe des contrats de management à un rythme aussi dingue que celui suivi par son groupe vedette, et les groupes qu’il va diriger vont bientôt entrer dans la catégorie du « Mersey Sound », un style qui n’aura même pas la chance de sortir vraiment de l’eau et qui s’y noiera aussi vite qu’il aura été crée. Il n’empêche que ces quelques groupes (Gerry and The Peacemakers, Billy J. Kramer and The Dakotas...) ont aussi la fonction de récupérer les morceaux laissés en rab de Paul et John, qui en font définitivement beaucoup trop, même pour eux... D’ailleurs, ils en font tellement que le public n’a pas le temps de se lasser, et comme tout se transforme en tube potentiel à l’approche de la coupe au bol d’un Beatle, c’est forcément la folie et de l’amour débordant qui résulte de ce trop plein d’inspiration.
Il est temps pour le groupe d’enregistrer son premier album. Ce qui deviendra Please Please Me a été enregistré en 585 minutes, soit une journée d’enregistrement, le 11 février. Efficacité, rentabilité. A peine sortis des studios, les Beatles entament leur première tournée anglaise (pour le Helen Shapiro Tour) auprès d’autres artistes, à qui ils volent implacablement la vedette. Les filles commencent à crier plus fort, nos quatre garnements s’en délectent et en profitent comme il faut... Dans le bus de cette tournée, John et Paul écrivent From Me To You. Le même mois, Brian Epstein et Dick James fondent officiellement Northern Song Limited, de quoi mettre encore plus de beurre dans les épinards...
La tournée avec Helen Shapiro s’achève le 3 mars, et peut-être parce qu’elle sent bien que les gosses ont un potentiel, la madame leur demande de lui écrire une chanson. Ça va être facile pour eux, vu qu’elle leur sort presque par les trous de nez...
Ils n’ont même pas le temps de retourner chez eux, ils sont quasiment télé-transportés à Londres pour des séances photo, afin d’assurer la promo de leur album à venir. Les Beatles sont gentils, ils sautent quand on leur dit de sauter, ils sourient aimablement à l’objectif, apparemment, être des stars, ils aiment ça, même si avec le recul ils obtiennent une image gentiment niaise (Woooh ! Comment c’est trop marrant de bondir dans les airs !). Mais où sont nos rockers d’antan ?
Et puis le repos, ce sera pour plus tard, les Beatles enchaînent dès le 9 mars leur deuxième tournée anglaise, toujours le succès et l’hystérie à la clé et eux... Ils sont contents. Encore plus forts, ils sont invités à la BBC qui ne voulait même pas diffuser My Bonnie, belle revanche et ils y enregistrent quelques morceaux en live. Comme ils ont un bagout pas possible et qu’ils sont toujours prompts à faire des blagues, ils sont les clients idéaux pour la vénérable station de radio qui les fait revenir un certain nombre de fois. Paul imite Mickey Mouse à la perfection, quand les musiciens se présentent, John sort une phrase du genre « I’m John and I too play guitar... Sometimes I play the fool ». Le tout avec un adorable accent du Nord à couper, non pas au couteau, mais à la tronçonneuse... Fierté toute prolétaire et refus de renier leurs origines sociales, les Beatles sont aimés aussi parce qu’ils ne mentent pas sur qui ils sont.
Le 22 mars, leur premier album sort enfin chez les disquaires et à peine sortis, les Beatles sont déjà repris par d’autres artistes... Le disque suit son petit bonhomme de chemin, et sans prévenir, il se retrouve à la première place dans les charts et passe un séjour de 70 semaines dans les tops anglais. La routine pour les Beatles, c’est enregistrement - concert - interview (radio ou télé). Au mois d’avril, John qui est vraiment trop fou, casse son petit train-train pour enfin aller dire bonjour à son fils Julian, né une semaine plus tôt. Il fait part de son choix du parrain pour leur bébé à Cynthia : ce sera Brian Epstein. Relation étrange entre ces deux hommes. John pouvait être absolument ignoble avec son propre manager, mais il était aussi capable de beaucoup d’affection. Après tout, Brian a cru en lui et a cru en eux... Lennon n’a jamais vraiment eu de figure paternelle à admirer et à aimer, Epstein est rassurant pour cela. Il porte un véritable attachement empreint de tendresse aux quatre garçons qui lui font en retour une entière confiance et voient en lui un repère solide dans tout ce bordel qui se forme à leur approche. Au final, les Beatles sont peut-être de plus en plus entourés de gens intéressés par leur succès, mais ils ne sont pas dupes. Ils forment une sorte de tribu où les intrus n’ont pas de place, comme une petite société à part, et principalement masculine de surcroît, entourés de leurs deux roadies chéris, de leur manager et du vieux producteur (encore un peu grincheux) d’Abbey Road...
Peu de temps avant l’épisode familial évoqué plus haut, le single From Me To You / Thank You Girl est sorti, le 11 avril. Et sans mentir, c’est un succès qui va faire plus fort que le single précédent en restant sept semaines à la tête des classements (contre trois pour le précédent).
Le 18, le groupe se produit au Royal Albert Hall pour un concert filmé par la BBC. C’est également ce jour là que Paul va rencontrer la jolie Jane Asher, qui va devenir sa petite amie officielle longue durée (et on dit bien officielle, parce que des petites amies officieuses, le crooner en herbe n’en aura pas qu’une...). Après tant d’efforts, John et Brian finissent par s’envoler vers l’Espagne histoire de se remettre un peu de toutes ces émotions...
Mais comme il n’y a pas que John et Paul dans le groupe, parlons un peu du « petit » Harrison qui s’acoquine avec des rockers en herbe de Londres, The Rolling Stones. Fort sympathique, George les recommande chaudement à Dick Rowe, patron de Decca, qui, ayant refusé les Beatles et s’en mord les doigts, fait signer les cinq musiciens à la vitesse de la lumière. Profitons-en pour tordre le coup à cette malheureuse histoire de rivalité Beatles / Stones qui n’a été inventée que par une presse avide de sensations. Les deux groupes étaient amis, les Beatles ayant même réussi à leur refiler I Wanna Be Your Man. Qu’est ce qu’ils sont meugnons alors !
John rentre de vacances et rejoint les copains pour la troisième tournée anglaise des Beatles et là, c’est le choc, ils vont partager l’affiche avec Roy Orbison, une autre de leurs idoles. Et cette fois, Lennon va même s’excuser auprès de lui pour leur succès quelque peu envahissant. Comme quoi, on peut être un rebelle mais avoir le respect de ses aînés ! Au mois de juin, le groupe rentre enfin se reposer à Liverpool, même si ça ne dure pas longtemps... Ils continuent d’enregistrer régulièrement des morceaux pour la BBC qui leur consacre des séries entières d’émissions (Pop Go The Beatles), repartent en tournée dans leur van pourri, écrivent She Loves You dans une chambre d’hôtel et l’enregistrent presque dans la foulée, en même temps qu’une poignée d’autres chansons destinées à être mises sur le nouvel album.
Brian Epstein, lui, commence à avoir plus d’ambition et monte un contrat pour une série de concerts en Australie, ainsi qu’en France pour 1964. Ce qui n’est pas encore appelé la Beatlemania s’étend à un tel point que le 22 août, il a été reçu près de 500.000 pré-commandes du prochain single britannique des Beatles, She Loves You / I’ll Get You, qui sort d’ailleurs dès le lendemain et qui se classe presque aussitôt à la première place des charts.
A partir de ce moment, les Beatles vont dominer la variété anglaise et caser des numéros un à presque chaque single jusqu’à la fin de leur carrière. Et là, plus la peine de parler de magie. Il faut parler de sorcellerie ! Le groupe développe de plus en plus un vrai sens du tube, de la mélodie. Celle qui reste scotchée dans la tête pendant des jours et même qu’on n’arrive pas à la virer.
Et les textes... Ces textes sentant bon la guimauve, jusqu’à l’indigestion. L’amour, LE thème universel. Les Beatles chantent pour chaque auditeur, euh... auditrice. A chacune, ils veulent lui tenir la main, lui dire comme elle est jolie et comme ils lui envoient tout leur amour...
Récapitulons...
Du charisme, du talent, du rythme, de la légèreté, du plaisir, du bonheur. Parce que, non, ce n’est pas triste un Beatle, sauf quand sa petite amie ne veut plus lui tenir la main. Et puis un merchandising à faire peur. Les Beatles se vendent sous toutes les formes, toutes les incarnations possibles et inimaginables (des cintres par exemple).
Les Beatles sont partout, il faut vivre dans un trou pour ne pas les connaître. Mick Jagger en parle comme « un monstre à quatre têtes » quand il se souvient de leurs premières années de succès.
Le 6 septembre, on annonce à la presse que les Beatles feront un show spécial Noël, sur l’idée d’Epstein. Toujours pour la télé, grâce à laquelle la réputation du groupe va se répandre plus vite qu’une impulsion électrique, ils passent dans l’émission culte Ready, Steady, Go !, le 4 octobre. Le même mois, la BBC diffuse un documentaire intitulé The Mersey Sound et en vendra un bout à une chaîne américaine, sans l’accord d’Epstein, furieux. Ce qu’il ne sait pas, c’est que cet extrait contient un « clip » de She Loves You et que ce coup de pub va attirer l’attention des Américains. Chaque single est en effet sorti aux USA, mais aucun n’a marché. Les Beatles en cette fin d’année sont encore un phénomène typiquement anglais. La preuve, quand ITV diffuse le concert du London Palladium en direct, environ 15 millions de téléspectateurs sont scotchés devant leur écran. Pour remédier à ce manque d’intérêt hors de leur propre pays, les Beatles vont en Suède courant octobre, histoire de secouer les cheveux devant un public qui ne les connaît pas encore. Dès leur retour, Epstein leur annonce qu’ils ne vont pas tarder à tourner un film... pour le moment, ils embrayent sur leur quatrième tournée anglaise. Le 4 novembre 1963, lors d’un concert donné en présence de la princesse Margaret et de la reine mère, John Lennon lance en intro de Twist And Shout : « Je voudrais vous demander de participer à notre dernier morceau. Les spectateurs des places bon marché peuvent applaudir. Les autres contentez-vous de secouer vos bijoux. » Et paf ! On ne tue pas si facilement un rocker avec un simple costume...
Certains journalistes voient d’un mauvais œil cette folie collective qui s’abat sur la jeunesse britannique. Ainsi le Daily Express, qui voit dans cette hystérie de masse, un simple moyen de remplir des crânes vides, tandis que le Daily Mirror lance l’expression qui va s’imposer à travers le monde et qui explique fort bien les choses : Beatlemania ! Une telle manie, qu’à Birmingham, les Beatles doivent s’échapper de leur propre concert déguisés en policier... Au même moment (si on ne prend pas le décalage horaire en compte), Brian est à New York pour négocier une apparition télé du groupe dans l’émission d’Ed Sullivan et cède les droits d’image des Beatles en exclusivité à CBS pour toutes leurs prestations américaines et ce, pendant un an.
