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par Psymanu le 14 avril 2008
paru en décembre 2007 (Warner)
Il me semble qu’on appelle ça un album "apaisé". Vous savez, lorsqu’au sortir de plusieurs poignées de chansons aux guitares surélectriques on se retrouve face à un disque tel Banco. Hey, hey, sonnez tocsins, c’est le retour de l’accordéon en bandoulière, voire en étendard. Pour autant... Les Têtes Raides, c’est de la chanson française, oui, et ça sonne franchouille souvent, grave. Mais le propos du groupe, par ce qu’il n’oublie jamais de remettre en perspective, de nos vies, de la vie en général, oblige tout bon amateur de rock à lui faire une place dans sa discographie.
Et puis, du jus d’électricité de 6 cordes, il en demeure tout de même une bonne part le long de ces onze titres aux titres courts (enfin, sauf un). Dans le morceau éponyme à l’œuvre, notamment. Banco, au texte babillant et délirant, sans autre intérêt que celui de chatouiller par ses sonorités jusqu’à se qu’on se marre, et ça ne tarde pas. Encore électrique est Ici, avec des façons de Bolero de Ravel dans la batterie, où Caroline Geryl a remplacé Jean-Luc Millot, d’ailleurs. Je parlais du propos des Têtes Raides, via Christian Olivier. Un propos Résistant, souvent. La liberté, le rêve, l’amour, l’amitié, à opposer d’urgence aux saletés de ce monde, "la nuit et le brouillard nous rappellent à l’histoire". Mais sans violons, sans sirop, et avec la sècheresse de la voix nue et profonde de leur chanteur. Sans accusation, tout en constat : « il y a des rêves à ne pas faire, ici ». Deux chansons, voilà tout ce que l’amateur exclusif de rock au sens formel du terme (c’est-à-dire dans sa forme instrumentale classique) aura à se mettre sous la dent, cette fois-ci. Il pourra tranquillement passer à autre chose, et nous laisser savourer ces autres délices dont regorge ce nouvel opus.
Tam-Tam, en ouverture, possède la douceur de la nature les nuits d’été. Epuré, réduit à sa plus simple expression musicale, long, lent, et pourtant groovy comme la vie, et ça sent le Sud de l’Amérique à pleines narines (de la terre de feu, on en aura pas deux". Et ça met de la gaieté. Un climat acoustique similaire drape La bougie, le titre suivant, mais sans joie cette fois-ci. Accessoirement, elle est magnifique, cette chanson, et/mais elle a la mélancolie communicative. Deux guitares, un peu de violoncelle, Christian Olivier et ses déclamations solennelles, pour l’un des chefs- d’œuvre du groupe. Qui sait aussi se faire extrêmement grinçant, comme sur Expulsez-moi, dont le titre est répété comme un leitmotiv entêtant, entre chaque prétexte imbécile. « Moins on est, mieux je me porte, ne frappe pas à ma porte. Et puisque c’est comme ça, je t’invite chez toi, quand y aura plus que moi je m’expulsera. »
Allez, pan !, une autre merveille : J’ai menti. Qui nous parle d’amour feint ou peut-être pas, les jeux des dits et des non-dits, un tumulte valsé, guinché, plus vite, toujours plus vite, jusqu’à s’envoler dans un tourbillon lancinant. Un probable classique pour des années de concerts à venir. Les autres fait dans la chanson légère, autant que puisse l’être l’œuvre des Têtes Raides, bien sûr, toujours encrée musicalement dans la bossa. Mais il fallait bien cela pour attaquer Les pleins, noir comme la nuit noire, plombante et aux chœurs grondants, vociférant. Un texte toujours surréaliste, des mots qui riment, ne disent qu’à couvert mais on comprend tout d’instinct, par les tripes. Mais hors de question de sombrer plus bas, le groupe s’alloue les services d’Olivia Ruiz et de quelques grosses guitares sur les refrains pour évoquer Monique ou bien René dans une atmosphère bien ambiguë et réjouissante. Le disque se conclut sur On s’amarre, un de ces morceaux que le groupe a déjà composé cent fois auparavant mais sur lequel on prend chaque fois autant de plaisir, du pur jus de Têtes Raides en somme.
Il fallait un saut de ligne pour évoquer à part Notre besoin de consolation est impossible à rassasier. Un texte gigantesque de 1952, par Stig Dagerman, auteur et journaliste suédois, schizophrène et suicidé. Un long argumentaire, un rapport sur la condition humaine, sur sa raison d’être, rédigé d’un style neutre mais dont chaque mot trouve une nécessité et une pertinence terrifiante. Il est d’ailleurs compliqué d’en extraire seulement des bribes tant chaque phrase succède à la précédente tout en tenant la main de la suivante. Exhumer ce texte est la meilleure idée qu’ait eu la chanson française depuis un sacré bail. Dans le fond, un raggae tranquille. Devant, Christian Olivier, ce vieux singe des déclamations poétiques à qui personne n’apprendra jamais à faire des grimaces tant c’est chez lui comme de nature. L’exercice était risqué, tout sauf un pari gagné d’avance. Dix-neuf minutes, rien moins et même un peu plus, et pourtant aucun bâillement d’ennui ne pointera jamais même au loin. Captivant.
Ce dixième album des Têtes Raides est une nouvelle réussite. Certes sans véritable surprise (autre que le titre évoqué plus haut), mais il est rassurant de se dire que l’on pourra à jamais compter sur ce groupe à chacune de ses livraisons, tant sa musique repose sur des acquis solides forgés à force de concerts, et cette étonnante capacité à faire du beau avec du simple, ou, en tout cas, en donnant l’illusion de la simplicité. Un groupe nécessaire.
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