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par Vyvy le 4 septembre 2007
En guise d’introduction, prenons soin d’éviter les malentendus. Nous parlons bien ici du Bob Dylan Blues barretien, publié sur l’excellente compilation Wouldn’t You Miss Me ?, et non pas de Bob Dylan’s Blues écrit par le Zimm’ et présent sur son (ultime ?) Freewheelin’.
Mais alors que vient faire une chanson de Syd Barrett dans ce mois Insidien dédié au grand Bob ? La question est somme toute logique et je vous le donne dans le mille, so is the answer. Pour disséquer Dylan, chantier ô combien titanesque, il faut certes appréhender son œuvre directement (ce que nous avons fait sur B-Side Rock ici et là) , mais aussi, et c’est tout aussi important (et intéressant), regarder ce que cette œuvre a eu comme impact, sur son temps et sa musique : pour cela, la chansonnette du premier leader du Floyd, griffonnée en 1963, enregistrée en 1970 et sortie en 2001 est fascinante : regard direct, quoiqu’un peu chaloupé, d’une figure mythique en devenir sur une autre déjà reconnue, la chanson reste de par les péripéties ponctuant son histoire et les différentes interprétations qu’on lui prête, une bluette très signifiante.
Cela dit, plongeons donc pieds et poings liés (c’est plus classe) dans les tréfonds de l’Angleterre de ce début des années 60... Dylan se fait un nom, et s’installe plus ou moins contre son gré et ce pour quelques années encore, à la tête du mouvement contestataire américain. L’Amérique gronde et l’Europe vient la voir en concert. Les chansons de Dylan, à portée plus large que leur immédiate utilisation aux États-Unis font de lui quelqu’un qu’un jeune homme de 17 ans, alors à l’université et passionné de musique, se doit d’aller voir. C’est chose faite en 63, les deux amis, Gilmour et Barrett vont voir l’alors très folk Bob Dylan : le concert et son principal acteur ont semble-t-il marqué Syd ; en tout cas, quelques temps plus tard en naîtra notre chanson, une des premières jamais écrites par Barrett.
Passent les années, sonnent les succès, Syd puis David et les autres rencontrent un public de plus en plus fervent, et des éléphants de plus en plus effervescents. Syd est retiré, à moins qu’il ne se retire, du Floyd en 1968 ; et enregistre à partir du printemps de cette même année deux albums solos Syd Barrett et The Madcap Laughs, avec notamment l’aide précieuse de Gilmour qui va produire les albums de son ami d’enfance. Syd est alors de plus en plus à Cambridge ; réfugié chez ses parents. Quelques sessions ont lieu en 1970 et en février, Barrett ressort cette chanson. Avait-il l’intention de l’incorporer à un album ? Quoiqu’il en soit, Gilmour rentrera chez lui ce soir-là avec la bobine. Syd laisse donc (plus ou moins volontairement, nous ne le saurons jamais) ce souvenir commun à son ami, et retourne à ses Dominoes.
S’ensuit alors le retrait musical de Barrett, et la chanson, comme d’autres dans son genre parues dans la compil Crazy Diamond en 1993 enregistrées mais jamais encore publiées, attise les convoitises de fans en manque de Syd, homme symbole bien malgré lui des excès de swinging sixties swinguant sous acide. Un nouveau millénaire et une nouvelle compile voient la sortie (enfin !) de la chanson, grâce aux bonnes grâces de Gilmour et de la famille de Barrett, ayant donné son accord à la publication : la chanson devient le principal argument de vente de la compilation, comme le « includes Bob Dylan Blues » en haut de la pochette le laisse présager.
The end ? Non pas vraiment, car la chanson une fois sortie, encore faut-il essayer de comprendre ce que l’auteur de See Emily Play avait à dire sur Dylan, cette année là !
La chanson se déroule, court pastiche de l’alors dieu de Greenwich Village, épousant le style épuré folk de l’époque et de son sujet, tout en le présentant de manière plus ou moins irrévérencieuse... Bob Dylan par Syd Barrett ou comment le Vegetable Man raconte celui qu’Adam Green taxe de Vegetable Wife ...