A son retour en Angleterre, Brian doit faire un communiqué de presse pour dire aux fans de ne rien lancer sur scène pendant que le groupe joue. Toujours dans la presse, on apprend qu’un prêtre de l’Église anglicane demande aux Beatles d’écrire une chanson de Noël...
Le 22 novembre, With The Beatles, le second album du groupe sort et une semaine plus tard, il remplace le premier à la tête des charts. Quant à She Loves You la chanson a atteint le stade du million de copies vendues. Le 29, on balance le single suivant (en espérant qu’il fasse aussi bien que son prédécesseur), I Want To Hold Your Hand / This Boy, qui sortira aux États-Unis le 26 décembre..
Entre décembre et janvier, ils squattent une salle pour le Beatles’ Christmas Show, dont ils partagent l’affiche avec d’autres groupes gérés par Brian Epstein. Les places sont très vite vendues et déjà, le groupe commence à ne plus s’entendre sur scène.
Pour couronner cette fin d’année, McCartney et Lennon sont élus meilleurs compositeurs de l’année par un critique du Times.
1964 : Ça y est, ils en rêvaient, ils l’ont fait. Le dernier single monte enfin dans les charts, lentement, mais sûrement, John est ravi et avoue qu’il ne s’y attendait vraiment pas.
En ce début d’année, ils viennent voir comment ça se passe en France. Ils jouent à l’Olympia avec Sylvie Vartan et Trini Lopez. Le public est séduit, pas les critiques. Pourtant le groupe fait des sets de plus en plus longs, Trini et Sylvie n’ayant pas réussi à arrêter les projectiles lancés sur eux par des fans qui veulent voir les Anglais. Il est d’autant plus marrant de dire que c’est Vartan elle-même qui a demandé ces petits jeunes en première partie, vu qu’elle avait eu vent de leur succès grandissant Outre-Manche. Le 16 janvier, la nouvelle tombe : I Want To Hold Your Hand est première dans les charts US. Exultation générale et débouchage de champagne. La joie est telle que Brian accepte qu’on le prenne en photo avec un pot de chambre sur la tête.
Après cet interlude léger, il est temps de passer aux choses sérieuses. Le 20 janvier sort la mouture américaine du second album, Meet The Beatles. Afin d’en assurer la promotion, en attendant de fouler le sol du pays de leurs rêves, les Beatles donnent une interview, mise sur disque et envoyée aux radios américaines.
Resté en France, le groupe enregistre pour la première fois hors d’Abbey Road, aux studios EMI Pathé Marconi à Paris des reprises en allemand de leurs propres chansons ce qui donne : Komm, Gib Mir Deine Hand et Sie Liebt Dich.
Il faut cependant qu’ils se préparent au voyage le plus important de leur jeune vie, d’autant plus, que la veille de leur arrivée à New-York, toutes les places pour le Ed Sullivan Show sont vendues. Heureusement qu’ils ne le savent pas, ça peut mettre la pression.
Ce qu’ils ne savent pas non plus, c’est que la Beatlemania est beaucoup plus intense Outre-Atlantique. Ils vont le découvrir avec une stupéfaction et une joie non dissimulées, à leur arrivée le 7 février 1964. Dans l’aéroport empli de fans hurlant(e)s, ils donnent une conférence de presse avant d’être amenés à l’hôtel Plaza. George trouve alors que c’est le bon moment de se choper une bonne grippe et c’est ainsi que cloué au lit avec une bonne fièvre, il rate la séance photo à Central Park. En revanche il ne se risque pas à rater le Ed Sullivan Show qui se déroule en direct, le 9 février et rentre dans les annales.
L’émission bat en effet des records d’audience, que l’on estime à 73 millions de spectateurs, soit 72,7 % de l’audimat ce soir-là... Dès le lendemain, Elvis himself envoie un télégramme de félicitations aux quatre garçons qui baignent dans la félicité la plus totale.
Ils quittent New-York le 11 et vont jouer à Washington. Le 12, le Premier Ministre anglais rencontre le Président Américain, Lyndon B. Johnson, à la Maison Blanche. Ce dernier déclare : « J’aime beaucoup votre avant-garde. Mais ne pensez-vous pas qu’ils ont besoin d’une bonne coupe de cheveux ? ».
L’avant-garde n’est pas allée chez le coiffeur. Elle est allée prendre le soleil du côté de Miami où elle rejoue un peu, dont une fois pour le Ed Sullivan Show, encore, avant de prendre un peu de repos. Cette fois-ci, c’est le Colonel Parker, manager d’Elvis, qui appelle pour féliciter Brian et ses p’tits gars. Les p’tits gars qui vont faire quelques photos avec le jeune prodige de la boxe, Cassius Clay (futur Mohammed Ali). Tout ça a l’air de follement amuser Paul : sur les photos, on voit qu’il est à fond dedans, toujours près à jouer le jeu des photographes. Ringo suit le mouvement. Quant à Lennon et Harrison, ils se renfrognent et font du mieux qu’ils peuvent pour avoir l’air de prendre plaisir à faire des pitreries, mais ça sent le sourire forcé à plein nez...
Ils pensent pouvoir rentrer tranquillement à Londres ? Ils se trompent. Arrivés à Heathrow, ils sont accueillis en héros par les hurlements de 3000 fans.
Le 23, Ed Sullivan diffuse un enregistrement fait par les Beatles lors de leur visite américaine. C’est la première fois qu’un groupe passe trois fois dans ce show, et ce, en moins d’un mois. A vrai dire, on comprend mieux d’où vient le terme de « British Invasion » ainsi que les conséquences de cette conquête de l’Ouest par les quatre de Liverpool qui ne laissent pas les choses traîner. Et plutôt que de savourer leur gloire, ils rentrent à Abbey Road pour de nouvelles sessions d’enregistrement.
Pourtant de temps en temps, la pression se fait plus forte et les nerfs commencent à moins supporter tout ça... Lors de sa fête d’anniversaire, George, découvrant que la presse a également été invitée, s’énerve, détruit son gâteau et s’en va.
Mais malgré tout ça, il sont forts, très forts. Ils sont à la radio, à la télé, dans les journaux, sur des culottes féminines aussi... Il ne manque plus qu’une chose pour créer le mythe ultime : le premier film des Beatles, sur les Beatles, avec les Beatles. Ce sera chose faite avec A Hard Day’s Night, étrangement traduit en français comme Quatre Garçons Dans Le Vent, dirigé par Richard Lester.
George, John, Paul et Ringo ne sont pas acteurs. Les figurants non plus. Forcément, un bataillon de furies qui vous course, ça n’aide pas à faire plusieurs prises, mais c’est tellement plus naturel !
Du cinéma réalité, avant la télé réalité. Vraiment trop forts !
Mention « Très Bien » à George qui rencontre la jolie Pattie Boyd durant le tournage (un indice, elle est dans le scène du train) et qui va finir par l’épouser. Attribuons également une mention spéciale à Ringo qui se débrouille vraiment bien et qui arrive même à jouer la comédie avec une gueule de bois et une nuit blanche dans les pattes.
À partir de ce moment, chaque Beatle est un personnage bien distinct :
Et c’est l’image qui demeure le plus. Richard Lester aime à plaisanter là-dessus en disant qu’il a inventé les Beatles, version images d’Épinal...
Sauf que les vrais Beatles continuent d’œuvrer dans l’ombre. Alcool, femmes, fêtes gigantesques. Oui, ça déconne bien en coulisses mais les apparences sont sauves. Les Fabulous Four sont là, mignons et rassurants, dans votre télé, votre radio. Dans votre salon quoi !
Un qui ne perd décidément pas de vue qui il est, c’est bien John dont le livre In His Own Write est publié le 23 mars. La critique a un peu de mal à saisir son style à la fois surréaliste et parfaitement cynique. Du Lennon quoi...
Les critiques sont en revanche dithyrambiques concernant A Hard Day’s Night, considéré comme le meilleur film musical jamais fait depuis West Side Story et commercialement, le succès de l’année.
En parlant de succès et parce que l’anecdote est quand même impressionnante, le 4 avril, Les Beatles sont 1, 2, 3, 4, 5, 31, 41, 46, 58, 65 et 79èmes dans le Top 100 des singles américains.
Musicalement, il semble que l’heure soit au changement. Les Beatles sont devenus un groupe pop, style qu’ils ont inventé (ça c’est pour faire un raccourci facile), et le rock n’est présent chez eux que par les reprises qu’ils continuent de faire sur les albums et en concerts. Ne pas perdre ses origines comme objectif premier. Au milieu de ce pandémonium, il s’agit de ne pas trop se choper le melon, ne pas oublier d’où l’on vient. C’est fort et ça permet aux garçons de garder un orteil ancré au sol.
Brian tient à garder un rythme olympique : dès le mois de juin, il planifie le prochain show spécial Noël, plus grand, plus beau, plus fort que celui de 1963.
Et c’est reparti pour une tournée... Coup dur, juste avant le départ, Ringo fait un malaise lors d’une séance photo. Le médecin est appelé aussitôt et est sans appel, vu l’état de la gorge complètement infectée du pauvre batteur, il ne va pas pouvoir être de l’aventure. Il faut lui trouver un remplaçant. Celui-ci sera choisi par George Martin et Brian Epstein, il s’appelle Jimmy Nicol et il ne doit vraiment pas se douter de ce qui l’attend...
D’abord une date à Copenhague puis la Hollande où ça commence plutôt mal : à leur arrivée, des fans voulant les approcher se jettent dans un canal. Les Beatles ne sont pas rassurés et le pauvre Nicol se demande dans quel pétrin il s’est fourré.
De toute manière, vu la manière dont les choses évoluent, la trouille commence à vraiment prendre le dessus... Des sets qui durent 55 minutes au grand maximum où la barrière de sécurité est devenue essentielle pour éviter un assaut des foules en extase, c’est pas une vie... L’Australie, où Ringo rejoint la petite troupe, La Nouvelle-Zélande. Puis un retour en Angleterre où nos quatre voyageurs intrépides et jet - lagués tentent de se reposer entre deux manifestations. En tout cas, c’est ce qu’espère John quand il achète une maison dans le Surrey... Du calme ! Des oiseaux qui chantent ! De l’herbe qui pousse ! Un véritable luxe quand depuis presque un an, on vit au milieu de hurlements. Avant de s’acheter une autre maison, plus proche de Londres parce que c’est quand même plus pratique pour rallier Abbey Road rapidement. Car oui... Les nordistes abandonnent Liverpool pour la capitale. Mais on ne peut pas vraiment parler d’installation. A peine atterris, à peine repartis.
Les tournées marathon se suivent et se ressemblent. Programme pour le groupe : avion - mission suicide dans foule hurlante - voiture - hôtel - mission suicide dans foule hurlante - voiture - scène - mission suicide dans foule hurlante - voiture - hôtel - mission suicide dans foule hurlante - voiture - avion et ainsi de suite... Partout où il passe, le groupe déclenche une hystérie de masse, ce qui est tout de même usant. Même pour un Beatle.
