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par Emmanuel Chirache le 30 juin 2009
Paru en 1987 (Epic)
La nouvelle va sans doute vous surprendre, mais Michael Jackson est mort. L’occasion pour nous autres charognards de nous pencher sur sa dépouille - pré-embaumée et pré-momifiée avant même sa mort, plus fort que les pharaons - histoire de décortiquer la musique beaucoup, l’homme un peu. L’homme ? À bien y regarder, la vie de Michael Jackson ressemble à une lente quoique terrifiante coupure du reste de l’humanité. Enfant star dès l’âge de cinq ans, gamin martyrisé et abusé par son père, jeune surdoué utilisé par les médias pour faire leur beurre, apôtre élégant du disco-funk sur Off The Wall et danseur génial à vingt ans, adoubé King of Pop à vingt-quatre avec Thriller, produit marketing par excellence à trente, colportant lui-même les rumeurs les plus excentriques sur sa personne [1] avant de réaliser son erreur et d’en payer la note au prix fort, publicité vivante pour les dangers de la chirurgie esthétique à quarante, star recluse et paranoïaque à cinquante, Michael Jackson n’a jamais connu l’existence de monsieur tout-le-monde. Sans oublier les histoires de blanchiment (en réalité sa pâleur résulterait d’un mélange entre maquillage et vitiligo, une maladie qui dépigmente la peau) et les accusations de pédophilie au dénouement toujours trouble même si rien n’aura été prouvé, sinon que Michael aimait dormir avec des enfants ce qui est somme toute une chose très banale comme me le confiait récemment un ami qui habite Outreau. Beaumarchais n’avait pas tort quand il disait : "Calomniez, il en restera toujours quelque chose". En l’occurrence, il restera quelques mystères enfouis avec le cadavre.
En fait, on ne souhaite la vie de Michael Jackson à personne. Le chanteur fait partie des "freaks" de l’histoire américaine, un monstre d’abord exhibé puis caché, probablement l’une des dernières véritables stars, à savoir un artiste capable d’engendrer du mythe - sous forme de tragédie la plupart du temps. Voilà sans doute pourquoi partout dans le monde des camions entiers d’abrutis pleurent la star qui par ailleurs n’avait rien produit de mémorable depuis près de quinze ans. Tous les journaux inondent leurs lecteurs de double page avec photos, les radios résonnent au son de Black Or White ou Billie Jean, les télévisions vibrent d’hommages lacrymaux et les médias dans leur ensemble s’épanchent en qualificatifs démesurés dont l’écho résonne d’un bout à l’autre du PAF. Sur la musique, pas ou peu de détails, si ce n’est que Michael était le roi, le meilleur, le dernier. Vous conviendrez qu’on peut tenter de voir un peu plus loin.
Prenez Bad par exemple. Pourquoi Bad ? me demanderez-vous. Et pourquoi pas ? vous réponds-je. Il se trouve que ce disque est le premier du chanteur que l’auteur de ces lignes a possédé et tenu dans ses petites mains d’enfant de sept ans super mignon. C’était en 1987 donc, et c’était une K7. Oui, une cassette !
Soit une bande magnétique enroulée autour de deux bobines et lue par un magnétophone. Petite parenthèse pour les plus jeunes, qui croient que la musique a toujours eu la tête d’un fichier itunes avec une croche bleue dans un CD : Pour faire fonctionner la cassette, il fallait appuyer sur un gros bouton, et non pas cliquer sur une icône. L’auditeur qui voulait passer certains morceaux pour écouter directement un autre, jugé plus intéressant, devait alors appuyer sur un autre gros bouton, lequel avançait la bande à une vitesse incroyablement lente qui permettait à l’auditeur susmentionné d’aller faire pipi avant de revenir pour constater que la bande avait avancé trop loin. Heureusement, un troisième gros bouton servait à reculer si un tel accident arrivait. Au bout de cinq minutes, il était loisible d’entendre la chanson tant désirée.
