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par Efgé le 17 juin 2008
Paru le 9 novembre 1999 (Epic / Sony)
Le succès, la reconnaissance médiatique, les rotations lourdes en radio, les unes des journaux… bref, tout ce dont rêve un musicien un tant soit peu « normal » (si vouloir faire carrière peut être considéré comme une ambition « normale »), Fiona Apple, elle, n’aime pas. Elle, qui a vu un buzz international la frapper tel un cyclone birman à tout juste 19 ans, lorsque son premier album Tidal est sorti, a plutôt très mal vécu le passage de l’ombre à la lumière. Les singles, les tournées, la pression de la maison de disque… Et, conséquence logique, les attentes liées au deuxième album.
Théorème : tout corps d’artiste plongé dans un succès mondial après la parution de son premier album subit une poussée inversement proportionnelle sitôt son successeur dans les bacs – poussée qui le conduit, indifféremment, aux fraises, dans une voie de garage, ou sur le plateau de la Star Academy. Ainsi, il convenait pour Fiona Apple de trouver les garanties pour ne pas se faire croquer.
L’homme providentiel s’appelle Jon Brion. En électrisant les compositions de la Apple, en leur donnant du relief et une certaine âpreté, celui que l’on trouve derrière la plupart des succès américains des années 2000 empêche les compositions de la diva de sombrer dans la variet’ (écueil dans lequel Tidal s’était parfois égaré). C’est en grande partie grâce à lui que When The Pawn... est devenu ce qu’il est : un disque hirsute, pervers [1], tout en chausse-trappes, qui, sous un faste décorum, cache plus d’ombres qu’il n’y paraît. Une rose entourée d’un tombereau d’épines, en quelque sorte, comme sur On the bound, le titre qui débute l’album de manière fracassante, où le piano déchire le décor comme un coup de tonnerre.
C’est cette perversité charmante, cette « intranquillité » maîtrisée, qui font de When The Pawn un grand « petit disque ». Où la petite chanteuse végétalienne lâche des « fuck » à faire pâlir 50 Cent (A Mistake), où celle-ci peut écrire, dans le single Limp : “You wanna make me sick, you wanna lick my wounds (…) you feed the beast i have within me”. Soit : « Tu veux me rendre malade, tu veux me lécher les plaies (…) tu nourris la bête qui est en moi ». Il y a des paroles plus middle of the road, non ?
Non, même si la fille est jolie, on n’aimerait pas vraiment partager notre vie avec la Apple – comme elle nous l’invite d’ailleurs : “Fast as you can baby, run – free yourself of me” (Fast As You Can) , “I wouldn’t know what to do with another chance if you gave to me” (dans The Way Things Are). Un refus de l’auto-apitoiement, une crudité dans les paroles, une manière de dire la perte d’amour : on n’est ici pas loin de Miossec (en moins pleureuse, quand même) : “It’s time the truth was out that he dont’ give a shit about me” (Get Gone).
Loin de l’esthétique clinquante et en toc de la « rebelle » (on n’est pas chez Pink, ici), Fiona Apple montre ici une réelle maturité et une vraie assurance – contrairement à beaucoup de ses contemporaines (voir plus haut), l’adolescente révoltée s’est transformée en une femme aux colères affirmées, droite et fière. Sa musique n’est qu’en apparence facile à chanter et rapide à consommer. Comme ses voisins californiens, Eels, comme ses « grandes sœurs », Kate Bush et surtout Suzanne Vega, Fiona Apple a développé l’art d’enrober les paroles les plus crues dans un songwriting léché, fait de guirlandes de piano et d’orchestrations élégantes. Moins coincée que Suzanne Vega, plus douce que PJ Harvey, Fiona Apple entre ainsi dans le Panthéon des filles qui en ont.
[1] Ne faut-il pas l’être, en effet, pervers, pour dénommer une galette : When the Pawn Hits the Conflicts He Thinks Like a King / What He Knows Throws the Blows When He Goes to the Fight / And He’ll win the Whole Thing ‘Fore He Enters the Ring / There’s No Body to Batter When Your Mind is Your Might / So When You Go Solo, You Hold Your Own Hand / And Remember That Depth is the Greatest of Heights / And if You Know Where You Stand, Then You Know Where to Land / And if You Fall It Won’t Matter, Cuz You’ll Know That You’re Right. Record estampillé, interdit aux asthmatiques.
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