Août 64, re les USA, en long, en large et en travers.
C’est fini, le groupe n’est plus audible en concert, les décibels du public couvrent le buzz de leurs petits amplis. Forcément, le niveau baisse, plus la peine de s’accorder avant de jouer. Etre en rythme ? Chanter juste ? A quoi ça sert dans cette débâcle... ?
Ça sert à rencontrer Bob Dylan, nouvelle icône de la jeunesse protestataire, un song-writer engagé, inspiré. Pour beaucoup, l’équivalent américain de John Lennon.
En attendant, il a un train d’avance sur ces petits anglais. Pensant que des stars de leur envergure ont recours à des paradis artificiels, il leur fait découvrir la fumette. Et ça le surprend beaucoup. Il paraît qu’en écoutant I Want To Hold Your Hand, il s’est mépris sur les paroles, changeant les « I can’t hide » en « I get high ». Preuve que de tous temps, les paroles des Beatles ont été analysées, décortiquées et très souvent, mal interprétées. Une tendance qui ne fera qu’augmenter avec l’intellectualisation de leur musique... Outre les brancher sur le fumage de pétard, il explique aussi sa vision des choses quand aux situations sociales et politiques actuelles. Ça peut paraître rose comme ça, les Glorieuses Sixties, mais le temps est au changement et les USA foisonnent de mouvements underground, fortement politisés. L’Amérique s’enlise au Viêt-Nam, les droits des Noirs sont bafoués. Martin Luther King, tout juste Prix Nobel de la paix a beau essayer, le racisme est roi en Amérique. De plus, la jeunesse commence a en avoir sérieusement marre des valeurs de papa et maman. La consommation excessive commence à être montrée du doigt comme un véritable fléau. Les Beatles vont peu à peu prendre conscience de tout cela et modifier singulièrement leur façon de voir les choses en ouvrant un peu leurs esprits à des idées qu’ils n’auraient pas forcément imaginer avoir quelques mois auparavant. Merci Bob ! Paul en premier va se passionner pour la politique et la lutte antiracisme. Lennon aussi, même s’il avoue qu’il va certainement voter pour les conservateurs aux prochaines élections.
Mais ce sera après. Pour l’instant, il faut qu’ils arrivent à gérer leur propre survie dans tout ce cirque. Ils finissent tant bien que mal cette tournée américaine, entre une fausse alerte à la bombe dans un avion, des fans tellement furieux qu’il faut attendre un quart d’heure en coulisse que le calme revienne (et encore, est-ce que le calme existe dans un concert des Beatles de cette époque ?) et une autre prestation chez Ed Sullivan, et rentrent enfin à Londres. Pour enregistrer... Ces garçons ne sont pas humains... D’autant plus qu’avec leur nouveau morceau Eight Days A Week, ils vont se permettre d’élargir un peu plus leur champ musical. Niveau paroles, ça reste gentil, mais pour ce qui est de la musique... C’est une autre affaire. D’autant plus que George Martin appuie de plus en plus leurs audaces au lieu de ne pas les comprendre, comme au début. Il leur façonne un son et des arrangements, sur sa table de mixage à quatre pistes, qui poussent toute l’industrie du disque à les imiter, puis à innover derrière eux. Les Beatles sont un moteur qui a insufflé de la passion à des tas de jeunes britanniques et américains, qui, dans leur sillage, se sont également lancés dans la musique.
L’Angleterre et les États-Unis vivent des moments extraordinaires de créativité où une sauvage jeunesse est prête à tout dévaster sur son passage. Et les Beatles sont là, leaders incontestés, souvent imités, jamais égalés. Tellement forts qu’ils créent une pop dont ils explosent les limites qu’ils ont fixé eux-mêmes peu de temps avant... Ça commence à devenir véritablement passionnant cette histoire ! Encore plus fort avec I Feel Fine : Lennon découvre qu’on peut faire un truc incroyable avec le larsen, jusqu’alors considéré comme un bruit parasite et l’utilise comme un élément musical à part entière. Harrison balance des riffs, certes discrets, mais de plus en plus efficaces. Comme il traîne avec d’autres musiciens et que, comme à son habitude, il a les oreilles aux aguets, il prend conscience de l’importance grandissante des guitaristes solistes dans le rock, d’autant plus que son meilleur ami, Eric Clapton est l’un de ces mêmes solistes, au sein des Bluesbreakers de John Mayall. Et puis, si ça ne tiendrait qu’à lui, il proposerait ses chansons qu’il commence à écrire. Mais voilà, au-dessus de lui, il y a les frères jumeaux de la pop qui ont l’hégémonie au sein du groupe. Presque des tyrans pourrait penser leur cadet, car ils ne portent effectivement pas grande attention à ce que leur jeune guitariste a à proposer, trop sûrs d’eux-mêmes. Si il y en a un qui a compris que ça ne sert à rien de s’énerver pour si peu, c’est bien Ringo qui une fois hors des studios et loin de sa batterie, ne s’imagine pas un instant avoir l’idée d’écrire ou de composer. Lui, il tape et quand il ne tape pas, il fait la fête ou il va retrouver sa petite Maureen...
N’empêche qu’entre deux enregistrements, il faut retourner donner des concerts, perspective de moins en moins réjouissante. Chose étrange, les singles des Beatles sortent maintenant d’abord aux USA, où il faut maintenir l’amour du public bien vivant, en espaçant le moins possible le temps entre chaque sortie de toute nouveauté émanant du groupe (mais ce n’est qu’une phase provisoire).
En décembre, ils apparaissent à l’émission Top Of The Pops et sortent l’album Beatles For Sale . La pochette montre quatre garçons épuisés, et pas franchement l’air jouasse d’être devant les objectifs en plein hiver. Mais il faut qu’ils assurent... Richard Lester revient parler de sa nouvelle idée de film et les Beatles repartent dans leur show de Noël. Encore une fin d’année crevante...
Et peu à peu, les voilà qui se dirigent vers la partie la plus exaltante de leur carrière. Faire du fric, tout ça, c’est cool, et encore. Ils n’ont pas vraiment la notion de ce qu’ils engrangent comme rentrées d’argent, par contre, ils savent ce qu’ils perdent. Ils doivent en effet reverser la totalité de leurs revenus de l’année aux fiscs américain (parce qu’ils ont passé presque deux mois aux USA) et anglais. Et nerveusement, ce n’est plus gérable. La carrière des Beatles va prendre un nouveau tournant, bla - bla - bla, on commence à connaître la chanson. Et plus qu’un simple train, ils vont prendre une gare d’avance sur le reste de la musique.
Marre des amourettes à deux balles... Marre de ne pas être écoutés... Marre de devoir se terrer... Etre un Beatle en l’an de grâce 1965 n’est pas une chose aisée. Le 10 janvier, Epstein est contacté par un promoteur américain pour que le groupe vienne jouer au Shea Stadium. Bienvenue dans l’ère du gigantisme, une fois de plus les Beatles sont des précurseurs. Le Beatles se permettent quand même quelque chose d’inédit : ils prennent six semaines de repos. Lennon commence à se dire qu’il écrirait bien un deuxième bouquin et qu’il utiliserait bien le premier pour l’enregistrer sur disque. Il part également dans les Alpes avec Cynthia, George Martin et sa femme, histoire d’apprendre à tenir debout sur des skis. Il revient quelque jour plus tard car Ringo, qui a demandé à Brian d’être son témoin, épouse Maureen ; pour bien faire les choses, le couple part en lune de miel à Brighton, où Ringo annonce son mariage à la presse (espère-t-il que ça fera moins crier les filles lors des concerts ?).
Continuons sur la lancée et dans la série des anecdotes inutiles mais marrantes, notons que le 15 février, John devient l’heureux titulaire du permis de conduire, comme en témoigne une magnifique photo qui prouve une fois de plus que les quatre garçons sont greffés les uns aux autres (c’est vrai quoi, qu’est ce qu’ils font là ?). Il n’empêche que le repos c’est bien cinq minutes, mais quand on s’appelle Paul McCartney et John Lennon, on préfère ne pas trop le faire durer. Y a des chansons à écrire, non mais ! Et c’est le moment où après les chansons généralement mo-molles de Beatles For Sale, nos deux compères vont composer quelques perles, dont Ticket To Ride et You’ve Got To Hide Your Love Away, écrite par un Lennon visiblement en pleine crise dépressive (c’est d’ailleurs pour cette chanson que des musiciens extérieurs viennent pour la première fois jouer sur un morceau des Beatles). Le 22 février, les Beatles s’envolent pour les Bahamas, histoire de commencer le tournage de leur nouveau film, qui ne s’appelle pas encore Help !, mais Eight Arms To Hold You (pas terrible). Les Bahamas auraient été officiellement choisies pour des raisons météorologiques, les garçons pensant pouvoir se balader en caleçon et t-shirt, mais il y fait un sacré froid. C’est les boules ! Officieusement, une hypothèse est émise, selon laquelle le tournage dans un paradis fiscal évite les mésaventures financières de 1964... Et puis, il faut bien dire que même si le réalisateur est celui de A Hard Day’s Night et qu’une fois de plus les Beatles jouent leur propre rôle, ils n’ont cette fois aucun contrôle sur le scénario, aussi épais qu’un sandwich seuneuceufeu. Et ils ne sont toujours pas acteurs. Pensez donc qu’un joli paysage ça permet d’attirer l’attention loin des musiciens qui ressemblent de plus en plus à des copies de copies d’eux-mêmes. Si en plus ils passent leur temps à fumer des joints et à rigoler bêtement, on ne s’en sort pas. Il faut refaire certaines prises plusieurs fois à cause des garçons pris de fous rires sous l’effet de la marijuana. Pour le réalisateur qui aimerait avoir l’air crédible, c’est énervant...
Mais ça marche du tonnerre ! Ah ! Vision merveilleuse des Fab Four sur des skis (quoique John peut se la péter vu qu’il s’est entraîné avant !)... Un autre problème vient s’ajouter à cela : les différences de motivation de chacun. Ringo est celui qui a le rôle le plus important et surtout le meilleur potentiel de la bande face à des caméras. Ringo est rigolo. Et il s’envape... Paul, qui doit définitivement être le plus heureux d’être un Beatle, s’amuse comme un petit fou et joue au gentil animateur de service. Paul est un charmeur qui s’envape aussi.
