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mercredi 15 avril 2015
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par Parano le 5 décembre 2006
paru le 13 novembre 2006 (Polydor / Universal Music)
The Police comme vous ne l’avez jamais vu : le batteur Stewart Copeland a filmé de l’intérieur l’ascension du groupe, de 1978 à 1984. 20 ans après, il présente ce documentaire unique, tiré de ses pellicules super 8.
Andy Summers, Stewart Copeland et Sting. On les avait un peu oubliés ceux-là. De temps à autre, il y a bien un best of the best of the worst qui échoue dans le bac des deux derniers disquaires de France, Fnaque & Veurjine. Et puis on doit encore trouver quelques DJ défoncés au Get 27 capable d’enflammer la foule du Macumba avec un bon vieux Roooxéééééne. Quoi d’autre ? Il y a eu la récente réédition DVD de l’atroce concert Synchronicity, où le bassiste égomaniaque se trémousse dans un costume aussi ridicule que les vestes à franges de Dick Rivers. Quoi d’autre ? Une nouvelle éjaculation de Sting en rotation lourde sur RTL2 et chez mon dentiste favori, pas encore mort.
Bref, The Police semblait bel et bien oublié, rangé sur les étagères entre le maxi vinyl de Simple Minds et la compil de Supertramp. Le rédacteur de B-Side Rock, lui, bien au chaud dans ses charentaises grunges, poussait la paresse et la suffisance jusqu’à ignorer délibérément la présence de Outlandos D’Amour et Reggatta De Blanc dans sa propre discothèque. Un bon chroniqueur doit posséder quelques veilles merdes pour montrer à ses (rares) amis (pas amies, le rock est une chose sérieuse qui ne doit être débattu qu’entre machos avinés) qu’il est un humain comme un autre, capable des pires choix esthétiques.
Et puis est arrivé ce DVD. Écrit, produit et dirigé par Stewart Copeland. Présenté au festival de Sundance.
Figurez-vous que ce diable de batteur, en plus de maltraiter ses fûts et d’agiter sa crinière blonde, a eu le culot de filmer 50 heures de pellicule super 8, tout au long de l’ascension vertigineuse de son groupe, jusqu’à ce que Sting claque la porte pour aller chanter Russians chez Drucker. Copeland, prudent, a conservé son trésor de guerre dans des boîtes à chaussures, attendant des jours meilleurs. 20 années ont passé, durant lesquelles notre jeune batteur, reconverti en compositeur de musique de film, s’est doucement flétri. La clameur des stades s’est lentement effacée de sa mémoire, et lorsque la fée numérique est apparue, notre bonhomme a ressorti ses vieilles pellicules poussiéreuses, a ouvert son manuel de post production, a fermé les yeux, et s’est souvenu...
Dans le peau de Stewart Copeland
Le résultat est stupéfiant. Pas la peine d’aimer The Police pour rester scotché à l’écran, tandis que défilent les images d’une époque perdue. Pendant 74 minutes, la caméra nous propulse dans le corps de Stewart (après une telle intimité, on peut l’appeler par son prénom), et on assiste ébahi au grand cirque rock’n’roll d’un groupe malin devenu culte. « La rock star que j’étais alors semble être une autre personne » explique la voix off du batteur. C’est là que réside la réussite du documentaire. Le montage habile et rythmé de Copeland transforme ce qui aurait pu être un long et ennuyeux film de vacances en un portrait distancié et songeur : portrait d’une époque, portrait d’un groupe, et portrait, en trompe l’œil, d’un jeune homme, les trois ayant bel et bien disparu. Quel sens donner à toutes ces années, s’interroge le batteur, sans nostalgie ni vanité, mais avec une réelle curiosité ? Ses commentaires aigres-doux font mouche, de même que les images, tour à tour délavées, saturées, mais toujours précieuses. Le tout est porté par une bande son aux petits oignons : Copeland a remixé lui-même des enregistrements studio et des prises live, mélangeant astucieusement les voix et les musiques du groupe, pour un résultat totalement inédit. Mais que voit-on, me direz-vous ?
