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mercredi 15 avril 2015
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par Psychedd le 18 octobre 2005
Sorti le 26 septembre 1969 / Produit par George Martin / Enregistré aux studios Abbey Road, Londres.
Quand cet album est sorti en 1969, qui aurait pu se douter que le gang des quatre de Liverpool était en plein divorce artistique ? A vrai dire, en ce jour d’octobre 2005, on se demande encore si cet album n’est pas trop beau pour être vrai. Quand on le remet dans son contexte, force est d’admettre que les Beatles sont en train de se saborder... Lennon fait une véritable parano à l’encontre de McCartney, s’enterre peu à peu avec sa Yoko et s’emplit les veines de substances assez nocives à la santé. Ringo et George ont déjà quitté le groupe pendant quelques temps, agacés par cette ambiance lourde. Non, ça ne va pas du tout !
Ils ont bien tenté le coup avec Let it Be, évinçant pour le coup leur producteur de toujours, George Martin et même poussé le vice jusqu’à quitter les douillets studios d’Abbey Road qui ont fait leur légende. Un projet tué dans l’œuf, mais Paul ne l’entend pas de cette oreille. Dans un regain de fierté, de créativité, ou de masochisme, on ne sait pas trop, il rallie l’antre mythique, rappelle Martin et décide de mettre au point un autre album qui ne ressemblera pas à une scène de ménage sordide.
Etrangement, l’atmosphère se détend et le groupe semble se ressouder comme au bon vieux temps. Une accalmie de courte durée, certes, mais qui va donner aux générations futures un des disques les plus beaux de l’histoire de la musique moderne. Si si !
George Martin le dit lui-même : le groupe savait lors de l’enregistrement que cet album serait certainement le dernier, et s’il ne le savait pas exactement, il le pressentait. 6 semaines de créativité intense, menées par Paul plus remonté que jamais, puisque c’est lui qui signe une bonne partie du disque.
Mais comme il est vraiment sympa ce Paulo, il laisse Harrison enregistrer deux de ses plus belles chansons, Ringo faire le pitre sur un morceau et Lennon en balancer un petit paquet, qui est souvent d’excellente qualité, malgré une période personnelle un peu trouble.
L’album justement s’ouvre sur l’une de ses chansons, la monumentale Come Together, originellement écrite lors du Bed-In de Toronto, pour le mouvement de ralliement de Timothy Leary à ses thèses de libération de l’esprit, par l’usage de drogues hallucinogènes. Leary s’étant fait arrêter entre temps, John décide quand même de garder son morceau. L’histoire l’a surtout retenu en tant que pompage éhonté du You Can’t Catch Me de Chuck Berry, sauvé par la ligne de basse de McCartney et qui vaudra à son auteur un beau procès. A vrai dire, Lennon fourni ici un morceau lourd de sens, presque prémonitoire et même si l’analyse d’une chanson est toujours hasardeuse, on ne peut que se demander pourquoi ce mot en introduction, comme un ordre morbide, comme une demande de se faire suicider ? Bien que le « Shoot Me » originel ait été coupé par George Martin en « Shoot » pour ne pas violenter les oreilles des fans des Fab Four, ça n’en reste pas moins choquant, surtout rétrospectivement. Lennon veut bien dire à qui veut l’entendre, avec un ton acide qui fait bien mal, que merci, mais les Beatles ça va aller...
Dommage de penser ça quand Harrison délivre une merveilleuse chanson d’amour, la superbe Something, loin des clichés première époque où un garçon tient la main d’une fille. Non, c’est tellement plus profond, aussi profond que l’esprit de George qui s’élève grâce à la méditation, que même Frank Sinatra déclarera que c’est la plus belle chanson d’amour jamais écrite. D’autant plus que les Beatles se raccrochent à l’amour de leurs belles respectives. John et sa Yoko, Paul et sa Linda, qu’il vient juste d’épouser et George avec sa Patti, toujours présente depuis leur rencontre sur le tournage de A Hard Day’s Night. Un peu de stabilité dans ce monde de brutes !
