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mercredi 15 avril 2015
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par Oh ! Deborah le 13 juin 2006
paru en 1980 (Spalax) ; réédité en 2005 (Cuneiform Records)
Guitariste, compositeur, savamment doué en synthés et autres moogs, Richard Pinhas ne connaît pas un grand succès mais reçoit beaucoup de considération de la part d’écrivains modernes. Dès 1972, alors qu’il mène le groupe Schizo depuis quelques années, Richard Pinhas fait participer Gîlles Deleuze [1] sur le single Le Voyageur où le professeur récite des textes de Nietzsche. Tout en poursuivant des expérimentations en solitaire, Pinhas fonde par la suite un second groupe, Heldon, nom provenant d’un roman [2] de Norman Spinrad. C’est ainsi qu’un Français pas comme les autres débute dans la musique électronique et planante. D’ailleurs, elle est passée à la trappe comme il se doit dans notre contrée, et il faut donc évoquer le talent de Richard Pinhas qui poursuit sa carrière solo mais pleine de collaborations, conjugant modestement musique, sciences fiction, voyages et philosophie.
Une introduction et c’est l’apocalypse. King Crimson est passé par là, destination spatiale et fantastique, clin d’Œil à la fusée Apollo 13 en partance pour la Lune en 1970, autrement connue pour son exploit : la survie de trois astronautes suite à l’explosion d’un reservoir d’oxygène. Spirale de sons fusionnant sur une voix robotique, celle de Norman Spinrad lui-même, Houston 69 : The Crash Landing (Part 1) dessine progressivement une guitare détournée au son splendide qui rend compte du danger d’un tel embarquement au-delà de toute trace humaine. East/West survivra sous l’expression d’un album concept faisant de ses titres les noms de plusieurs mégalopoles, retraçant l’urbanisme selon la quiétude fictive et mystérieuse de Richard Pinhas. Tout au long de l’aventure, il nous laisse l’impression d’une sérénité onduleuse comme dans Paris : Beautiful May, réveil sous lourde anesthésie et continuité de London : Sense Of Doubt, qui reprend du Bowie et met les voiles d’un coma blanc. On traverse alors lentement un couloir de glace avec l’espoir de saisir les rayons aveuglants d’un synthé tout en lumière.
Une atmosphère en apesanteur, formant une osmose fine, légère et planante, flotte au dessus d’un essaim de sonorités vacillantes (XXXXX : La Ville Sans Nom) dont la langueur froide a sûrement influencé la new wave et Radiohead pour Kid A (Home : Ruitor). Richard Pinhas fait partie des précurseurs de la musique électronique, s’inspirant de ses génies comme Kraftwerk mais aussi Brian Eno, ayant comme lui la bonne idée de faire tenir de la musique dite progressive en seulement trois ou quatre minutes. Un synthé volumineux et étincelant envahit Keflavik : The Whale Dance, atteignant le paradis lorsqu’on quitte le monde d’une mort douce et heureuse, ou appelant notre esprit à l’esthétisme du film Blade Runner [3]. Seule New York : West Side est réellement datée aujourd’hui. Sa jovialité d’une autre dimension fera sourire certains ou repoussera les autres devant trop de maladresse kitsch entraînée par un chant de loser. L’œuvre se termine comme elle a commencé, avec Houston 69 : Houston 69 (Part 2) dans une fusion de couleurs crimsoniennes.
Les deux bonus restent dispensables sauf si on veut découvrir l’étrange collaboration entre Pinhas et l’écrivain cyberpunk Dantec, au sein du projet Schizotrope, né en 1998. Il s’agit de récitals par Maurice G. Dantec, dont les écrits ont été tirés par Pinhas lors des cours de Deleuze. Les deux artistes lui vouent donc une grande admiration sur fond ambiant répétitif et menaçant. Reste la douce cacophonie de fin, Ha Haari. Cette réédition est donc moins nécessaire que l’originale mais donne une idée des albums de Schizotrope et de la sincère passion de Pinhas pour Deleuze dont il a fait l’hommage dans deux livres parus en 2001 et 2005. [4]
[1] son professeur à la Sorbonne
[2] Reve de Fer, 1972
[3] de Ridley Scott
[4] Les Larmes de Nietzsche : Deleuze et la musique et Deleuze Epars : Approches et portraits
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