Incontournables
Truth

Truth

The Jeff Beck Group

par Psymanu le 15 mai 2006

paru en août 1968 (Epic)

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1967. La combo des maîtres, les Yardbirds, ceux qui accueillirent aussi un certain Eric Clapton, se fissure par son sommet : Jimmy Page reste seul aux commandes (il rebatisera le groupe New Yardbirds, brièvement, puis Led Zeppelin, définitivement), tandis que Jeff Beck, l’autre guitar hero d’alors, lui, veut un groupe à lui tout seul, avec son nom dessus. On peut trouver ça prétentieux, mais on peut aussi dire qu’au moins lui assume son nombrilisme (après tout qu’est Led Zeppelin sinon la créature de Page, tout au moins dans les premiers efforts du Dirigeable).

Et puis, il s’est vraiment battu, Jeff, pour avoir son groupe. Sous contrat avec Mickie Most pour produire ses œuvres à venir, il essuie le refus de ce dernier de laisser chanter qui que ce soit d’autre que Beck lui-même. En fait, Most ne veut même pas des autres membres du groupe, d’ailleurs. Il consent à les utiliser pour ce qui sera les premières chansons du Jeff Beck Group, chansons dont le guitariste virtuose ne veut même plus entendre parler aujourd’hui. Arrivé au bout de l’impasse, le producteur accepte finalement de laisser tout le monde enregistrer tel qu’il lui plait. Mais c’est qui ce groupe, au fait ? Eh bien il y a Mick Waller à la batterie, Ron Wood, qui n’a alors strictement aucune idée du destin qui est le sien, à la basse (mais oui), et enfin, au micro, roulements de tambours et vivas de la foule, un tueur absolu : Monsieur Rod Stewart. Et ce dont ces gars-là vont accoucher n’est rien moins qu’une pierre angulaire du rock : ça s’appelle Truth, en vérité je vous le dis.

Parce qu’on n’oublie jamais d’où l’on vient, il débute par Shapes Of Things, popularisé par les Yardbirds. Une sorte de revanche pour Beck, non crédité pour l’original. On le retrouve ici alourdi, heavy. C’est l’époque, qui veut ça : on n’oublie surtout pas le blues, mais on le transforme, on le durcit, on en accentue l’outrance dans l’épanchement. Cream, et quelques autres sont passés par là. Les guitares se font plus bavardes, la batterie également, et puis il faut hurler toujours, mais avec moult effets et tremolos. Et il y a tout ça chez le Jeff Beck Group. Comme dans Let Me Love You, ou Rock My Plimsoul. C’est du blues qui se la joue mâle et méchant, il est peu question de finesse, si ce n’est, et ça n’est tout de même pas rien, dans les fantastiques performances de Beck. Constamment entre riff implacable et solo de génie. Comme tout « natural born killer » à la guitare qui se respecte, il possède un son immédiatement identifiable, nasillard, fait de notes qui glissent et explosent comme tombent les bombes (en ça, on peut presque dire que Jimi Hendrix n’a rien inventé avec son Star Spangld Banner de Woodstock.

Mais il n’y a pas que ça, dans Truth. Par exemple, Morning Dew fait la part belle au vocaliste écossais, qui rugit dans un torrent de larmes ce standard de Tim Rose, ponctué par quelques wah-wahs du guitariste. Rod a insisté pour y ajouter des cornemuses, histoire de s’approprier un peu plus le morceau. Il y a Greensleeves, le petit instrumental, très sobre, dont on se demande ce qu’il fiche là au milieu de cette débauche d’excentricités. Tant qu’il y est, pour le plaisir, Jeff Beck remet son vieux Beck’s Bolero. Du coup, ça met Keith Moon dans les credits de l’album, ça le fait, même s’il n’est pas explicitement nommé (« You know Who »). Autre crédité de marque, John Paul Jones. Comme le monde est petit ! Il joue de l’orgue Hammond sur Ol’ Man River, un titre qui laisse place aux atmosphères plutôt qu’aux performances musicales. Enfin bon, si l’on écoute bien derrière les vociférations de Rod Stewart. Mais il ne faut pas lui en vouloir. Il est alors tout jeune et vocalement en pleine bourre, et puis il faut au moins être au taquet pour tirer son épingle du jeu à côté d’un gratteux comme Beck. Profitez-en bien, il n’aura plus jamais cette amplitude, cette puissance dans la voix, laquelle ne se remettra jamais de l’effort. Mais il compensera par un feeling bien supérieur, et pour le second album du groupe, il sera même crédité « Extraordinaire Rod Stewart » sur la pochette. Le monstre du disque, c’est Blues De Luxe. Sept minutes live durant lesquelles Beck, Stewart mais aussi Nicky Hopkins prennent la parole chacun à tour de rôle, chacun avec ce qui lui sert d’instrument. L’album se clôt sur I Ain’t Superstitious, un festival de wah wah du maestro.

Il faut ouvrir une parenthèse pour parler de You Shook Me. C’est un morceau qui fait encore couler de l’encre, parce que s’il figure sur ce disque, et de fort belle manière, il possède aussi sa version sur un autre disque, sorti plus tard : Led Zeppelin I. Alors voila : selon les dire de Jeff, Page se baladait régulièrement dans le coin où se façonnait Truth, parait-il par simple curiosité. Et Jimmy n’a même pas prévenu son pote qu’il comptait reprendre le morceau à son tour, de quoi l’avoir mauvaise. Un « coup en douce » qui ne fait qu’accréditer la thèse selon laquelle Led Zeppelin aurait énormément pompé sur le Jeff Beck Group. Le succès, hélas, choisira son camp.

Truth est incontournable parce qu’il était là en premier. Son successeur, Beck Ola, est à peu près aussi bon, plus concis. Mais, c’est celui-ci qui a enfoncé toutes les portes que franchiront la concurence, évoquée plus haut. Ce qui ne rend que plus regrettable l’incapacité du groupe à se gérer lui-même, à ne pas se lézarder sous le poids des égos. Avec un peu de stabilité, qui sait ce qu’il serait advenu de l’aventure ? Le meilleur leur était promis, ils l’ont laissé aux autres.



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Tracklisting :
 
1- Shapes Of Things (3’21")
2- Let Me Love You (4’44")
3- Morning Dew (4’43")
4- You Shook Me (2’33")
5- Ol’ Man River (4’01")
6- Greensleeves (1’50")
7- Rock My Plimsoul (4’14")
8- Beck’s Bolero (2’55")
9- Blue’s Deluxe (7’33")
10- I Ain’t Superstitious (4’56")
 
Durée totale : 40’50"