Quant à John... Il traverse sa période « gros Elvis » comme il dit lui même. John s’embourbe, s’empâte, tombe sous le charme de l’actrice principale du film, Eleanor Bron. Et comme pour oublier que ça ne pourra pas marcher (et que dans le script, c’est avec Paul qu’elle fricote) John s’envape... Et George, tellement effacé et peu enclin à faire des grimaces devant la caméra, le voilà relégué Dernier Beatle. Et comme on ne s’occupe pas trop de lui, il s’occupe tout seul... C’est en traînant pendant le tournage qu’il fait une découverte importante : un sitar, utilisé par des musiciens indiens dans la scène du restaurant. Intrigué par l’instrument, il va le tripoter un peu, voit ce qu’il peut en tirer et tombe sous le charme de ces sonorités nouvelles pour lui. Toujours dans un souci de faire des raccourcis faciles, voilà comment on peut expliquer le changement du Beatle Discret en Beatle Mystique. Il a trouvé une voie qui va lui permettre de se détacher des deux leaders / tyrans du groupe. Et il va la dévoiler à la face du monde. Mais pas tout de suite... Pour le moment, lui aussi il s’envape...
Au printemps, John et George vont vivre une expérience qu’ils ne sont pas prêts d’oublier. Ils vont prendre du LSD pour la première de leur vie. Le problème est que l’acide a été versé dans leurs cafés par un dentiste malhonnête ; espérant certainement soutirer quelque faveur aux deux stars. Comme ils sentent qu’il y a anguille sous roche, ils prennent leurs femmes avec eux et fuient la maison du Docteur Maboul au moment où la drogue commence à faire son effet. Comme ils ont définitivement beaucoup de chance, ils finissent la soirée indemnes, dans une Mini Austin conduite à trente kilomètres/heure par George qui se demande pourquoi les maisons se mettent à bouger par moment...
Quand, de retour à la maison, il faut composer la chanson titre du film, Lennon a un flash. Il est prisonnier d’un système, d’un personnage, il veut de l’aide et il le crie à la face du monde. Help ! est une chanson qui vient du cœur, un réel appel au secours qui n’a pas été entendu, pas compris, d’autant plus qu’il la chante avec le sourire (forcément...).
Au mois de mai, ils retrouvent Bob Dylan, à qui ils doivent tout de même le style utilisé dans leurs dernières compositions et ça leur permet de faire un peu la chouille en compagnie du Dylan original et de sa copie écossaise (si on veut), Donovan.
Le mois de juin amène son lot de surprises : le 12, les Beatles apprennent qu’ils vont recevoir la médaille du Mérite de l’Empire Britannique en guise de remerciement à leur contribution de renflouage des caisses de l’État (grâce aux impôts qu’ils paient peut-être ?). Ça en jette, mais ça créé une petite polémique.
Entre temps Paul, qui, depuis qu’il fume beaucoup (mais qui hésite à se mettre à l’acide), se considère plus comme un véritable artiste que comme une simple pop-star chevelue, a des révélations mystiques dans son sommeil. Sortie de nulle part, une mélodie lui trotte dans le crâne depuis quelques temps (depuis si longtemps qu’il a même réussi à énerver les autres membres du groupe à force de la pianoter à longueur de journée). Le matin au petit déjeuner, Macca répète bêtement « scrambled eggs » (œufs brouillés) sur l’air qui lui tourne en boucle dans le cerveau. Et allez savoir pourquoi, il se dit qu’en ce moment, l’ambiance étant à la nostalgie chez les Beatles il va appeler le morceau parasite Yesterday. Paul a sorti LA chanson, SA chanson à lui tout seul, comme un grand. Il va l’enregistrer le 14 juin, sous les oreilles ébahies de George Martin qui va lui pondre un arrangement pour quartet à cordes, beau, mais légèrement dégoulinant de sentimentalisme... Et ça va faire un malheur, Paul a créé la chanson inusable, impérissable, la plus jouée à travers le monde, encore plus forte qu’un lapin dopé a la pile Duracel.
Yesterday, la pomme de la discorde. Le morceau dur à avaler pour Lennon, qui digère mal le fait que Paul ait tout fait tout seul, sans lui demander son aide ou son avis. John se sent trahi par son ami avec qui il a toujours tout partagé. Il aura tout au long de sa vie une amertume et un rejet à propos de cette chanson (allant jusqu’à affirmer que c’est la seule chose que Macca ait faite, dans le morceau How Do You Sleep ? de l’album Imagine).
Il est d’ailleurs récurrent que le guitariste, toujours prêt à balancer une bonne blague pleine de vitriol, remercie Ringo (qui ne joue pas dessus) à la fin de la prestation de Paul en concert. De toute manière, John s’en fout, il faut qu’il fasse la promo de son second bouquin, A Spaniard In The Works.
Help ! va sortir le 6 août et va marquer la fin d’une époque. C’est en effet le dernier album où l’on peut entendre des reprises. Les Quatre Garçons dans la Tempête ont commencé à explorer leurs propres sentiments, à l’aide de certains adjuvants chimiques, ils vont coucher sur la bande le tréfonds de leur psyché, de plus en plus perturbée ou de plus en plus calme, ça dépend qui écrit la chanson. Car dorénavant, et il faut remercier Paul pour ça, le duo magique va entamer une séparation et chacun va développer un style qui lui est propre.
Help ! aurait du être le titre officiel de la tournée nord-américaine du mois d’août. On a beau dire que la Beatlemania commence à perdre sa vitesse de croisière, les salles sont quand même remplies. Les stades aussi... Le 15 août, ils font un concert au Shea Stadium de New York. Enfin, le public fait un concert de hurlements. Certains ne sont toujours pas sûrs que c’était bien les Beatles qui jouaient au milieu de l’énorme bâtisse aussi adaptée pour un concert de rock qu’un avion ne l’est pour la plongée sous-marine. Et en parlant aviation, les cris atteignent l’intensité d’un moteur d’avion au décollage. Et on parle bien sûr d’un très, très gros avion.
Heureusement qu’ils se sont fait pleins de potes là-bas : les Byrds, Peter Fonda, deux des Beach Boys, Les Supremes et Bob Dylan, bien sûr. Ça aide à passer les soirées, cloîtrés dans leurs chambres d’hôtel d’où ils ne peuvent absolument pas sortir, sous peine de ne jamais revoir la lumière du jour. Ça aide aussi à découvrir d’autres styles, d’autres influences pour leur musique. Puisqu’ils ont donné l’impulsion, ils peuvent bien se permettre à leur tour de pomper quelques tuyaux. Mais la plus grande rencontre est à venir : ils ont obtenu une dérogation spéciale pour faire coucou à Elvis. Le 27 août, ils rencontrent, l’Homme, leur héros de jeunesse. Une réunion de légendes vivantes qui commence assez bizarrement, personne ne parle, les Beatles scotchent sur Elvis, béats... Le King fait amener des guitares et la soirée décolle. Quel meilleur moyen que la musique pour communiquer ?
Une émotion en remplace une autre et c’est la panique qui déboule le 31, jour du dernier concert de la tournée. A San Francisco, les fans grimpent sur le toit de la limousine ramenant le groupe à l’hôtel, et il s’en faut de peu pour que les quatre idoles ne périssent écrabouillées. Ils rentrent heureusement entiers et vivants à Londres. Paul, avec Jane Asher qu’il fréquente toujours, commence à s’intéresser à l’art. Il se passionne pour Magritte et va voir des pièces de théâtre, écoute de la musique contemporaine et tous pleins de choses stimulantes pour son cerveau qui s’ouvre à un nouveau langage...
Dans un autre genre de stimulation, le petit Zak Starkey voit le jour le 13 septembre. Toutes nos félicitations à l’heureux papa. Restons dans le monde de l’enfance avec la création et la diffusion de dessins animés sur les Beatles aux États-Unis. Bédidonc !
En octobre, les garçons retournent en studio pour commencer à enregistrer ce qui va être Rubber Soul. A partir de ce moment, ils vont passer de plus en plus de temps à Abbey Road, la preuve, ils vont mettre Drive My Car en boîte après minuit (une grande première paraît-il). Cette volonté de s’installer un peu plus dans les studios est due au fait qu’avec George Martin, les Beatles découvrent les joies de la technologie. A vrai dire, leur usage de la drogue modifie considérablement leur façon de travailler. Mais attention, il est hors de question pour eux de venir en studio après avoir pris quelque chose. Ils y ramènent seulement l’expérience et l’esprit d’innovation qui va de pair avec. De toute manière, ils ont bien essayé de créer quelque chose sous emprise de stupéfiants, mais ils avouent eux-mêmes que ça ne donne rien de bien intéressant (une grosse bouillie sonore en fait !). Grande nouveauté également, les Beatles vont enregistrer des chansons qui leur serviront de singles, mais qui ne seront pas sur le prochain album, Day Tripper, qui parle, de manière à peine cachée, de drogue et We Can Work It Out. En considérant bien ces changements, on peut dire que les Beatles jouent gros sur ce coup : ils modifient leur discours et passent de textes niaiseux à des textes qui laissent déjà passer leurs engagements personnels. Ils ne s’adressent plus vraiment au même public et se tournent vers une jeunesse en quête de liberté et d’absolu. Époque magique du Swinging London dont Paul est la vedette (il a à cœur de toujours être là où ce qui est intéressant se passe).
En revanche, on se demande encore si récupérer des médailles, attribuées à des héros militaires en temps normal, des mains même de la reine, c’est très branché... Comme il faut « rock’n’rolliser » l’épisode, la légende raconte que les Beatles fument un pétard dans les toilettes du palais de Buckingham avant de rencontrer Sa Gracieuse Majesté Elisabeth II. Rumeur parfois démentie par les intéressés eux-mêmes...
Mais ils ont beau faire, ils respectent certaines traditions, telle celle de leur chanson de Noël, envoyée chaque année aux fans des Fab Four. C’est un peu ridicule certes, mais ça fait toujours plaisir ! Le 3 décembre, l’album Rubber Soul sort. Et c’est le pandémonium... C’est qui ces chevelus ? Y a pas à dire, ça s’envape méga-sec ! Typographie élastique, un prémice du psychédélisme à venir. Une photo étirée, déformée, un titre d’album qui veut tout dire. Les Beatles ne sont plus les gendres idéaux, ils passent au statut d’icônes.
George à propos de la pochette :« J’aimais la façon dont nos visages sont allongés sur la pochette de l’album. Nous avions perdu notre étiquette de « petits innocents », notre naïveté, et Rubber Soul était le 1er disque où nous avions l’air de vrais fumeurs d’herbe. » C’est un peu le moment où le public va commencer à se masculiniser. En gros, on ne veut plus être avec un Beatle... On veut être un Beatle Pour quasiment tout le monde, c’est l’album de transition, entre Help ! et Revolver, une étape est franchie, mais ils n’ont pas encore fait le grand saut de l’autre côté du miroir.
L’envapement excessif décuple leur imagination et leur talent. Une vraie recherche de qualité sonore qui s’amorce, des orchestrations à couper le souffle. Et les textes changent aussi. Oh, bien sûr, l’amour est encore le moteur. Mais il y aussi des chansons comme Norwegian Wood, qui donnent déjà le témoignage de l’existence d’une jeunesse qui a la grâce. Norwegian Wood, le premier sitar chez les Beatles, l’Orient va rentrer en Occident par le biais de Mystique George. Bientôt, ce serait une vraie crise d’Indemania, hindouisme, bouddhisme, bijoux, peintures, musique et les départs vers Katmandou et ses sommets toxiques.
