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mercredi 15 avril 2015
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par Psymanu le 1er mai 2007
paru en novembre 2006 (Warner)
Loïc Lantoine n’a pas attendu que ce soit fashion pour faire du slam. Même qu’on appelait pas encore ça comme ça lorsque Badaboum, son précédent opus, a débarqué sans autres mots dire que les siens, directs à l’abdomen, un fracas donc l’écho résonne encore et qui ne pouvait demeurer sans suite.
En une violente paire de claques assénées bien sur chaque joue, le disque s’ouvre sur le morceau qui donne son titre à l’ensemble. Tout Est Calme laisse planer un inquiétant silence, c’est une dissertation sur les rapports humains et cet hymne à la peur dont on nous gave nos pauvres caboches. Un propos tout à fait d’actualité électorale, il est question de méfiance, et ça pue la claustrophobie de celui qui s’enferme pour ne rien risquer de son voisinage, forcément suspect. "Si les professionnels de la trouille parviennent à nous rallier, tremblants, et qu’on condamne la débrouille au nom d’un dangereux désordre puant, y aura de la merde dans nos urnes, et ce silence on se le mangera, journées nocturnes et chemises brunes...". Frisson d’effroi, on regarde ce qui nous attend, peut-être, et y a de l’ébène dans notre avenir. L’ambiance ne monte pas d’un cran, Loïc Lantoine déverse sa prose sous les lacérations d’un violoncelle, Bréhal invite au grand départ, à prendre la mer, exaltés par la puissance que nous donne le nombre et face aux éléments forcément déchaînés, en route vers un lendemain qu’il nous appartient encore de renverser. Bientôt est d’une même veine, mais les mots, signés Christian Olivier, celui des Têtes Raides, sautillent, plus allègres, sur les roulements d’un tambour plutôt martial. La Hache, pour sa part, semble renvoyer aux fragilités de l’humain, celles qui font sa beauté, celles qui font qu’on est tous sur la même galère et qu’il est si doux de se faire du bien, tous ensemble, dans l’écrin d’amitiés partagées où toutes nos différences font le ciment d’une belle unité, "et on ouvrira un bistrot, pour kidnapper la fin de la fête", tandis qu’en fond ronronne la pendule d’argent de Brel, celle qui dit oui, puis qui dit non, mais le temps ça se capture, même de façon fugace, on le laissera pas faire.
Un peu de légèreté, il en faut, NNY cause de Jojo Hallyday, d’un de ses fans, précisément, un collectionneur qui gronde qu’il ne faut pas en dire du mal, et il le rugit si fort qu’on se gardera de le faire, devant lui. Quelle voix il se trimballe, le Loïc, limite il ferait passer Arno pour un ado muant. Et pourtant il sait se faire agneau, lorsqu’il se pare d’un accent ch’ti pour parler de son pote Pierrot au son d’une guitare hispanisante, par exemple, on a envie de lui tendre le même sourire d’ami que celui dont il vante la fidélité. Et même, on se marre franchement avec Mais Non, qui nous assomme pourtant d’abord d’espoirs déçus, mais le cynisme s’efface comme il est apparu, dans le lancé comme à la cantonnade d’un "ben oui !" qu’on hurlera avec lui. Après un court intermède instrumental (La Berçeuse), Jour De Lessive, petite merveille exhumée du début du 20e siècle signée Gaston Couté, narre le retour d’un fils maudit qui dans les jupes de sa génitrice vient se repentir des crasses d’une vie débauchée par les vices de la grand’ville. Un texte écorché, postillonné, qui prend au tripes. Puis c’est à son père, qu’il pense ensuite : le Cosmonaute, c’est le poète qu’il a choisi de devenir, et qui de ses hautes sphères, lyriques et vocabulaires, tente d’irradier de beau, en poussière d’étoiles, notre vieille Terre et ceux qui six pieds dessous nous surveillent encore, on en est persuadés, même qu’on espère qu’ils sont fiers du meilleur de nous qu’ils ont su engendrer.
Et à nouveau l’on quitte la mélancolie pour les flon-flons de Quand Les Cigares, autre sublime vieillerie écrite par Roland Bacri, histoire de rêver un instant au basculement des richesses, des poches des nantis jusque dans les nôtres. Mais un instant seulement parce qu’ensuite il y a Chacun Sa Tronçonneuse, une invitation à ne pas rester seul et à y croire encore, pleine du spleen de l’existence, celui qui met en bouche les mots qui touchent en plein coeur tous ceux chez qui ça bat encore, là, juste en dessous. Un peu de colère pour Ta Tête Au Carré, invectives lancées vers le haut, vers ceux qui asservissent, et qui peuvent bien tout prendre mais n’auront jamais ce qui fait notre essence, Loïc prononce notre irréductibilité à toutes ces cases dans lesquelles, à coups de pieds, on voudrait bien nous faire entrer. Mélody Monfort est un nouvel intermède instrumental tout en cordes graves, et qui servira de tremplin au final, La Nouvelle, lettre ouverte, livraison sans fard aucun des intentions du poète, il dit qu’il s’en va mais qu’il va revenir, et nous, ben promis on lui garde une place, quand il veut.
Tout Est Calme porte mal son nom en ce sens qu’il est un tumulte de mots pleins du sens que leur auteur leur confère avec une gérérosité rare. Un disque qui s’écoute religieusement, avec attention et tendresse. Comme on prend soin de nettoyer une plaie purulente, on s’appliquera méticuleusement ce disque sur le coeur, parce qu’il possède ce quelque chose de médicinal, pour toute âme qui vive. C’est un disque politique, en cela qu’il éveille les sens et le bon sens, celui de la bonté qui s’en dégage et qu’il inspire en retour.
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