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mercredi 15 avril 2015
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par Our Kid le 6 mars 2006
paru le 10 novembre 1967 (Deram)
En cette fin d’année 1967, il est de plus en plus question d’« albums-concept » depuis que des groupes comme The Beatles, The Beach Boys et puis The Rolling Stones ont esquissé la vague idée de faire figurer un seul thème du début à la fin de leurs productions de studio. Le mythe aura duré : Smile abandonné par les Beach Boys, il ne reste que Sgt.Pepper’s Lonely Hearts Club Band des Beatles mais, à s’y pencher de plus près, la notion de concept directeur est bien maigre... Non, n’en déplaise aux historiens du rock, le premier album-concept est l’œuvre d’un groupe de Birmingham, The Moody Blues avec la parution de Days Of Future Passed. Le concept s’articule grosso modo autour du temps qui passe en une journée. Notion vague certes, mais qui est clairement énoncée à travers les pistes du disques grâce à son découpage en sept mouvements : l’aurore, l’aube, le matin, le midi, l’après-midi, le soir et la nuit. Fil directeur au niveau du thème mais également au niveau de la musique puisque tous les morceaux bénéficient de l’arrangement d’un orchestre symphonique, véritable fusion de genres, ouvrant la porte au rock symphonique et, par la même occasion, au progressive rock.
De nos jours, d’ailleurs, lorsque l’on évoque le prog rock, on s’attache le plus souvent à noter la place que prenait le visuel sur le disque, en soulignant la conception de pochettes toutes plus originales les unes que les autres. En ce sens, Days Of Future Passed est bel et bien le premier chapitre du prog rock puisque son visuel, à la fois détaillé, riche et ne mettant pas en présence le groupe mais se voulant également abstrait, pose les bases à venir du rock progressif. L’auteur de cette pochette est un certain David Anstey, un illustrateur qui a collaboré avec le milieu de la musique populaire britannique, et notamment progressive durant les années 1970 (Savoy Brown, Khan, Caravan, Chicken Shack, Mellow Candle, Camel, The Albion Band) et à qui fut confié le soin d’illustrer la compilation Wowie Zowie ! The World Of Progressive Music, parue en 1969 chez Decca. Toujours est-il que c’est avec Days Of Future Passed que Anstey s’est fait un nom. Que voit-on sur cette pochette ?
Puisque le concept se veut vague (le temps qui passe), Anstey dispose d’une liberté d’action, renforcée par la volonté du groupe de ne pas apparaître sur la pochette. À sa manière, il illustre la notion de temps, de jour, de futur et de passé. Devant l’impossibilité de mélanger passé et futur, l’artiste décide de marquer une séparation sur la pochette en y faisant figurer un élément en son milieu, censé représenter le présent, auquel il adjoint la traditionnelle configuration : à sa gauche, le passé et à sa droite, le futur. Pour suggérer le sens d’écoulement du temps, Anstey fait figurer une flèche bigarée dans le coin inférieur gauche. Lorsque l’on observe plus attentivement l’élément central, on aperçoit, en effectuant une rotation de la pochette de 90° vers la droite, un visage que l’on suppose féminin et dont chaque œil constitue le point de départ d’une partie représentant le passé et le futur, ces deux parties occupant un quart de la pochette. Dans la partie de la pochette consacrée au passé, le peintre adopte des formes et des motifs nets, aisément discernables et qui renvoient au côté révolu et donc connu du passé. Ainsi, on distingue pêle-mêle, un sablier, une figure sainte de la Vierge Marie, des visages sombres, des humains se suivant, tels une liste de personnes disparues, une suite de chiffres dans un cercle, symbolisant les différentes étapes de la vie ou les différents étages d’une cabine d’ascenseur. On aperçoit également des cavaliers, lance à la main, le tout dans des couleurs volontairement sombres et qui s’observe dans tous les sens.
Le contraste couleurs sombres/couleurs claires caractérise la présence et la puissance du jour, le thème central du disque. La vivacité des couleurs et la pureté du visage suggèrent à merveille l’éclat du jour, la puissance du présent mais laisse également entrevoir l’avenir puisque le prolongement des « cheveux » aux couleurs de l’arc-en-ciel semble moins net que son pendant dans le passé, volonté de marquer l’incertitude du futur.
Justement, dans le coin inférieur droit, David Anstey nous présente sa vision de l’avenir, en accord avec le contexte de l’époque (la fameuse année 1967). Le portrait n’est guère reluisant : les couleurs sont aussi sombres que celles utilisées pour le passé et on est d’emblée frappé par les pleurs de l’œil gauche du visage. Objet de discussions entre l’artiste et le groupe, la nature des pleurs est finalement choisie. Il s’agira de la Lune déclinée dans ses différentes phases. À l’époque, la Lune représente un rêve plus qu’en passe de devenir réalité depuis que des engins automatiques se sont posés sur son sol après s’être extirpés de notre bonne vieille Terre. On distingue même autour de ces phases de Lune le buste d’un cosmonaute, révélateur de ce qui semblait caractériser le futur à l’époque : la découverte de nouveaux territoires. Ce sentiment est renforcé par la présence d’un vaisseau spatial représentant, au choix, soit une sonde automatique terrestre visitant le cosmos, soit un engin extraterrestre, signe d’une intelligence. Pour contrebalancer cette vision optimiste, on observe toutefois la présence d’ombres humaines, les mêmes que pour la partie passée, signe que la mort dépasse la notion de temps. Des visages fantômatiques laissent à penser que l’auteur de la pochette avait plein d’idées noires concernant l’avenir... Et puis, comme pour signifier le lien entre passé et futur, Anstey y fait figurer un autre cavalier armé de sa lance, se dirigeant vers le passé, signe que la boucle est bouclée ou bien alors que l’histoire sera amenée à se répéter un jour ou l’autre.
Hormis, l’intrusion du groupe à propos des phases de la Lune, le travail d’illustration d’Anstey se veut au final sans rapport avec le contenu des paroles des morceaux qui évoquent des thèmes comme l’amour, la beauté de la Nature, les comportements humains... Qu’importe, car avec sa pochette mêlant une certaine forme de surréalisme composée d’éléments riches capables d’être compris différemment selon le sens de la lecture, David Anstey laisse un visuel qui s’intègre à merveille à son époque, se veut osé et original. Bref, la première pochette « intelligente » de l’histoire de la musique populaire et, surtout, la première qui fait dire que Days Of Future Passed est un album-concept, des morceaux... jusqu’à sa pochette.
Vos commentaires
# Le 28 juillet 2014 à 12:53, par patrick Bastiani En réponse à : Days Of Future Passed
# Le 21 mai 2017 à 18:48, par Quelqu’un En réponse à : Days Of Future Passed
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