Fin 65, la jeunesse a radicalement changé. À cause de l’intervention militaire américaine, toujours plus meurtrière et inhumaine, au Viêt-Nam, le mouvement de Draft Resistance contamine les jeunes américains qui ne comprennent pas et refusent cette guerre. Ils brûlent leurs cartes d’incorporation dans l’armée. Un mouvement alternatif commence à pointer son nez, d’autant plus que l’usage de LSD, encore légal, se répand à grande vitesse. La drogue de l’esprit est là pour tous les libérer, alors ils sont libres, ils sont des bohèmes. Norwegian Wood, c’est déjà un peu ça. C’est aussi l’aveu éclatant des relations extra conjugales de Lennon. Et ça, on ne sait pas si Cynthia apprécie...
Comble de l’ironie, le 25 décembre, George offre en guise de cadeau de Noël une demande en mariage à Patti. Aussi incroyable que cela puisse paraître, 1966 débute par un mois de janvier vide de toute activité, fait suffisamment rare pour être relaté ! John et Ringo partent en vacances ensemble à la Barbade (puisqu’on vous dit qu’ils sont greffés les uns aux autres !), Paul et Brian sont les témoins de George pour son mariage. Rien de bien palpitant, mais ils ne vont pas se plaindre !
Février voit la rencontre entre Paul et Stevie Wonder, lors d’un show de ce dernier. Apparemment les deux stars auraient longuement discuté. Le début d’une amitié artistique qui aboutira à un duo quelques années plus tard... Les Beatles semblent avoir disparu du monde et leurs activités sont très réduites.
Fausse alerte, le 4 mars, la journaliste Maureen Cleave de l’Evening Standard publie une interview de Lennon où il dit (entre autre) : « Le christianisme, ça ne durera pas. Ça va disparaître, rétrécir. Je ne veux pas en parler ; j’ai raison et l’avenir le prouvera. Nous sommes plus populaires que Jésus maintenant, je ne sais pas ce qui disparaîtra en premier - le rock’n’roll ou la chrétienté. Jésus n’était pas mal, mais ses disciples étaient bêtes et ordinaires. Ils ont déformés ses paroles et ça gâche tout. ». Bon, ça peut passer pour de la prétention, mais Cleave est très claire dessus dans sons article : John parle beaucoup de religion, ses propos sont tout à fait sensés et retranscrits dans leur intégralité, ils ne posent aucun problème... Jusqu’au 29 juillet, date à laquelle un petit malin de journaliste américain sort les propos de Lennon de leur contexte et affiche la phrase : « Je ne sais pas ce qui disparaîtra en premier - le rock’n’roll ou la chrétienté en couverture d’un magazine pour ados. Pour l’Amérique puritaine, c’est un choc. Une campagne de destruction massive de l’image des Beatles part d’Alabama. Des autodafés sont organisés un peu partout dans le pays, les disques sont achetés pour être brûlés aussitôt (n’en déplaise à ces gens qui donnent un peu plus de sous à ce démon de Lennon !). Epstein hésite un instant... Va-t-il annuler la tournée américaine prévue au mois d’août ? Non, ce qui va permettre à Lennon de s’expliquer quant à ses propos lors d’une conférence de presse à Chicago. S’expliquer, mais pas s’excuser. Si ces crétins d’extrémistes religieux n’ont pas l’intelligence de comprendre ses propos, qu’ils aillent se faire... (il l’a pas tout à fait dit comme ça, mais ça fait classe à écrire...).
Petit retour en arrière, parce que là, on a sauté quelques étapes importantes. D’abord, Paul qui avait longtemps hésité, a essayé le LSD et a trouvé ça, "achement cool, t’vois ?" Forcément, il se sent pousser des ailes quand il s’agit de composer de nouveaux morceaux avec John...
Le 6 avril, le groupe fête son grand retour en studio et la tendance déjà à la hausse du temps passé à enregistrer, va carrément crever le plafond : les Beatles finiront le boulot le 22 juin, un record, si l’on pense à la durée d’enregistrement du premier album... Et pendant ce laps de temps, Revolver voit peu à peu le jour, dans une ambiance électrique, où l’innovation est de mise. Alors oui, ça va faire cliché à mort, mais si Rubber Soul était l’album de la marijuana, Revolver est celui de l’acide, oui, oui, oui... Lennon qui compose des chansons inspirées d’un bouquin de Leary, grand maître des cérémonies lysergiques aux USA, McCartney qui considère qu’il faut tout décomposer pour mieux composer, George qui fait sa première chanson indianisante à souhait et Ringo qui balance des phrases qui ne veulent rien dire mais qui sonnent vraiment bien, les Beatles nouveaux sont là et ils n’ont rien de gentils pantins qui secouent leurs perruques. La musique pop se hisse ainsi au rang de langage artistique à part entière.
Pour la peine, ils vont enregistrer Paperback Writer et Rain, avec force bandes passées à l’envers (et le tout fait à la main, c’est beau...) qui seront sur le prochain single (et comme pour le single précédent, les chansons n’apparaîtront pas sur l’album).
Le 1er mai, les Beatles donnent leur dernier concert en Angleterre (on va dire le dernier concert officiel...), à l’Empire Pool de Wembley. Ils partagent l’affiche avec des groupes comme Les Who, les Stones, le Spencer Davis Group, Roy Orbison et tout plein d’autres stars. Vu qu’ils passent en dernier, ils ne seront pas filmés... Le 4, le ministère des finances japonais leur apprend qu’ils ont l’autorisation de venir jouer au Japon. Une autre grande première. Le 19, les Beatles inventent le clip. George s’amusera même à dire plus tard que ce sont les Beatles qui ont inventé MTV... Vu qu’ils ne peuvent faire aucune émission de promo aux USA, ils se font filmer en train de chanter Rain et Paperback Writer. Ces « films », précédés d’un message du groupe, seront ensuite envoyé à Ed Sullivan afin qu’il en assure la diffusion après la sortie du single en Amérique.
Le 1er juin , Harrison va voir Ravi Shankar au Royal Albert Hall. Le maître indien du sitar va devenir le professeur de George. Le 22 juin, les Beatles sortent d’Abbey Road. La trêve est finie, ils doivent retourner donner des concerts à travers le monde. Lassitude...
Enfin, lassitude, oui et non. Le 29 juin, ils vont découvrir le Japon, où ils se produisent pour la première fois. Et comme à chaque fois, ils provoquent un bordel monstre entre les fans qui poussent des cris (timides, car les policiers veillent et qu’il n’y en ait qu’une vingtaine autorisée à les accueillir à l’aéroport !) et les manifestants qui protestent car le groupe va jouer dans le Budokan, dojo traditionnel, presque un sanctuaire en fait, réservé aux combats de sumo. Le promoteur a fait en sorte que la suite présidentielle soit emplie des plus beaux objets qu’on puisse offrir à un Beatle, même des geishas (que les garçons refusent...). On leur demande expressément de rester à l’hôtel, déjà parce qu’ils ont reçu des menaces de mort, mais aussi, parce que ça embêterait les autorités que la foule au bas de l’hôtel se déchaîne à la vue d’une coupe au bol... Autant parler à leurs fesses, dès le lendemain, les plus audacieux font le mur. Ce qui ne plaît pas trop. On ne leur laisse plus l’occasion de sortir après leur exploit, mais on leur donne du papier et une boîte de peinture. Entre deux shows, le groupe se réunit autour de la grande feuille et chacun peint sur un coin avant d’aller vers le centre. Et ça les détend beaucoup. Ils trouvent le nom du nouvel album, ils se sentent bien, en parfaite harmonie les uns avec les autres... Leur « toile » commune restera à Tokyo, où elle sera vendue pour une œuvre caritative.
Le Japon a fait figure de promenade de santé. Ils vont hélas enchaîner sur l’un des pires épisodes de leur carrière, le passage à Manille, où ayant, comme à leur habitude, décliné l’offre de la femme du (dictateur ?) président Marcos de venir jouer pour elle, ont déclenché un mouvement de haine dans la foule. Ils quittent les Philippines en hâte, la peur au ventre, Brian doit même payer une « taxe » surprise pour que le groupe et tous ceux qui les accompagnent puissent partir en toute sécurité. Arrivés à Heathrow, les Beatles ne sont pas tendres : « Manille ? Larguez-y une bombe ! »... Par dessus ça, vient se greffer l’épisode de la phrase hors contexte de Lennon, évoqué plus haut et là, les Beatles réalisent qu’ils n’en peuvent plus de tout ça... Le 5 août, Revolver sort, en même temps que le single Eleanor Rigby / Yellow Submarine. Le 11 août, malgré l’ambiance de feu (haha !) qui règne aux États-Unis et la censure de leurs albums, les Beatles entament leur quatrième tournée là-bas et pour une fois, le groupe ne remplit pas complètement les salles. Il reste onze mille places libres dans le Shea Stadium, plein à craquer un an plus tôt. Le 29 août, au Candlestick Park de San Francisco, le groupe donne son dernier concert de la tournée. Et son dernier concert tout court. A la sortie de ce grand cirque (des fans qui courent à travers le stade pour monter sur scène), George déclare « Ça y est, je ne suis plus un Beatle ! ». Une nouvelle vie commence...
Et chacun est libre de faire ce qu’il veut. John accepte une proposition de Richard Lester pour jouer dans son futur film How I Won The War et part dès le 5 septembre sur le lieu de tournage. C’est en interprétant le rôle du soldat Gripweed qu’il chausse pour la première fois ses lunettes rondes, mondialement connues et qu’il accepte enfin le fait qu’il est possible de vivre en étant myope. Comme pour prendre un nouveau départ, il se fait également couper les cheveux...Cela symbolise aussi une petite rupture avec le groupe. Plus que jamais, Lennon a besoin d’être loin des autres, et de Paul surtout, qui lui, pense déjà au prochain disque des Beatles.
Un autre aussi qui est bien content que ça s’arrête un peu et qui change de tête pour fêter ça, c’est George Harrison qui va partir en Inde le 14 septembre, afin de rejoindre Ravi Shankar à Bombay pour apprendre le sitar. Lui aussi il se coupe les cheveux et il se fait pousser la moustache (que Patti adore). Mais là encore c’est la surprise, on le reconnaît dans l’hôtel où il est descendu et quelques heures plus tard, une bonne foule bien compacte réclame le Beatle qui ne s’imaginait pas être connu jusqu’ici, le rassemblement sauvage va durer deux jours... C’est Shankar qui doit intervenir lors d’une conférence de presse pour calmer tout ce petit monde : « George est ici comme mon disciple ». Non mais oh ! Le changement est radical pour George qui doit d’abord apprendre la méditation (ce qui l’aide quand il faut rester plusieurs heures dans la même posture, un lourd instrument sur les genoux), puis qui arrête complètement la drogue, car ce n’est pas compatible avec la recherche spirituelle qu’il est en train d’entreprendre. Ravi Shankar ne fait pas les choses à moitié, il ne fait pas qu’apprendre à jouer du sitar à Harrison : il lui ouvre les yeux sur une nouvelle manière de voir les choses et de considérer la vie. Encore plus fort, il ne fait pas de cadeau à son élève et lui met des coups de bâton quand celui ci fait une connerie (comme enjamber son instrument. Grave erreur, car c’est lui manquer de respect). Une autre rencontre va tout changer. Le 20 septembre, George fait la rencontre du Maharishi Mahesh Yogi.
