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par Psymanu le 19 septembre 2006
paru en septembre 2006 (Because Music/Wagram Music)
Ça la démangeait, depuis longtemps. Elle tente le coup, pour son plaisir, celui qu’elle se fait et celui qu’elle veut donner. Charlotte Gainsbourg publie en 2006 ce qu’on peut considérer comme son vrai premier album, celui d’une artiste confirmée, celui d’une petite nana qui sait où elle va et d’où elle vient, et qui veut tenter un "truc". Ça s’appelle 5:55.
Comment se lance-t-on dans la chanson lorsque l’on est le rejeton d’un artiste majeur dans le domaine, graveur de plusieurs sillons dans lesquels marchent encore (et ça n’est pas terminé) certains de ceux qui font aujourd’hui les plus ou moins beaux jours de notre musique pop à nous de France ? Et bien soit l’on se considère touché par une grâce similaire, et l’on tente de suivre un même chemin (et là, les exemples de réussite à la Jeff Buckley manquent), en sachant dès le départ que de toute manière l’on part avec le désavantage conséquent de n’être à vie comparé qu’à son illustre géniteur, et par le fait, battu d’avance. Parce que c’était forcément mieux avant, surtout lorsque la patine du temps a su épurer ces sillons, les débarrasser de tout ce qui pouvait en entacher le génie, justifier chaque errance. Ou bien, on peut assumer ses carences et faire appel à ceux qui savent faire et dire, à notre place. En essayant de toute son âme d’insuffler un peu de soi, de faire sienne l’oeuvre des autres. Charlotte Gainsbourg a choisi de s’inscrire dans ce second cas de figure, et on l’en remercie avant même la moindre note entendue. Parce que merde, le grand Serge, quoi. Et puis Jane, aussi. Après tout, elle est un peu la fille pas batarde du tout de L’Homme À Tête De Choux et de Melody Nelson. C’est dire comme elle est aimable a priori. Remarquez, ça avait presque mal commencé, avec un saut dans le grand bain toute gamine, via Charlotte Forever, disque composé par papa, alors que celui-ci n’était déjà plus qu’une ombre lointaine de lui-même. Oublions. Cette fois-ci, elle ne se fera muse qu’à dessein, avec un vrai regard sur ce qu’elle aura inspiré. Parce qu’elle a du charme, une personnalité foncièrement attirante, ses collaborateurs seront rien moins que Air (un des trois plus grands groupes français du monde), Neil Hannon, Jarvis Cocker, et le super-producteur Nigel Godrich. Bref, que des gens de classe, capables à la seule force de leur nom d’immaculer un pedigree.
Et on comprend comment elle a su les attirer, ces oiseaux-là, dès que ses premiers murmures se font entendre : Charlotte chante comme une sirène, d’une voix douce capable d’envoûter le pire rustre qui soit. C’est beau, comme elle su les asservir. Avec humilité mais avec autorité dans le choix et des textes et des mélodies. Aucun son n’est plus fort qu’aucun autre, il se dégage de 5:55 une immense impression de cohérence, d’unité. Et cette même beauté fluide qui traverse chaque titre. C’est simple, on dirait du Air. Tout le long. Mais du bon, du très bon. Ces deux-là, Godin & Dunckel, sont sans doute les vrais génies de ce disque, pour avoir su tisser cet écrin dans lequel Charlotte peut glisser ses mains qui carressent l’auditeur toujours dans le sens du poil, jusqu’au frisson. "Now I’m inside you/My hands can feel their way/.../Now I can really mess around with your heart/And fill it to the brim with broken dreams", fredonne-t-elle sur The Operation. Elle nous tient à sa botte, ou dans sa paume, mais nous souhaite un agréable voyage, tout de même, sur AF607105. Tu m’étonnes. À une seule exception près, tous les titres de 5:55 sont en anglais (Jamais est une fausse piste, en forme de rupture telle qu’on ne voudrait en vivre aucune, lorsque celle qui s’en va, plus belle et ennivrante que jamais, nous balance qu’on n’a de toute façon rien pigé et tant pis pour nous, c’est fini). Cette exception, donc, c’est Tel Que Tu Es. On perçoit ce que cet effort a pu lui coûter, les mots se font un rien plus heurtés dans sa bouche. Chanter dans sa langue maternelle, et après son père et son talent d’écriture, c’est une mise à nu d’une grande impudeur, si on y met du cœur. Toute fragilité brandie en étendard, on tremble avec elle. Heureusement, elle peut compter sur son équipe pour la sortir très vite de l’embarras, elle enchaîne avec cette merveille qui, merci pour cette fois, tourne en boucle sur les radios, The Songs That We Sing. Somptueux. Il n’empêche, difficile d’isoler un titre sur cet album, monotone dans le bon sens du terme, dans les hautes sphères, en apesanteur. Et un "french accent" à réconcilier la perfide Albion entière avec notre pays.
Charlotte Gainsbourg apparaît sur disque telle qu’elle est à l’écran, et telle qu’on veut croire qu’elle est à la ville : charmeuse, parfois espiègle, pardonnable en tout, d’un charisme doux qui donne envie de la suivre partout où il lui plaira de nous emmener. Alors bien sûr, 5:55 n’est pas un disque que l’on écoutera en boucle. C’est une sucrerie que l’on s’autorisera juste de temps en temps, pour oublier que dehors c’est froid et sale. Pour se suspendre à un instant d’une grande pureté. On en stoppera l’écoute dès que l’ennui se profilera à l’horizon, parce qu’on ne voudra pas le gâcher. Parce qu’on veut l’aimer, parce qu’il est beau, cet album. On ne souhaitera même pas qu’il y soit donné suite, on l’apprécie juste pour ce qu’il est, en balayant d’un revers de la main tout ce qui pourrait le situer dans une quelconque chronologie, ou un contexte. Au delà de tout.
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