Il fallait que Paul déconne avec Maxwell’s Silver Hammer, chanson cabaret idiote dont il a le secret et qui va mettre le feu aux poudres, puisque c’est à ce moment que Lennon claque définitivement la porte, refusant de jouer de l’orgue sur cette farce monumentale et désirant plus que tout fuir son ancien ami devenu caricatural à ses yeux. Mais heureusement que Paul sait aussi faire des chansons poignantes comme Oh ! Darling qui arrive juste après. Parfois on se demande même à qui il s’adresse dans ce morceau, puisque fraîchement marié qu’il est, tout semble aller bien. Tentative maladroite et à demi-mot de témoigner son attachement à Lennon ? Leur relation est tellement étrange qu’on peut se le demander. John a tout de même été jusqu’à demander le divorce à Paul un jour de psychose. Quand on vous dit que ces deux là ont un rapport fusionnel ! Une séparation ne pouvait que se faire dans la douleur et les cris...
Grâce à Ringo, l’ambiance redevient bon enfant, et même si Octopus’s Garden n’est pas un chef d’œuvre (loin de là), elle a au moins le mérite de faire marrer les autres membres du groupe. Peut-être parce qu’il l’a écrite sur le yacht de Peter Sellers, grand comique devant l’éternel, lors de son départ du groupe pendant l’enregistrement du White Album. Mais Ringo nous emmène dans ce jardin de pieuvre, comme un petit coin de paradis au milieu de l’Apocalypse, pas la peine de lui en vouloir de baisser le niveau, d’autant plus que voilà une chanson parfaitement enfantine qui rappelle l’excitation et la naïveté des débuts, quand ils ne se prenaient pas encore au sérieux.
C’est à nouveau Lennon qui revient plomber le tout avec I Want You (She’s so Heavy), oppressante à souhait, presque traumatisante pour qui l’entend la première fois dans sa prime enfance. John y hurle son amour pour Yoko, cet amour qui le coupe du monde, qui l’emplit jusqu’à la folie, jusqu’à l’état de manque. Yoko, et l’héroïne qui le dévorent de l’intérieur, même combat, même besoin. Puis cette fin, hypnotique à souhait, toute en puissance tranquille. On attend la fin qui ne semble jamais arriver, les nerfs se tendent et la pression monte. Puis apparaît un souffle lointain, le souffle du vent qui dissipe en un rien la tension comme s’il balayait des nuages de pluie, pour faire apparaître un peu de lumière. Ce que les possesseurs de CD ne savent pas, c’est que la fin n’est pas un fade out, avec le son qui s’estompe. Sur un vinyle, la fin arrive brutalement, rappelant par la même occasion que vous devez retourner le disque et que vous devez revenir à la réalité assez violemment.
Mais quelle réalité qui attend de l’autre côté !
La deuxième face s’ouvre sur Here Comes the Sun, le dernier morceau d’Harrison sur cet album. Chanson que l’on peut considérer comme un diamant taillé par la main d’orfèvre de George. Un optimisme à toute épreuve : le guitariste l’a écrite dans le jardin d’Eric Clapton, un jour de printemps. Un regain de bonheur arrive et nous voilà à nous réchauffer au son de sa guitare. La plus belle trêve de tout l’album, un petit moment que l’on voudrait prolonger plus longtemps, le calme après la tempête de la première face.
L’enchaînement avec Because, apporte un côté baroque inattendu, porté par de belles harmonies vocales. C’est encore une fois Yoko qui est la base du morceau, puisque c’est en l’entendant jouer le début d’une sonate de Beethoven et en lui demandant d’inverser les accords que John a trouvé la base de la chanson.
Le disque continue sur huit morceaux en un seul.
Oserait-on dire que Macca réalise enfin son rêve de concept-album dont la première tentative avec Sgt Pepper est devenue une blague monumentale ? Disons plutôt que cette partie de la face B est un meddley géant où viennent se côtoyer cinq de ses chansons et trois de John, écrites ça et là, même pas achevées et qui s’enchaînent bien ensemble, parfois grâce à des collages sonores. Pour l’anecdote, cette technique sera reprise par Pink Floyd lors de l’enregistrement de The Dark Side of The Moon, produit par Alan Parsons, qui fut un temps un jeune ingénieur du son à Abbey Road, sur un album des Beatles appelé... Abbey Road !
Comme dans toute suite de morceaux, il y a du bon et du moins bon.
