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par Aurélien Noyer le 30 octobre 2007
1970 n’est pas seulement une année-clé qui marque la fin des désormais mythiques sixties. Ou peut-être l’est-elle tellement qu’il est extrêmement réducteur de se limiter à ce lieu commun. Quasiment tous les acteurs de cette décennie se sont bizarrement sentis obligés de changer, d’évoluer, comme si les années 60 avaient été aussi bien un Eden qu’un purgatoire. Alors que ce soit d’eux-mêmes ou par la force des choses, ils se sont tous empressés de passer à autre chose. Et pour un Pete Townshend se sentant l’étoffe d’un grand compositeur et se lance dans l’écriture de Tommy, on a un Lennon qui se retrouve seul, au pied du mur (ou sur la colline, c’est selon...). Les Beatles ont explosé et il doit maintenant prouver que même sans les trois autres, et surtout sans son alter-ego de Paul McCartney, il reste un artiste digne de ce nom. Donc on oublie les disques expérimentaux avec Yoko Ono, il est temps de se consacrer sur l’enregistrement d’un véritable album de John Lennon, avec de vraies chansons. Lennon est libre de faire ce qu’il veut et il veut le faire savoir.
Ainsi, Plastic Ono Band, son premier vrai opus solo est certes mélancolique, introspectif, mais il est aussi rageur et engagé. Car si John n’a pas encore emménagé au Dakota Hotel de New York, il commence déjà à s’acoquiner avec cette gauche américaine, trop contente de profiter de la notoriété d’une telle icône. Et quand le Leader Maximo des sixties change son credo, passant de All You Need Is Love à Power To The People, oui, Bob, les temps changent. Et sur ce premier album, on retrouve donc une des premières chansons réellement engagées d’un artiste qui, jusque là, avait tendance à esquiver ce genre de sujet (cf. les deux versions de la chanson Revolution ou même Give Peace A Chance qui évitait toute implication idéologique et se limitait à son message pacifique). Et pour son premier essai dans la protest-song, Lennon en revient à ce qu’il connaît le mieux, lui, l’ancien petit liverpuldien.
Cette première tentative sera donc Working Class Hero, sa chanson sur la classe ouvrière. Un riff entêtant, un refrain omniprésent, revenant sans cesse comme un mantra, la voix de Lennon oscillant entre tristesse, amertume et colère, et surtout des paroles pas aussi manichéennes qu’il n’y paraît au premier abord. Car si John peut se mêler aux amis de John Sinclair, il n’en oublie pas d’où il vient et se montre très lucide sur le sort de cette working class que l’intelligentsia new-yorkaise se targue de défendre. Bien sûr, il voit l’exploitation des classes défavorisées par les classes supérieures, ce fameux "ils" revenant sans cesse, jamais clairement défini, mais dont la nature ne fait aucun doute. Énumérant les humiliations et les vexations qui s’accumulent tout au long de la vie (durant l’enfance, à l’école, au travail), Lennon égrène les couplets séparés par ce "A working class hero is something to be".
Sans doute, était-il d’accord avec cette vision très "lutte des classes" du sujet, mais il ne se berçait pas d’illusions et n’a pas hésité à mettre l’accent sur la passivité de sa chère working class, réservant son couplet le plus violent à la sermonner plutôt qu’à la plaindre. Complétant la célèbre phrase de Marx, "la religion est l’opium du peuple", il lance quelques vers rageurs :
Keep you doped with religion and sex and TVAnd you think you’re so clever and classless and freeBut you’re still fucking peasants as far as I can see
Le seul couplet de la chanson où le "they" malfaisant et tout-puissant n’apparaît pas. L’ambiguïté est bien là : est-ce la classe dominante qui garde les prolétaires sous contrôle grâce à la religion, au sexe et à la télévision ? Ou est-ce les prolos eux-mêmes qui entretiennent leurs petites illusions, s’évitant ainsi de réfléchir à leur situation ? Cette absence de sujet au verbe "keep" laisse planer le doute et sans doute faut-il comprendre que les deux possibilités reflètent chacune l’avis de Lennon. De façon significative, c’est précisément ce couplet et son "fucking" qui irriteront la censure qui fera interdire la chanson sur plusieurs radios américaines. De même qu’on peut imaginer que c’est ce genre de chansons qui décidèrent le FBI à monter un dossier sur l’ex-moptop devenu activiste politique. Une époque était finie et une nouvelle ère commençait...
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