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Twin Arrows

Twin Arrows

Twin Arrows

par La Pèdre le 1er mai 2012

3,5

6 avril 2012 (autoproduit)

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On ne sait plus trop quoi penser des formes modernes du blues et de ceux qu’on présente plus ou moins comme ses épigones. A longueur d’articles on vient buter sur les mêmes références, du culte malhabile livré aux White Stripes jusqu’aux saucisses endimanchées que sont les Kills (puis les Black Keys qui, patatras, déclarent qu’ils n’écoutaient jamais du blues mais plutôt Wu-Tang, franchement on les aime bien mais faudrait pas pousser...). D’une manière générale les représentations collectives du blues ont vrillé et ses codes ont été récupérés à la grande, je n’apprends rien à personne. Qu’il n’y ait plus vraiment de Noirs aujourd’hui pour se coller à l’exercice est une banalité consentie par tous. Surtout, une fois que les derniers représentants historiques eux-mêmes brandis pour divertir la société bourgeoise (voyez B.B. King et ses tournées à 100 euros la place) seront morts, on finira par oublier qu’initialement se fut une musique qui adjurait l’infortune.
Cette gentrification semble si nette que l’apparition dans l’industrie musicale d’un personnage aussi anachronique que Seasick Steve, dont le sens commercial est volontiers archaïque, reste remarquable. Naturellement, qu’on puisse faire de la musique comme ça en 2006 n’en reste pas moins un cri solitaire, car le véritable bluesman n’a pas de combat sinon celui évident de son âme. Le retour du blues, comme mouvement culturel collectif, l’intéresse autant que de jouer pour une marque de fringue à la mode.
L’époque a fini par coincer la musique du diable dans ce truisme qui la dépouille de son histoire : le blues est la lascivité. N’est-ce pas là ce qu’on entend toujours à propos de la voix d’Alisson Mosshart, de la guitare de Dan Auerbach ? Pourtant loin d’être réductible à son élément sexuel, le blues est avant tout la faute à pas de chance. Blues is not a matter of color. It’s a matter of bad luck  [1].

Alors au moment où Jack White nous pond sa dernière chipolata, détournons notre regard vers d’autres terres. Car c’est de là où on attendait plus rien, d’un Paris qui ne fait rêver plus grand monde, qu’émerge un collectif râblé qui bourlingue sur les routes damnées du grand Ouest américain circa 1970. Twin Arrows, nom du groupe et du premier album dont il est question, ne trompe pas sur ses références. Car en réalité Twin Arrows n’est rien d’autre qu’une ville fantôme de l’Arizona, dans le sillon de la route 66, dont il ne reste aujourd’hui que l’enseigne anodine du poste de traite. Des flèches jumelles, plantées là dans le sol comme des reliques, qui sont devenues une sorte d’édifice curieux, vaguement pop art, dont le seul mérite est d’avoir survécu aux affres du temps.
Surtout, ces flèches n’indiquent rien d’autre que l’abandon et le souvenir d’un coin autrefois fréquenté. L’emprunt des Parisiens n’a alors rien d’une allusion innocente, car en se jouant de toute cette mystique américaine, c’est bien ce qu’évoque leur musique : la poussière et les fantômes.

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Entre Robert Indiana et Claes Oldenburg, parfaitement par hasard

Autant dire d’emblée que leur blues rock s’amène, bite et couteau dehors, pour ouvrir les brèches du temps et nous renvoyer aux Doors dernière période, alangui dans une production garage. Le riff de Track Trombone piqué à Crawlin’ King Snake ne dément pas. On découvre une voix chaude de femme qui sait tirer profit d’étonnantes inflexions comme le Morrison dans ses jours bleus, deux guitares qui conversent un verre de Jim Beam à la main, appuyées par une section rythmique solide qui a le sens du break pour donner un dynamisme couillu à des compositions aussi fraiches que le rock. On le sait, il n’en a jamais fallu plus que ça pour que le bon vieux train reparte.