Ringo pendant ce temps a monté sa propre boîte de construction, qui s’occupera de retaper ses quelques maisons. Malin le garçon !
Quant à Paul, après un week-end passé à Paris avec Brian et John, il s’attaque à la composition d’une musique de film, avec George Martin. Ils gagneront même un prix plus tard pour leur travail... Il assiste également à un concert de Soft Machine et Pink Floyd, où l’on fête le lancement de l’International Times (IT), journal underground londonien qu’il a aidé financièrement à exister. Le 6 novembre, alors que Paul est parti au Kenya, John va visiter une expo à l’Indica Gallery. L’artiste : Yoko Ono... Le seul qui ne semble pas se satisfaire de cette situation de totale relâche, c’est Brian qui pour le moment passe tout son temps à réfuter les rumeurs de séparation du groupe.
Fin novembre, les Beatles se décident tout de même à reprendre le chemin des studios. Strawberry Fields Forever, When I’m 64 et le traditionnel single de Noël sont enregistrés. Ils vont en tout mettre plus de quatre mois pour achever le prochain album. McCartney regorge d’idées et son but premier est de faire mieux que le Pet Sounds des Beach Boys, qui l’avait laissé sur le cul, tant le son était parfait. C’est dans cette direction que sa recherche musicale se tend. Aidé en plus par tout ce qu’il a entendu et ses différentes expériences en matière de musique contemporaine, Paul est prêt à tout écraser sur son passage, le cerveau en totale ébullition, aidé par le fait qu’il n’est qu’à deux minutes à pied d’Abbey Road, forcément, il y est presque toujours fourré. Il est loin le travail en duo rapproché avec Lennon. Ils vont pourtant fournir une fois de plus la preuve que tous les deux ensemble, ils sont les meilleurs songwriters du monde, avec A Day In The Life, sur laquelle ils commencent très vite à travailler. Parce que John tout seul... Pas vraiment la joie à vrai dire, tout comme George, transformé après son séjour en Inde. Non, vraiment, être un Beatle, c’était mieux avant.
L’année 67 démarre et Paul est de plus en plus excité à l’idée de faire le meilleur disque du monde. Le groupe a à peine cinq ans (dans cette formation) et déjà, on pense écrire une biographie. Cette tâche est confiée à Hunter Davies qui rentre ainsi dans leur intimité et va écrire le premier et seul ouvrage autorisé (le terme est important) de ce genre.
Le 12 février, George et Patti échappent de peu à une descente de flics chez Keith Richards. Lui et Mick Jagger sont inculpés pour possession de drogue. Apparemment, ça commence à chauffer au pays des rock-stars. Un qui abuse pas mal mais qui n’a pas encore de problèmes (de toute manière, on n’arrête pas un Beatle !), c’est Lennon qui prend de plus en plus d’acide dans l’espoir de tuer son ego trop fort.
Ça le rend à la fois tout cool et tout bizarre. Tout cool car quand le single Strawberry Fields Forever / Penny Lane sort, c’est la première fois en quatre ans que la première place des charts n’est pas atteinte. Et John s’en fout. Tout bizarre, car il agit comme s’il avait perdu toute inspiration et toute volonté de faire toujours mieux comme à ses débuts. Peu à peu, il lègue son rôle de leader à Paul, mais il le vit mal. L’autre problème de John à cette époque est que sa vie familiale, qui ne l’épanouissait pas plus que ça avant, le déprime complètement maintenant. Mais comment le dire à Cynthia qui, elle aussi, tente de comprendre ce qui se passe ? Surtout que sa rencontre avec Yoko a chamboulé bien des choses...
Sachant que l’enregistrement de Sgt.Pepper touche à sa fin et que vu le boulot qu’il a demandé a été épuisant et grandiose, on se dit que la pochette doit créer son petit effet. Pour Revolver, les Beatles avaient choisi leur vieux copain de Hambourg, Klaus Voorman. L’idée des collages leur a apparemment bien plus et ils tentent de recommencer, à une échelle plus importante, avec l’artiste Peter Blake. Une échelle importante, c’est-à-dire une échelle humaine. Une image où des Beatles, qui ne sont même plus des Beatles, mais des musiciens de fanfare, aux costumes qui brillent presque dans le noir, prennent la pause au milieu d’une galerie de visages connus, petit panthéon personnel et quelque peu surprenant... Si avec ça on ne comprend pas le message : les Beatles ne sont plus de ce monde ! Ils sont des demi-dieux en phase de devenir des dieux tout court. On les a connu moins tape-à-l’œil tout de même...
Au mois d’avril, Brian commence à avoir des baisses de forme inquiétantes, le 8, il rentre dans une clinique privée. Son boulot, c’est de promouvoir les Beatles et ces derniers ont bien l’air de ne plus avoir besoin de lui. Dur... Le même mois, Paul qui commence sérieusement à casser les pieds de ses collègues et amis, conçoit l’idée du Magical Mystery Tour, toujours dans l’optique de créer le concept ultime.
Le 29, contrairement à ses habitudes, il ne sera même pas présent au grand happening psychédélique qui se déroule à l’Alexandra Palace, le « 14 Hour Technicolor Dream ». Par contre John y est, et c’est nouveau pour lui. Le plus fort dans tout ça, c’est que, forcément, il y a des caméras et que le Beatle est filmé. Encore un raccourci facile qui se forme, et dans la tête des gens, l’image d’un Lennon d’avant-garde prend racine. Qui plaidera pour la cause de Macca, trop mielleux et trop « pop » pour être plus au courant des choses de la culture que son binoclard d’ami ? Mais stop ! Pas de polémique ici. Ce qui est autrement plus bête pour John, c’est que Yoko aussi est présente, mais que les deux ne se croiseront pas de toute la soirée.
Le joli mois de mai commence et voit le cyclone Sgt.Pepper sortir de son studio pour une présentation à la presse. Les Beatles ne font plus de tournées ? Qu’à cela ne tienne ! L’album va en faire une à leur place ! En parlant de tournées qu’on ne fait plus, le pauvre Brian souffre officiellement de dépression, on lui permet de sortir de la clinique pour célébrer la sortie du disque, mais il doit y retourner juste après.
Pas malheureux pour un sou, Paul vient de faire la rencontre de la jolie Linda Eastman, photographe de son état, américaine de sa nationalité. Il a beau être avec Jane Asher, faudrait voir à pas se méprendre : ils ne sont pas mariés. Et en plus, elle n’est pas là. Alors franchement, Paul il drague s’il a envie ! Et la petite Linda lui tape vraiment dans l’œil ! Ils se reverront trois jours plus tard, puis plus rien. A la fin du mois, Macca va chercher Jane à l’aéroport comme si de rien n’était...
Le 1er juin, Sgt.Pepper est officiellement en vente. Le 3, il est premier des charts anglais et il va faire des morts sur son passage... Ainsi Brian Wilson, leader un peu dérangé des Beach Boys, qui voulant faire mieux avec son projet de « symphonie adressée à Dieu », va tout juste réussir à péter un plomb et passer par la case schizophrénie. Des morts, et des émules. Que ce soit pour se moquer ou pour rendre hommage, pleins de musiciens vont donner des noms pas possibles à leurs albums et ils vont tous se mettre à faire du psychédélisme, parfois avec un peu de retard. Les Beatles eux, ne sont absolument pas en retard et ils célèbrent même le Summer of Love avec un peu d’avance, en enregistrant All You Need Is Love le 14 juin.
Le 16 juin, McCartney avoue publiquement avoir pris du LSD... Gaspation et stupéfaction ! Si en plus c’est le mignon p’tit Paul qui annonce ça ! Hé bien, bravo, bel exemple pour la jeunesse... Cela n’empêche en rien que la retransmission via satellite, en direct et à travers le monde de All You Need Is Love, le 25 juin, attire près de cinq cent millions de personnes (pas mal hein ?!). A l’image, on peut voir des tas de gens heureux (dont Mick Jagger, Marianne Faithfull, Keith Moon, Graham Nash, Keith Richards, Eric Clapton et tant d’autres) de taper dans leurs mains pour diffuser ce beau message de paix universelle. Juste avant la diffusion, les gens tapaient avec leurs mains (les uns sur les autres) pour être près de Lennon : étant le chanteur, il était forcément le plus filmé. Être assis à côté, c’était pouvoir montrer sa tronche. Hum...
Aller, c’est le Summer of Love après tout ! George Harrison présente Patti à Eric Clapton... Qui tombe amoureux...
Au mois de juillet, on ne sait pas trop quelle mouche les pique : ils signent d’abord une pétition pour la légalisation de la marijuana (pétition qui passe en pleine page du Times) puis les Beatles partent pour la Grèce avec le but premier de s’acheter une île où ils pourraient vivre ensemble dans la joie et l’allégresse. C’est pas que Ringo ne veut pas, mais il a d’autres priorités que de s’enterrer dans les Cyclades, Maureen va accoucher d’un deuxième enfant. Ringo qui n’en est plus un, un enfant, rentre à Londres assumer son rôle d’adulte. Au final, le groupe n’achète pas d’île et suit le mouvement vers l’Angleterre. Au moins, ils ont pu prendre le soleil !
Début août, George et Patti vont aux USA, à Los Angeles où ils louent une maison sur Blue Jay Way. Ce voyage permet à Harrison d’aller voir Ravi Shankar jouer à l’Hollywood Bowl (salle où les Beatles s’étaient eux-mêmes produits quelques années auparavant). Et comme George assure, il va découvrir le Haight Ashbury de San Francisco, le quartier où c’est trop la fête quand on est un hippie (chose que ne feront pas les autres Beatles). Après cette visite fort courtoise, retour à Londres.
En Angleterre d’ailleurs, tout s’enchaîne affreusement mal pour Brian Epstein qui vient de perdre son père et qui sent qu’il perd son groupe... Groupe qui s’est joint aux Stones pour le morceau We Love You, qui sort en single le 18 août et qui est salué comme un monument psychédélique. Le 24, les Beatles sans Ringo, mais avec Marianne Faithfull et Mick Jagger se rendent à une conférence du Maharishi à Londres. Apparemment intéressés par ce que le gourou a à proposer, ils partent dès le lendemain pour Bangor, au Pays de Galles, pour apprendre la méditation transcendantale.