Mais revenons à Bad. Dur, dur, de succéder à Thriller et son record historique d’exemplaires vendus. Composé par Michael lui-même, le titre qui confie son nom à l’album ouvre pourtant le bal sur une note sympathique, bien qu’un peu datée pour cause de boîte à rythme et de synthés typiques de l’époque. Tout de suite, la ligne de basse remue les intestins et la voix de Bambi susurre les paroles en les ponctuant des fameuses onomatopées ("dah !") tant imitées, avant que les chœurs n’entonnent un refrain plutôt entraînant. Comme toujours avec Jackson, le single s’accompagne d’un clip fleuve réalisé par Martin Scorsese, environ dix-huit minutes sur l’histoire d’un type méchant qui part faire des études dans une école privée et revient dans sa banlieue pourrie pour voir ses amis méchants, lesquels trouvent qu’il n’est plus aussi méchant depuis qu’il fréquente les gens de la haute. On se délectera surtout du passage où le chanteur rejoue a cappella la chanson avec son gang devant un Wesley Snipes tout d’un coup beaucoup moins méchant.
Autre single à succès de Bad et autre composition de l’artiste (qui en signe neuf sur onze morceaux ! un record), The Way You Make Me Feel confirme ce qu’on savait déjà : Michael Jackson est devenu au fil des années quatre-vingts un adepte du rythme d’abord. Ici, tout est dans le beat, rehaussé par quelques cuivres sexy, deux ou trois bouts de synthés sympas, et bien entendu le chant et les mimiques vocales du King of Pop. C’est musicalement assez simple et joliment arrangé, parfois très efficace. D’autres fois moins, comme avec Speed Demon. La recette est pourtant similaire aux précédentes : grosses basses qui répètent inlassablement le même motif, rythmique omniprésente, synthés curieux (ceux du refrain préfigurent l’intro de Black Or White) et gimmicks de guitare électrique. Hélas, l’ensemble apparaît horriblement répétitif, ringard et vain ! Pas de mélodie accrocheuse, pas de tempo dansant. Idem pour le duo avec Stevie Wonder, ce Just Good Friends sans aucun intérêt. Nous sommes alors à l’intérieur du ventre mou de l’album, tout juste sauvé de l’ennui mortel par un honnête Liberian Girl, mais le pire est à venir. Il s’agit de l’enchaînement Another Part Of Me / Man In The Mirror, auquel on serait presque tenté d’ajouter le single Just Can’t Stop Loving You pour son côté outrageusement mielleux.
Heureusement, trois titres excellents ferment la marche de Bad. A commencer par Dirty Diana, pièce misogyne évoquant une groupie particulièrement garce. La chanson prend la forme d’une espèce de slow hard rock (et son solo méga cliché) dans lequel les tics vocaux de Michael s’épanouissent avec délectation. Nous sommes évidemment dans la caricature involontaire, ce qui n’est pas forcément déplaisant. Rendons hommage aussi à Smooth Criminal, autre brillante démonstration de la prééminence de la rythmique chez Jackson, puisque tout le morceau repose sur le rythme syncopé des basses et le chant saccadé. Le clip, totalement insupportable à visionner, est à l’origine de la fameuse danse penchée qui défie les lois de la gravité (anti-gravity lean). Enfin, Leave Me Alone [2] résonne comme un avant-goût du futur cloisonnement paranoïaque de la star, qui veut que les médias la "laissent tranquille". Le temps d’un dernier single, Michael Jackson retrouve encore un brin de sens de la musique et de l’originalité.
Au final, rien de très révolutionnaire dans tout cela, peu de grandes mélodies, peu d’occasions de danser. Indéniablement, Michael Jackson s’affirme toutefois comme un grand chanteur capable d’écrire deux ou trois excellents tubes. Avec 30 millions d’exemplaires écoulés, Bad représente tout de même la troisième meilleure vente du chanteur derrière Thriller et Dangerous. On retiendra pour notre part que la plus grande contribution de Jackson à l’histoire de la musique reste un cri. Ce "OUH !" suraigu, discret mais sensationnel qui parcourt chaque portion de sa discographie, clôturant généralement les chansons depuis Billie Jean jusqu’à Earth Song en passant par The Way You Make Me Feel ou Smooth Criminal. Bien sûr, on se souvient aussi de son "Hi Hi !", qui n’est pas mal non plus. Aujourd’hui, Michael doit bien rigoler du tour qu’il nous a joué en sirotant du bout de ses lèvres refaites un Mojito sur une plage privée d’Hawaii en compagnie d’Elvis, un autre King, et sous l’œil avisé de la CIA. Bah quoi, vous ne saviez pas que Michael Jackson n’est pas vraiment mort ?
[1] Celle du caisson à oxygène ou de l’achat des os d’Elephant Man par exemple.
[2] Présent uniquement sur l’édition CD
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