La première piste envoyée et c’est tout un blues bar abandonné qui reprend vie. Injured Night, davantage uptempo, se jette dans la gueule du serpent avec un lyrisme limoneux. Le motif à la guitare volontiers plus garage rappelle les Cramps. « Watching my cigarette burn », répété au désir, les bottines frappant de plus en plus fort le vieux parquet miteux. La cavalcade psychobilly du morceau attire l’âme zombie de Lux Interior, qui au comptoir commande évidemment un Bloody Mary aleviné au Tabasco vert.
Au pied levé, on passe à Jinx avec son chant scandé façon The WASP. Une guitare diligente qui dialogue avec la chanteuse lâche des riffs essentiellement kriegeriens, avant que tout s’emballe. « Suck my finger, it tastes sugar ! » . Un break. La guitare maligne qui repart de plus belle, un cri félin, pour une minute d’osmose grinçante. Le pantalon en cuir colle à l’entrejambe, c’est le moment de la ballade pour les autoroutes désertes, Hey Day. Il faut bien se laisser rafraichir par la bise chaude, le temps de mordiller un cigarillo.

Et puis merde, d’un coup on envoie le fond du bourbon pour se donner du courage, jusqu’à la fin on va invoquer les esprits flambés. On reboulonne avec Sleepwalker’s Burn (ce titre qui évoque l’incandescence d’une Amérique vaudou !), puis embraye rapide sur Soup of Rocks. Une grosse caisse martèle à contretemps et le pied du micro entre les cuisses, la chanteuse sait brusquer ces messieurs en alternant suavité et rugissement. Sans que l’on s’en aperçoive, s’invite un clavier chill qui fait se réconcilier Manzarek et Booker T. autour d’un gin, jusqu’à 3’14" d’où sortira d’une bouteille de Corona le riff rusé qui ramènera le morceau vers sa batterie conclusive. Pas loin des cabinets (where else ?), le Jimbo se gratte le bide, en s’en reprenant une, de bibine. Il râle, ça pêcherait par redondance, on lui aurait piqué des idées... cette égomanie !

Qu’il attende, les deux prochains morceaux lui feront roter sa bière. Sur White Room, le chant d’Eléonore Michelin s’enroule lentement dans une scansion grave pour buter sur des hoquets piquants. Ça se muscle avec cette batterie admirable qui se joue de tout. Ça part et ça s’arrête. Un jeu de rupture bien senti, les garçons en ont dans le bide. Finalement 5’04’’, ça y est, pour de bon : on s’emballe dans une orgie instrumentale à s’étrangler. Pour une fois que ça sent la bite ! C’est le même topo pour Never Known ; on commence avec des cordes anxieuses, une basse rondouillette, des cymbales qui tintillent dans l’attente méfiante, avant qu’au travers des breaks la voix presse (« I never know when I see you again ! ») des accords presque punk d’en finir. Qui aurait cru que Andy Gill se promènerait dans le coin, décidément.
Cassander’s Loteria, plus versatile viendra conclure l’exercice électrique, mélangeant les ambiances avec son orgue psychédélique. En son milieu le morceau troque son blues bourru pour des arpèges de guitare à la Riders on the Storm. On passe d’une atmosphère rouge à celle nocturne et diluvienne des motards romantiques. Il ne manque plus que les samples d’orage, dit entre deux flatulences le Jimbo à peine caustique.

Il n’empêche que dans le fond de la salle il y a grabuge, Blind Willie McTell et ses petits copains réclament leur morceau à la slide. Après tout, on est en Arizona ou on n’y est pas. Question de rhétorique, The Woods viendra bercer les esprits noirs et les ectoplasmes infortunés de la grande Amérique mystique.
Pour la route, un dernier verre, une bonus track concassée. On sort du bar, on en referme la porte. La route 66, ces êtres de fumée et les flèches amarrées au sol se dissipent finalement comme un rêve de minuit. Ça ne restera qu’un fantasme à jamais inatteignable. Et qu’on ne me parle plus jamais de Jamie Hince ou de Jack White.



[1Parce qu’il est grand temps de se rappeler ce qui est blues et ce qui ne l’est pas, je ne saurais que trop conseiller la lecture de cet article proprement bidonnant.

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Tracklisting :
 
1. Track Trombone (3’24")
2. Injured Night (3’13")
3. Jinx (4’38")
4. Hey Day (4’48")
5. Sleepwalker’s Burn (2’24")
6. Soup of Rocks (4’14")
7. White Room (5’51")
8. Never Known (3’58")
9. Cassander’s Loteria (4’07")
10. The Woods (5’54")
 
Durée totale : 42’45"