Ca commence par du bon avec You Never Give me Your Money, le morceau où Paul déverse légèrement sa rancœur sur ce que sont devenus les Beatles. En trois parties, on sait ce que pense McCartney : l’argent qui a tendance à disparaître dans le gouffre Apple, ça l’énerve ; l’amitié de toujours qui s’achève, ça le rend nostalgique, et son mariage avec Linda, qui lui donne l’occasion de s’évader, ça le rend heureux. Musicalement, Paul est efficace, sa basse sonne vraiment bien et donne un dynamisme incroyable, les changements de rythmes sont impeccables, le tout dégage une belle énergie.
Dans le genre un peu moins bon (mais bon quand même), Lennon dit avoir entendu Sun King en rêve sauf que niveaux paroles, il nous refait I Am The Walrus en plus n’importe quoi... Vu que les seules choses qu’ils arrivaient à balancer dans le micro étaientt « quando para mucho » et que ça faisait rire Lennon, nous avons un bel exemple de mini manuel d’Europento où se mélangent des mots de touristes en portugais, espagnol et italien.
Là où l’on peut dire qu’il y a de la magie dans l’air, c’est qu’à partir de petits bouts et d’essais, la paire légendaire arrive à obtenir de petites perles pop comme Mean Mr. Mustard, Polythene Pam et She Came in Through the Bathroom Window, à la fois différentes mais parfaitement complémentaires, l’enchaînement découle de lui-même, et forme un ensemble cohérent mais toujours surprenant. Un dernier sursaut d’unité et d’équilibre, aussi précaire soit-il. D’autant plus que les sujets sont légers, loin des tourments et des disputes. D’une certaine manière, les Beatles reviennent à une époque où tout allait bien. La boucle est bouclée, ils le savent et donnent une dernière fois le meilleure d’eux, ils offrent leurs dernières étincelles d’innocence et d’amitié, cette formule qui les a fait devenir un groupe légendaire, un peu malgré eux .
Puis, ça sent vraiment la fin, Paul joue une berceuse avec Golden Slumbers, pour annoncer tranquillement au travers de Carry That Weight et The End que le trait est tiré, les Beatles ne sont plus. En un éclair, le groupe est redevenu cette cage dorée qu’ils veulent tous fuir, et McCartney professe : « Boy, you’re gonna carry that weight a long time ! ». A la fois adressé à lui même, comme une pensée qu’il se fait, ou comme une remarque acerbe envers Lennon qui l’a délibérément abandonné, il témoigne une fois de plus de la tristesse que la situation a créé en lui. Au delà de l’argent, au delà des conflits d’intérêt, il déplore la fin d’une amitié et surtout la fin d’une époque. Il est temps de grandir et de quitter ce cocon qui les a si longtemps protégés mais qui se retrouve maintenant trop petit pour les ambitions et les vies de chacun.
Comme une épitaphe sur une tombe fraîchement recouverte, les dernières mesures de The End, veulent tout dire :
« And in the end
The love you take
Is equal to the love you make. »
Peut-être ont-ils donné trop d’amour et n’en ont pas reçu assez en échange. Peut-être est ce un appel à l’apaisement des esprits : à partir de maintenant, tout recommence pour chacun d’entre eux. Et qui sait, peut-être retrouveront-ils ce lien si particulier dans un avenir plus ou moins proche.
Comme pour finir sur une touche d’humour qui dédramatise un peu la situation, Paul qui avait viré Her Majesty du meddley l’ajoute en guise de point final comme un gros pied de nez : la dernière personne évoquée sur le dernier album des Beatles est la reine d’Angleterre. On se demande s’il faut en rire ou en pleurer.
Les Beatles sortent Abbey Road et six mois plus tard ils annoncent officiellement leur séparation. Let it Be sortira un mois après en tant qu’album posthume et est depuis considéré, à tort, comme le tout dernier disque des Beatles. Situation qui peut paraître satisfaisante, car savoir que c’est Abbey Road leur ultime effort, c’est éprouver la tristesse de savoir que ces quatre là auraient encore pu être capables de grandes choses si tout avait toujours bien marché entre eux.
Rien n’y fait pourtant, à chaque nouvelle écoute, Abbey Road agit comme un puissant euphorisant, agréablement nostalgique. Malgré le contexte de sa création, c’est un album qu’on aime entendre quand tout va bien et qui provoque toujours le même symptôme : un pur sentiment de bonheur.
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