Le 27 août, Brian Epstein meurt d’une overdose de barbituriques. On ne sait pas si c’est un suicide ou un accident. Quand les Beatles apprennent la nouvelle, ils sont complètement catastrophés, John surtout a l’air parfaitement désorienté par ce qu’il vient d’apprendre. La mort de Brian signe le début de la fin. Le groupe décide qu’il va gérer lui même ses affaires dorénavant, mais sans Epstein, qui plus qu’un manager, était comme un ange gardien, comment cela va-t-il évoluer ? À partir de ce moment, tout va commencer à dégénérer très vite. Dès que le fric, hélas, fait son apparition fracassante et que les intérêts personnels entrent en jeu, avant les intérêts collectifs...
Pour tenter de faire passer la pilule, les Beatles se replongent dans le travail et décident qu’ils vont concrétiser le projet Magical Mystery Tour
Chose faite le 11 septembre, date à laquelle le Magical Mystery Tour Bus, qui rappelle un peu celui de ces tarés de Merry Pranksters, roulant aux USA, dans l’espoir de répandre le LSD. Paul gère tout et les autres suivent, moyennement convaincus de l’utilité finale de ce projet. Surtout qu’artistiquement, c’est pas évident. Plutôt que de n’embaucher que des acteurs professionnels, il arrive que le casting se fasse direct dans la rue et très vite, ça ne ressemble plus à rien...
Le bus provoque des bouchons, les quatre garçons ne sont toujours pas acteurs et en plus ils doivent apprendre une chorégraphie pour Your Mother Should Know... Mais c’est pas grave tout ça, Paul dit que c’est de l’art. Et en plus Lennon écrit I Am The Walrus et rien que pour ça, on est prêt à tout leur pardonner.
Quand il y a relâche dans l’emploi du temps, George et John passent à la télé pour parler méditation transcendantale. Au mois d’octobre, le promoteur américain Sid Bernstein, qui n’avait pas réussi à convaincre Brian, se dit qu’il va tenter directement avec les principaux intéressés. Raté, le groupe refuse sa proposition d’un million de dollars pour revenir au Shea Stadium.
Le 11, Yoko présente une expo financée par Lennon. Le 17, le groupe assiste à une cérémonie en mémoire de Brian. Le lendemain, c’est la première de How I Won The War. Et puisque chacun fait son truc en solo, Harrison se retrouve en charge de créer la bande originale du film Wonderwall, les Bee Gees ayant décliné l’offre. Le 30, Paul va à Nice pour filmer la scène de The Fool On The Hill. En arrivant à la douane, il n’a pas de passeport. En arrivant sur les lieux du tournage, il n’a pas les bons objectifs pour les caméras. En arrivant dans un magasin pour en acheter de nouveaux, il n’a pas de fric. Il débourse quatre mille livres pour pas grand chose et rentre, content de la prise, le lendemain...
Au mois de novembre le film est enfin terminé et Paul participe au montage. Puis pour la dernière fois de leur carrière, le groupe enregistre un single de Noël pour leurs fans. Ringo part en Italie pour tourner dans le film Candy. Le 5 décembre, John et George présentent la boutique Apple au nom des Beatles. La boutique Apple ? Encore une nouveauté qui sert surtout à éviter les problèmes fiscaux (dont ils doivent bien avoir l’habitude maintenant !) mais aussi une idée ambitieuse permettant aux Beatles d’avoir leur propre maison d’édition, afin de mieux gérer leurs rentrées d’argent (argent qui commence plus à sortir qu’à rentrer). Mais voilà, Apple, c’est surtout un projet complètement utopique. Fait pour aider les jeunes artistes pas connus, certes, mais le mode de gestion utilisé n’est pas vraiment celui qu’il faut. Les Beatles sont musiciens, pas businessmen. Et ce n’est pas parce que Brian avait commencé à faire n’importe quoi qu’ils vont faire mieux... En fait, ils sont tellement contents à l’idée de dénicher de nouveaux talents, qu’ils réussissent surtout à dénicher tous les escrocs existants en Angleterre, et se font plumer à cause de leur naïveté presque touchante. Une boutique ouvre sur Baker Street et les voisins râlent à causent de la façade un peu trop psyché à leur goût... Le 25 décembre, Paul et Jane annoncent leurs fiançailles à la famille et aux amis proches (ça rappelle quelque chose non ?)
Le lendemain, Magical Mystery Tour passe sur la BBC devant des spectateurs qui se demandent ce que c’est que ce truc. Les critiques, horrifiées, descendent le truc en question. La carrière de réalisateur de Paul s’arrête à partir de ce moment...Ça commence à sentir mauvais, et les conflits internes vont se faire de plus en plus nombreux...
1968 va être une année mystique et transcendantale. C’est George qui vous le dit ! A peine l’année commencée, il file en Inde pour enregistrer quelques morceaux de la B.O. de Wonderwall. Étrangement, trois jours plus tard, le secrétaire général du Mouvement pour la Régénération Spirituelle annonce que les Beatles vont venir faire un peu de méditation en Inde. Mais avant cela, il faut bien laisser une trace d’eux avant leur départ. Lady Madonna et Across The Universe sont enregistrées. A la mi-février, John, Cynthia, George et Patti vont à Rishikesh en Inde histoire d’aller faire coucou au Maharishi. Ils sont suivis de près par Ringo, Maureen, Paul et Jane, qui, vous allez rire, viennent pour les mêmes raisons. Là-bas ils retrouvent Mia et Prudence Farrow ainsi que Donovan. Ringo craque en dix jours et rentre très vite en Angleterre avec Maureen. Suivi de Paul qui a tenu un mois.
George et John eux sont encore très bien dans cette retraite spirituelle. John se purifie l’âme, loin de ses tourments de pop star. Il se purifie également le corps et le cerveau, loin de ses excès de pop star. Et les compositions jaillissent d’elles-mêmes.À Prudence Farrow qui pratique la méditation avec tellement de zèle qu’elle n’en sort plus de son bungalow, en oubliant même de manger, il chante doucement Dear Prudence, afin qu’elle se bouge un peu les fesses et qu’elle sorte de là avant de mourir d’inanition.
Le problème, c’est que le paradis se transforme en quelque chose qui n’est pas tout à fait l’enfer, mais en tout cas, John se rend compte que le Maharishi, en bon ascète, utilise la célébrité de ses disciples pour se faire un peu de pub et qu’il utilise sa propre notoriété pour essayer de se taper Mia Farrow ou sa sœur. Un peu écœuré quand même par ce misérable pauvre type, John quitte le navire transcendental, furax. Tellement furax qu’il balance tout sur sa vie sexuelle extra-conjugale à la pauvre Cynthia qui n’apprécie que très moyennement les aveux de son futur ex-mari.
Il n’empêche que ça inspire la chanson Revolution à Lennon qui s’élève pour la première fois contre la guerre au Viêt-Nam dans une interview donnée courant mai. Le Summer of Love est loin, les Stones ont fait Street Fighting Man , la France est complètement bloquée et un peu partout dans le monde, 1968 semble être l’année de la violence. Au mois de juin, on sent que l’ambiance commence à se dégrader : Ringo et George quittent l’Angleterre en plein pendant un enregistrement, une grande première. Le 18, John et Yoko apparaissent ensemble en public. Leur relation est ainsi officialisée. John se détache des Beatles pour se greffer à Yoko. Il va être de plus en plus dur, voire impossible de les voir l’un sans l’autre. Paul qui n’a pas grand chose de passionnant à raconter, prévient tout de même que le prochain disque des Beatles paraîtra sous le label Apple Corp.
Au mois de juillet, George, Ringo et Paul assistent à l’avant première du dessin animé Yellow Submarine. John est trop occupé à se souder à Yoko... L’équipe Apple va déménager ce mois-ci au 3, Saville Row. Le 20, Jane Asher annonce que les fiançailles sont rompues avec Paul. Décidément, tout commence à partir en lambeaux. Au niveau des séances en studio, l’ambiance se plombe de plus en plus, mais le matériel à enregistrer est impressionnant. Les Beatles n’ont jamais eu autant de chansons à proposer en même temps. George Martin essaie de calmer les ardeurs créatives du groupe, en vain. Macca qui ne perd pas une occasion de faire un tube compose Hey Jude, pour le fils de Lennon, Julian, qui souffre beaucoup de la séparation de ses parents.
Le 27, le magasin Apple ferme. Autant dire que c’est un véritable fiasco... Peut-être pour sauver les apparences et faire croire à une entente au beau fixe au sein de groupe, les Beatles passent la journée du lendemain à se faire prendre en photo un peu partout dans Londres, torses nus, crachant de l’eau, dans un jardin, sur les bords de la Tamise, avec Martha, le bobtail de Paul (oui, oui, Martha My Dear, c’est elle...). Le lendemain encore, c’est le tournage de Hey Jude, avec envahissement du public sur les na-na-na-na du final. Paul n’est que moyennement à l’aise...
En août George se barre encore, forçant le groupe à annuler les sessions d’enregistrement tant que le guitariste n’est pas rentré de Grèce et alors qu’il revient enfin, c’est Ringo qui quitte le navire, par lassitude et par parano. Le 23, Cynthia annonce qu’elle a demandé le divorce à John pour adultère. Lui, il s’en fout, il a sa Yoko pour lui tout seul et il l’emmène en studio, expérience inédite pour nos machos qui considèrent qu’une femme ça reste à la maison et que ça ne vient pas traîner au boulot de son mari... Le sommet est atteint quand Yoko se chope la grippe et que Lennon lui fait installer un lit sous le piano.
Mais l’amour qu’il porte à dame Ono, est le meilleur moyen pour lui d’enfin exorciser ses vieux démons. Déjà, elle est plus vieille que lui et possède un certain ascendant. Tout ce qu’il a à faire, c’est se laisser porter. Pas comme avec Cynthia, ça c’est sûr. On peut reprocher beaucoup de choses à Yoko, sa présence envahissante ainsi que sa mauvaise influence quand le couple commence à prendre de l’héroïne. Mais pour John, c’est le palliatif idéal au vide laissé par Julia. Il a enfin retrouvé la femme de sa vie, rassurante, aimante, le guidant si besoin est. Il n’est plus qu’un gosse qui attend, les yeux grands ouverts d’admiration. Et il n’a plus besoin de Paul, ce faux frère avec qui il a partagé tant de choses mais qui n’est vraiment plus digne de son amour à lui. Lennon fait une parano et bientôt, il va virer hystérique, allant même jusqu’à aller frapper à la porte de Paul un beau matin, histoire de lui hurler qu’il demande le divorce. Mais Lennon n’a jamais été très stable, on le sait déjà.
Le premier single Apple sort, il s’agit de Hey Jude / Revolution. Ringo ne revenant toujours pas, les autres prennent les devants et lui un envoient un télégramme : « Tu es le meilleur batteur de rock du monde. Reviens à la maison, on t’aime ». Heureusement pour eux, la technique marche. Mais l’ambiance reste pesante. Harrison, pour imposer un de ses morceaux, est obligé de demander à Eric Clapton de venir le jouer en studio. Un peu gêné quand même il s’exécute. La présence d’un étranger au groupe stimule les autres qui retrouvent immédiatement leur bonne humeur et qui propose de bonnes idées pour ce morceau qui s’appelle While My Guitar Gently Weeps. Certainement l’un des plus beaux de tous ceux qu’Harrison a composés...