Le bon, la brute et le vieux
Tout commence à Londres, en 1977, alors que la furie punk s’abat sur la ville. Sous l’impulsion de Copeland (batterie), Sting (basse et chant) et Padovani (guitare) l’accompagnent et forment un groupe dans l’air du temps : The Police. Ils sont bientôt rejoints par un vieux briscard de la scène jazz fusion, Andy Summers, et Padovani, jugé trop limité, est viré. The Police enregistre rapidement un premier album dont le single Roxanne leur ouvre les portes du label A&M. Stewart s’achète alors une caméra super 8 et laisse traîner l’objectif tout au long de la première tournée américaine du groupe, qui sillonne les States entassé dans un van Ford. Si The Police a laissé tomber le punk et ses mimiques, le groupe a néanmoins su conserver l’énergie des débuts ainsi qu’une forme d’arrogance qui tranche avec la modestie de leur succès initial. Les images défilent, soulignant la précarité et la monotonie du périple nord-américain : building, autoroutes, et motels se succèdent. Le groupe semble déjà cynique et tandis qu’Andy Summers fait le pitre, le regard de Sting se perd au loin, là où, sans aucun doute, l’attend la gloire. Tout cela semble un peu irréel et les images sont comme arrachées à la mémoire de Stewart. De retour en Europe, The Police fait la tournée des festivals, et la carrière du groupe décolle : pour encaisser leur brusque changement de statut, les trois larrons jouent l’autodérision, grimacent, paradent, apprenant peu à peu à dominer la caméra. L’image se fait insistante, tandis que le public grandi, jusqu’à composer une foule hystérique carrément effrayante. Les concerts de cette époque sont joués à un train d’enfer, tout en puissance, et la fougue déployée par le groupe électrise les fans qui s’agglutinent pour acclamer leurs héros. Rien de plus crétin qu’une foule. Une des séquences majeures du documentaire est filmée à la sortie d’un concert, où le groupe tente de rejoindre la voiture qui leur fera quitter les lieux. La meute est là, muraille humaine qui menace de tout engloutir. Flippant.
Every little thing Sting does is magic
Le succès colossal de Reggatta De Blanc a fait de The Police un géant du rock. La caméra nous ouvre les portes du studio où Sting, Summers et Copeland enregistrent l’album Zenyatta Mondatta. Le bassiste est à la baguette. Il ne lâche rien aux autres et le regard de Stewart s’éloigne progressivement, de plus en plus spectateur d’un processus qui lui échappe. Les séances photos procèdent d’une mise en abîme : l’objectif filme les photographes qui immortalisent le groupe. La grosse machine live se remet en route, et le batteur devient témoin de la mégalomanie de l’industrie du rock. À ce stade de la gloire, The Police a déjà perdu toute humanité, gangrené par l’ego démesuré de Sting. Les sessions de Ghost In The Machine, sur l’île de Montserrat passent comme un mirage. À l’écran, on ne voit plus que le bassiste. L’histoire du groupe s’achève par une tournée aux États-Unis, démesurée, triomphante, funèbre. Le groupe s’éteint sans même se séparer. Stewart Copeland peut passer à autre chose.
La rumeur a souvent annoncé une reformation de The Police. À la suite de ce documentaire, on a envie de dire « à quoi bon ? » Laissez Sting sauver le monde avec sa pop universelle, et contentez-vous du meilleur, c’est-à-dire les deux premiers albums du groupe, ainsi qu’une poignée de concerts sauvages. Ces types étaient juste associés, prêts au meilleur, mais pas au pire. Everyone Stares, The Police Inside Out ressuscite un passé glorieux, et sonne le glas du méga reggae rock band de Sting. Une belle oraison funèbre, au son de Next To You. Chapeau bas.
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