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par Giom le 28 novembre 2005
On connaît finalement que très peu de choses sur ce morceau qui ouvre Hail To The Thief, dernier album en date de Radiohead, Thom Yorke ayant à son propos seulement fait une remarque formelle : « Avant « I swat ’em like flies but like flies the burgers keep coming back », je n’avais jamais mis autant de syllabes dans un vers, du coup ça en devient très difficile à chanter ». Pourtant, la critique bien pensante qui, en 2003, ne jure plus que par Radiohead en a tout de suite fait le premier manifeste anti-Bush, sorti juste après la calamiteuse expédition en Irak. Pourquoi ? Explications.
D’abord, notons le clin d’œil explicite au livre de George Orwell, 1984, référence constante du chanteur oxfordien, avec le titre même du morceau : 2+2=5. Dans 1984, un des signaux de l’aliénation des individus consiste dans le fait qu’il leur est impossible d’affirmer une des seules vérités basiques : le fait que deux et deux fassent quatre. Dans la fiction d’Orwell, la vérité officielle est tout autre et ne peut être remise en question : 2 et 2 font bien 5, quoi qu’il arrive. Dans la première strophe du morceau, Yorke pointe donc du doigt avec cynisme tous ceux qui font le constat que le monde dans lequel nous vivons est marqué par le mensonge que symbolise cette équation mas qui ne font rien pour rétablir la vérité, restant toujours chez eux en ironisant sur ces « dreamers » qui parlent de « monde idéal » où justice et vérité seraient des valeurs fondatrices.
Puis la tonalité change, le morceau devient plus tendu, la rythmique est plus rapide. Yorke, qui a lu Dante durant la composition de l’album, nous invite, comme le poète italien, en Enfer (« It’s the Devil’s way now/ There is no way out... »). Alors que la musique explose grâce à des rugissements de guitare, le narrateur change, laissant place à une voix autoritaire et dictatoriale que beaucoup de critiques ont assimilé à Bush. Cette voix « écrase les emmerdeurs » (le fameux vers « I swat ’em like flies... »), refuse qu’on le « traite de voleur » (on trouve ici le fameux slogan anti-Bush « All Hail To The Thief ! », scandé avec emphase par Thom Yorke et le guitariste Ed O’Brien) et refuse qu’on remette en cause son autorité. Yorke hurle ces paroles avec sauvagerie, s’effaçant derrière ce personnage qu’il fait vivre. La musique est alors à son paroxysme d’intensité [1], l’âbyme est atteint. Un « Not » contestataire se fait entendre à plusieurs reprises, bientôt étouffé à son tour. Dante et Virgile sont revisités en 2003 par un petit oxfordien inquiet de l’actualité politique en 2003.
A la fin du morceau, le chanteur essoufflé par la performance vocale, soupire le néologisme « aah diddums » qui peut être analysé comme la contraction du verbe to diddle (voler) et du substantif dumb (idiot) [2]. Comme par hasard, dans le livret, les paroles sont entre parenthèses comme si le poète (pardon le chanteur, je m’emporte !) ne pouvait laisser entendre sa propre voix désabusée que derrière une carapace linguistique protectrice. « Tout fait signe ! » comme dirait l’autre.
Certes, il est exagéré de faire de Radiohead un groupe politique même si la critique des abus du pouvoir parcourt l’œuvre du quintet oxfordien (on pense aux morceaux No Surprises de 97 ou You And Whose Army ? de 2001). Il n’empêche qu’un tel morceau a valu au groupe de voir certains exemplaires d’Hail To The Thief se faire brûler par une poignée de fanatiques texans. Thom Yorke aurait aussi reçu des menaces de mort et depuis, le lutin oxfordien se promène avec des gardes du corps. Et ben dites donc !
[1] Portée par la guitare extrêmement nerveuse de Jonny Greenwood qui n’a sans doute pas joué comme ça depuis The Bends.
[2] Cette analyse pertinente a été proposée par les animateurs du site français justradiohead (www.justrh.free.fr).
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