Cos I’m a poetDoncha know itAnd the wind, you can blow itCos I’m Mr. Dylan, the KingAnd I’m free as a bird on the wing.
En ce qui concerne le style, celui des albums solos de l’artiste a souvent été noté comme étant beaucoup plus simple et franc que celui des albums floydiens, dont la patte se retrouve de plus en plus dans la perfection technique. C’est donc une instrumentation à peine plus nue que pour le reste de son œuvre qui est ici adoptée. Il y a, c’est évident, un sacré décalage entre une chanson écrite alors qu’il est adolescent à Cambridge, et les autres enregistrées ces années-là alors qu’il est sorti du Floyd mais pas encore vraiment de Londres.
Du côté des paroles, la chanson tranche là aussi : le pastiche gentillet tranche gentiment avec les douces fumeries que le roi de l’acid-rock anglais compose alors (Effervescing Elephant entre autre). Cette chanson s’inspirant du style de son sujet est, rappelons-le, l’œuvre d’un tout jeune homme qui, abreuvé de Beatles, Dylan et surtout de Stones n’est pas encore monté à Londres. Le sujet, l’air un peu méprisant, supérieur mais surtout très alien à l’environnement de l’auteur qu’il a perçu dans Dylan, est retranscrit de manière brillante : le tout donne une chanson très bien ficelée.
Le style nonchalant de Dylan (my clothes and my hair’s in a mess/But you know/I just couldn’t care less) tranche en Angleterre, là ou les Beatles se font certes pousser les cheveux, mais de manière ordonnée s’il vous plaît. La nonchalance, le je-m’en-foutisme du folkeux ricain n’est pas la flegme britannique : là où la deuxième est souvent question de ne pas faire attention aux autres (condescendance oblige) la première semble être surtout le fruit de quelqu’un qui ne fait pas, par dessein, attention à lui (influence Guthrie et Beat Generation oblige) pour notamment s’attirer l’attention des autres. Par la suite, Dylan est dépeint comme roi, épithète classifiant à la fois l’attitude de Bob, mais aussi la ferveur et le respect de ses fans, au rang desquels on compte notre cher Syd.
Comment apparaît Dylan ? Comme un type se baladant, racontant et par là même, semant le trouble Get to get People Down but I don’t care too much about that, inconscient, incroyablement sûr de lui Well I sings about dreams and I rhymes it with seams/Cause it seems that my dream always means/ That I can prophesy all kinds of things, qui malgré ses apparences hobboesques n’en perd pas pour autant son attachement au cher dieu Dollar, à savoir que, sous couvert d’une « bonne âme » il se fait plein d’argent sur le dos de la misère humaine Well I make lot of dough but I deserve it though I got a soul and a good heart of gold, Barrett glissant dans la bouche de son Dylan un sérieux encouragement à l’achat de toute son œuvre...
L’œuvre de Dylan est ainsi sagement ridiculisée, ou tout du moins assez férocement mise en perspective (chose plus aisée pour un européen à cette époque que pour les émules ricaines de Bob) : Gonna write you a song about what’s right and what’s wrong et And the wind, you can blow it s’attaquant et à la manie moraliste manichéenne du Dylan de l’époque, et rappelant à tous que c’est un artiste, qui cherche à gagner sa vie, et non pas un porte-drapeau désintéressé.
On le voit, la chanson se dessine plutôt comme étant une critique certes amicale voire admirative, mais non sans acerbité de l’alors roi du folk. Pour recadrer la chose, encore faut-il noter à l’époque le décalage entre nos deux protagonistes ! L’un déjà porté aux nues, l’autre encore nullement reconnu, trop jeune, trop Cambridge, trop rangé. Syd s’attaque à coups d’une plume de plus en plus aiguisée à une des idoles du moment, et ses critiques trouveront un écho dans une œuvre de Dylan lui-même surtout dans My Back Pages que Dylan sort en 1964 sur Another Side Of Bob Dylan : on y retrouve cette même critique d’un trop plein de sérieux, de cette volonté de tout voir en blanc, en noir, des grands mots, des grands rêves, dont il se détache alors :
I dreamed Romantic facts of musketeersFoundationed deep, somehow.Ah, but I was so much older then,I’m younger than that now.
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