Il n’empêche que Martin aimerait bien que les garçons fassent le tri dans toutes leurs compos, parce qu’il y a certes du très bon, mais il y a aussi du très mauvais et de l’inutile à tour de bras. Ce que le producteur ignore, c’est que le groupe veut se séparer au plus vite d’EMI pour enfin être tranquilles avec Apple, et qu’ils ont encore un certain nombre de chansons à donner à la maison de disque avant d’être totalement libres d’aller perdre leur fric ailleurs...
Les Beatles n’enregistrent plus seulement à Abbey Road, ils vont aussi aux studios Trident. Au mois d’octobre, John et Yoko sont arrêtés pour détention de drogues à leur domicile. Lennon considère qu’on l’a piégé. Un autre coup dur s’abat sur eux, Yoko fait une fausse couche. Et puisque John a sa Yoko, Paul va présenter au grand jour sa Linda qui va finir par venir s’installer chez lui au mois d’octobre.
Le couple Lennon / Ono continue de faire parler de lui avec la sortie de l’album Two Virgins où ils apparaissent nus sur la pochette. Scandale ! Cachez ces corps que l’on ne saurait voir ! Décidément, ils auront tout fait... Ils n’arrivent cependant pas à éclipser la sortie du double album, sobrement appelé The Beatles, sur une idée originale de Paul McCartney. On a jugé bon en France de l’appeler Le Double Blanc. Quel sens de l’observation... Il n’empêche que l’album démarre fort et bat directement les records du plus grand nombre de ventes effectuées en très, très peu de temps (deux millions de copies vendues en 4 jours, ça le fait !).
Début décembre : George, moyennement courageux sur ce coup, envoie une simple note où il annonce l’arrivée de Hell’s Angels à Noël... Lui, il est déjà parti, après avoir lancé l’invitation en plus... Et ça ne rate pas, quand les motards déboulent, ils sèment la panique dans les locaux d’Apple et ne partent que quand George le leur demande (et il a hésité !).
Il n’empêche, la motivation n’y est vraiment plus. A peine 1969 entamée Paul tente encore une fois de faire bouger les troupes, encore une fois avec ses idées. Tout le monde va migrer aux studios Twickenham pour répéter les nouveaux morceaux. Toutes les répétitions sont filmées, ce qui donnera plus tard le film documentaire réalité Let It Be, sorte de compilation d’engueulades en tous genres. Le 10 janvier, George quitte les Beatles. Certes temporairement, mais là, il y a vraiment un malaise... En plus, John annonce qu’Apple est en train de couler et que si l’on ne fait rien très vite, les Beatles vont se retrouver sur la paille (ce qui serait embêtant après tout le chemin parcouru).
Un studio a été installé au siège d’Apple, le groupe va continuer là-bas... George Martin qui connaît l’effet qu’ont les invités sur les Beatles, il décide de demander à Billy Preston de venir jouer du piano avec le groupe. Martin voit juste, la présence d’un étranger calme les ardeurs des uns et des autres, qui n’osent pas montrer que tout va mal. Le plus incroyable, c’est que le groupe qui s’était retrouvé à la pointe de l’innovation musicale refait des reprises toutes simples de rock’n’roll. La boucle est bouclée, puisque chacun bosse de son côté et que plus aucune magie ne semble circuler, ils reviennent aux bases. Et puis ils se rendent compte que l’arrêt des concerts n’était peut-être pas une si bonne idée. D’ailleurs, ça les démange bien de recommencer et l’idée d’une prestation sur le toit commence à sortir du crâne tordu de Paul. On ne sait pas trop quand, mais George est tout de même revenu et il sera sur le toit avec les autres pour un concert impromptu, donné le 30 janvier. Ils jouent un peu fort et foutent un peu le bordel dans la rue. Les gens se demandent ce qui se passe et s’arrêtent pour essayer de capter un peu de son. Parce qu’au final, l’idée est sympa, mais on n’entend pas très bien en bas. Les flics se doivent quand même de monter dire, que « ça va aller merci, pourriez vous baisser le son s’il vous plaît messieurs ? ». Ringo rêve qu’on l’arrache de sa batterie de force, pareil pour les trois autres qui s’imaginent déjà comme les nouveaux martyrs d’une autorité répressive et totalitaire. En vain, les flics ne les coffrent pas, et le concert finit par s’arrêter un peu misérablement... Au mois de février, les Beatles pensent encore pouvoir sauver les meubles en embauchant un nouveau manager, Allen Klein, ce qui apparemment n’est pas réjouissant. Évidemment, rien n’est vraiment sorti des sessions pour Let It Be, à part Get Back, mais Paul, encore et toujours continue de vouloir y croire. Il rappelle les troupes qui vont d’abord aux studios Trident. George, de son côté, va enregistrer en solo à Abbey Road. Il rentre deux chansons All Things Must Pass et Something. Ringo continue sa carrière d’acteur aux côtés de Peter Sellers qui est devenu un très bon pote du batteur.
Le 12 mars, Paul et Linda se marient, ils ne voient que ça à faire... Tout comme John et Yoko qui entament une véritable odyssée pour réussi à se marier ensemble. D’abord Paris, puis Gibraltar où ils arrivent à passer devant monsieur le maire. John va changer son nom en John Ono Lennon. C’est meugnon... Le couple va ensuite faire la fête à Amsterdam où ils font leur premier Bed-In pendant quatre jours. Le principe du Bed-In : resté couché, entourés de journalistes pour dire non à la guerre et oui à la paix... Trouver ça crédible, c’est une affaire de goût... En tout cas, toutes leurs aventures vont être comptées dans la chanson The Ballad Of John And Yoko où Lennon en rajoute une couche avec Jésus (comme si un scandale n’avait pas suffit) : « They’re gonna crucify me » dit-il (d’ailleurs, ils ne croit pas si bien dire même s’il va attendre encore quelques années avant son sacrifice...).
Et pour les morceaux des Beatles, il est amusant de constater que des morceaux d’Abbey Road sont enregistrés en même temps que certains pour Let It Be. En mai, John se prend la lubie d’obtenir un visa pour aller en Amérique. Il va avec Yoko et sa fille Kyoko, d’abord aux Bahamas puis au Canada pour poursuivre leur action pour la paix. Re Bed-In, cette fois ci à Toronto, le plus connu, car le plus médiatisé. Ils vont recevoir la visite de Timothy Leary et vont enregistrer la chanson Give Peace A Chance (avec Paul au tambourin et aux chœurs, ce qui a le don d’énerver John). En partant en vacances avec leurs enfants respectifs, Lennon et Ono ont un accident et doivent être hospitalisés. Pendant ce temps, Paul enregistre deux - trois chansons...
John s’implique dans le Plastic Ono Band avec qui il donne un concert pour promouvoir le single Give Peace A Chance. Il revient malgré tout à Abbey Road où il commence à enregistrer ce qui va être sa dernière participation à un disque des Beatles. Le calme après la tempête, ces sessions sont sereines et le résultat qui va en sortir va être époustouflant. Pourtant, dès que l’occasion se présente de s’énerver un bon coup contre Paul, Lennon la saisit et claque définitivement la porte. Officieusement, s’en est fini des Beatles, la plus prodigieuse boîte à musique existante...
La vie continue malgré tout, quelle plus belle image que la naissance d’une petite Mary McCartney, le 28 août 1969. Libre de tout engagement avec le groupe, Lennon va participer au Peace Festival de Toronto en septembre. La presse ne sera pas mise au courant de son départ, car au même moment, Allen Klein parvient presque à négocier les royalties des Beatles à la hausse avec EMI... Le 26 septembre, sort Abbey Road dernier effort studio des Fab Four. Dernière parcelle de rêve. Le 12 octobre, la nouvelle tombe : Paul McCartney serait mort depuis 1966 et aurait été remplacé par un sosie. Rumeur qui va faire beaucoup de vagues et Paul aura beau clamer qu’il est vivant et qu’il va bien, on trouve des indices qui disent le contraire dans les pochettes des disques et dans les paroles des chansons.
Au final, c’est un peu tout comme !
Let It Be, considéré à tort comme le dernier album des Beatles paraît en mai 1970. Le public ne sera au courant de la séparation des Beatles qu’au mois de décembre, au moment où Paul attaque en justice ses trois ex-compagnons. Une fin mesquine et triste pour un groupe qui pendant près de dix ans, a su faire rêver une jeunesse en quête d’absolu à travers le monde. Ce que McCartney ne pouvait pas savoir, c’est que même officiellement séparés, les Beatles restent le groupe de quatre types plutôt sympas. Un groupe qui a réussi l’exploit de créer la musique moderne et qu’aujourd’hui encore, on salue et on aime.
A chacun son destin. Mais s’il est bien une constante dans les carrières respectives de George, John, Paul et Ringo, c’est que jamais ils n’ont su atteindre la grâce et la perfection qu’ils avaient à quatre.
Les Beatles ont fait les Sixties et ils sont morts avec. Tant mieux. Rendons-leur grâce d’avoir réussi à arriver jusqu’à nous presque intacts.
Que deux d’entre-eux soient morts, à vrai dire, ce n’est pas le plus important, les deux autres finiront également par y passer.
Mais que l’on continue de considérer Lennon comme le révolutionnaire ultime après son installation aux USA, c’est déjà plus embêtant, car qui osera relever la bonne dose d’hypocrisie dont il faut faire preuve pour se proclamer « working class hero » et vivre en reclus dans un hôtel particulier, marié à une femme qui fait fructifier une richesse personnelle mirobolante ? Ce n’est pas la politique ou la révolution qui l’a tué... C’est un fan schizophrène. Et si, tout comme George, il était mort discrètement, de mort naturelle, aurait-il droit à des expositions, des statues et tant d’autres choses ?
Qui se rappellera que les Beatles étaient quatre et pas seulement deux ?
Qui se rappellera que Ringo a tourné un film pour Frank Zappa (et qui se rappelle encore qui est Frank Zappa ?!) et qu’il a continué à faire de la musique longtemps après la fin des Beatles ?
Qui se rappellera que George Harrison a produit les Monty Pythons et que contrairement à Paul, il a su se moquer de lui-même et apprécier l’hommage délirant rendu par les Rutles ?
Et par quel enchantement a-t-on pu oublier le rôle précurseur des Beatles pour en faire un groupe de gentils niaiseux qui ne font que des chansons d’amour ?
Quand on écoute les Beatles, on est toujours jeune, on est toujours bien. C’est peut-être là que réside tout leur intérêt. Le simple pouvoir magique de nous faire sentir en vie...
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Article originellement publié le 17 janvier 2006
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