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par La Pèdre le 8 février 2012
paru le 2 mai 1983 (Factory)
Au moment où le magasine anglais Mojo propose un tribute album de Power, Corruption & Lies [1] il est bon de revenir à l’original, sorti il y a maintenant presque 30 ans, et de voir comment il a fait le son New Order. Ce deuxième album sort en mai 1983, pratiquement 3 ans après le suicide de Curtis, et laisse apparaitre des signes de maturation notables. En effet, si Movement fut enregistré dans la foulée de l’année 1980, comme pour enterrer le souvenir d’un échec, se dérober de la peur de ne plus exister et inscrire dans l’histoire ce nouveau groupe, Power, Corruption & Lies prend son temps. La première pierre fut jetée, c’était semble-t-il le plus important.
C’est qu’en 3 ans des choses se sont passées. En 1981, la Factory et New Order repèrent dans le centre de Manchester un magasin de bateau à moteur, anciennement une manufacture de textile de l’ère victorienne. Cela deviendra en mai de l’année suivante la Haçienda, club mythique dont l’existence même était un manifeste (comment ne pas regretter ces temps où l’electro -sous toutes ces formes- était un mouvement à l’enjeu véritablement esthétique ?). Toujours en 1981 Martin Hannett, producteur de Joy Division et nécromancien aux cernes lourdes qui imprégnait ce qu’il touchait d’un son froid, inquiétant et spatial, claque la porte de la Factory en plus ou moins bons termes. Dès lors les gars de New Order deviendront leur propres producteurs. C’est que les choses ne pouvaient plus être comme avant, et les matins noirs de Manchester allaient lentement passer ; l’Angleterre allait se trouver de nouvelles expressions.
Et en effet, l’album qui nécessita davantage de matériel électronique dans son élaboration fut précédé dans sa sortie par le fameux single Blue Monday qui, deux mois avant, donnent à Manchester des airs de Dusseldorf : le crossover entre post-punk et musique électronique est consommé. Comme souvent chez les groupes anglais de cette époque, New Order a un sens aigu de sa représentation, que ce soit dans les médias ou dans le graphisme ascétique et tranchant de Peter Saville. Ce qui permet malgré les évolutions de garder une cohérence artistique singulière. La pochette de Saville qui n’est autre qu’un tableau du peintre réaliste français Henri Fantin-Latour, se laisse lire comme l’album ; le code couleur à droite de l’image est comme l’électronisation d’un contenu déjà classique.
En réalité New Order hérite de l’esthétique de Joy Division, c’est-à-dire d’une sobriété presque froide des signes qu’ils donnent à lire, d’une dématérialisation du groupe. Ce qui vient changer et qui sera peut-être caractéristique de New Order c’est que ce no-look n’est plus la recherche d’une sublimation pure, sans icônes, d’un malêtre existentiel mais la recherche du commun populaire. Les titres de chansons sont généralement de noms de films, les textes sont quelconques et presque triviaux, l’absence d’un chanteur attitré comme l’éviction du Lead Singer Syndrome. Tout semble écrit pour faire écho d’un ordinaire saisissable par chacun. On ne le repetera jamais assez, New Order est un groupe populaire.
Power, Corruption & Lies est aussi caractéristique de la rupture avec Joy Division dans son contenu musical. Même si New Order livre ici une oeuvre à l’emballage froid, probablement dans sa discographie la plus proche de Kraftwerk, nous avons les deux modes majeurs de leur musique. C’est-à-dire d’une part une pop au sentiment élégiaque non loin d’un certain, disons, bucolisme synthétique (Age of Consent, The Village, Your Silent Face) et d’autre part une électro anguleuse bien anglaise (586, Ultraviolence, Ecstasy). La carrière du groupe dans l’ensemble se situera, parfois avec maladresse, entre ces deux pôles.
Le changement de cap est palpable dans l’organisation même du groupe. Movement montrait Barney et Hooky s’échanger les parties vocales, en essayant de garder le ton tragique de Curtis ; désormais c’est le guitariste qui s’occupera du chant de façon définitive, quitte à chanter faux. Nostalgique, on imagine volontiers Barney courir au travers d’arbres digitaux et s’émerveiller d’un papillon binaire pendant que l’inévitable Hooky joue de sa basse comme de la guitare (les cheveux gras, les jambes écartées, toujours). Alors certes, d’aucuns me diront que ça a vieilli. Bien sûr que lorsque l’on écoute The Village on peut se dire que ça a vieilli, probablement plus que les productions de Hannett, mais il faut regarder ce qui se faisait en 1983. La comparaison avec les Cure est révélatrice.
Ces derniers qui à l’époque sortent de leur implacable triptyque coldwave rompent avec leur passif d’une façon outrageusement plus bariolée avec la sortie de Japanese Whispers, compilation haute en couleurs et en synthés. Power, Corruption & Lies à côté c’est tout de suite plus sobre. Sans même parler de Depeche Mode et son écolopop (!) Construction Time Again, qui n’a d’intéressant que la pochette [2]. Bien sûr, ce n’est pas du tout la même chose, pas du tout les mêmes groupes, mais quand même. Il est intéressant de voir que New Order par son histoire et sa sobriété médiatique se voit évacuer la possibilité mortifère d’être considéré comme un groupe de garçons-coiffeurs (ce qu’ils ne sont jamais été, mais ne sait-on jamais, certains singles sont confondants).
Power, Corruption & Lies est alors un album important car il est le premier produit par le groupe lui-même. Dont acte : c’est ici que la couleur des sons change, la musique du groupe prendra ces contours élégiaques plutôt que tragiques. C’est aussi un album plus abouti et significatif que les deux suivants ; car moins ringard que Low-Life (1985) et plus iconique que Brotherhood (1986). Si ce n’est l’œuvre du nouvel ordre que l’on préfère, c’est probablement la plus définitive. Ce disque est presque un acte de foi synthétique, et en ce sens on ne pouvait rendre hommage à New Order qu’en reprenant Power, Corruption & Lies.
Puis l’album se clôt sur une ballade électronique froide et sobre comme l’hiver avec ce texte quelque peu grandiloquent qui pourrait avoir été écrit par Martin Gore, mais au final seulement par New Order. Barney qui chante comme s’il faisait trop tard des reproches, répète jusqu’au bout cette ritournelle difficile : leave me alone.
[1] Galette qui comporte quelques belles relectures, reprend dans l’ordre les plages de Power, Lies & Corruption ainsi que quelques autres singles de New Order sortis en ces mêmes temps. A écouter alors la géniale reprise de Murder par K-X-P, qui tranche dans la nuit comme une pinte brisée.
[2] Depeche Mode, encore alors dans une attitude plus naïve, se lassera de sa propre légèreté quelques années plus tard avec Black Celebration (1987)
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