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par Sylvain Golvet le 29 mars 2010
Sorti le 3 février 2010 (Zootrope Films)
Vous n’avez probablement jamais entendu parler d’Anvil. Et c’est bien normal. À la frontière du hair metal et du thrash, ce groupe canadien peut tout de même se vanter d’avoir influencé à la fois Anthrax, Metallica ou Slayer et annoncé dès 1982-1983 l’avènement d’un métal à la fois plus rapide et plus lourd. Car Steve "Lips" Kudlow et Robb Reiner, amis d’enfance, membres fondateurs et toujours actifs d’Anvil sont loin d’être des manchots. Le film débute par les interventions de Lemmy, Lars Ulrich ou Tom Araya louant les exploits de ces fous furieux lors de la tournée de 1984 ou Lips et ses acolytes enflammaient la scène en compagnie de Scorpions, Whitesnake et Bon Jovi, armés de combinaisons SM et de vibro-masseurs en guise de bottleneck. On comprend que le spectacle ait pu marquer ceux qui y ont assisté. Pourtant, en 30 ans de carrière et une douzaine d’albums, pas l’ombre d’un succès public. La faute à un management déficient, à des albums sous-produits et peut-être à la trop grande naïveté de ses membres, comme si seul l’amour de la musique suffisait.
Mais Sacha Gervasi, lui, ne les avait pas oubliés. Ce scénariste anglais [1] était avant tout un fan d’Anvil depuis son adolescence. À tel point qu’il les suivit en tournée et devint même un de leurs roadies. Puis, l’adolescence finie, Gervasi les perd de vue. Mais quand lui vient l’idée de réaliser un film qui lui tiendrait à coeur, il se souvient d’Anvil et décide de leur consacrer ce documentaire. Il retrouve alors un groupe toujours en recherche du succès qui n’est jamais vraiment venu, dont les membres vivent tant bien que mal pour assouvir leur passion de la musique comme Lips, le leader, qui travaille comme livreur de repas pour des cantines et qui profite de ses week-ends ou des vacances pour pouvoir jouer avec ses potes, entourés par la famille partagée entre soutien et lassitude. Le tournage sera alors l’occasion de suivre leur tournée européenne de la dernière chance, ainsi que l’enregistrement de leur 13ème album This is Thirteen, un parcours semé comme il se doit d’engueulades, de galères et de désillusions.
Avec un tel pitch, vous vous dites obligatoirement : « Mais attends, c’est Spinal Tap ton truc là ?! ». C’est que Sasha Gervasi est un petit malin. Et qu’il sait que la référence est incontournable. Il ne la contourne donc pas et émaille son film de références discrètes mais bien présentes au film de Rob Reiner, [2] jusqu’au détail le plus infime, comme ce plan sur Lips qui monte le son de l’ampli à 11. La trame est donc la même, soit les hauts et les bas d’un groupe has been qui tente de renouer avec le succès. Les chansons d’Anvil ressemblent aussi étrangement aux mythiques Tonight I’m Gonna Rock You Tonight ou Sex Farm. Ensuite Gervasi n’hésite pas à les emmener parler de leur première chanson écrite ensemble… dans un snack ! Soit le décalque intégral d’une scène de la parodie de 1984. Gervasi pousse le vice encore plus loin et profite même de leur passage en Grande-Bretagne pour filmer le groupe à Stonehenge ! De l’aveu du réalisateur, toutes ces références ne sont évidemment pas innocentes et servent surtout d’accroche pour le spectateur. Et c’est là que le film tient sa force : il retourne le spectateur comme un gant et bascule insidieusement vers la mélancolie pour faire de ce documentaire un film d’une authenticité et d’une émotion rare.
Contrairement à leur décalque parodique, ces gens-là sont vrais, ils ne trichent pas et vivent leur passion comme peu de gens. C’est leur bénédiction et leur malédiction. Car en se consacrant corps et âme à la musique, et en cherchant à tout prix à toucher leur part d’une gloire qu’ils ont jadis côtoyée et qu’ils ont l’impression de mériter, les deux membres d’Anvil ont occulté la part de marketing indispensable au succès, être là au bon endroit, au bon moment. Pire, Lips et Robbo sont des gens trop sincères, trop honnêtes. C’est particulièrement flagrant lorsque Lips postule à un job de télémarketing pour financer l’enregistrement de l’album : il est incapable d’être un minimum malhonnête pour vendre un seul produit. On assiste donc là à une réalité cruelle mais très répandue : la plupart des musiciens ne vivent pas de leur passion. L’inconscience ou la beauté du parcours d’Anvil, c’est de toujours y croire, et de prendre du plaisir, quoi qu’il arrive. Autant Some Kind of Monster qui décrivait les errements des milliardaires de Metallica donnait un résultat aussi hilarant que pathétique, là l’empathie prend le dessus et c’est avec la boule dans la gorge qu’on découvre les propos désabusés de l’entourage des deux éternels hardos. On oscille donc entre franche rigolade, car ces deux-là sont quand même de sacrés zozos, et tristesse, notamment lors d’une engueulade particulièrement touchante entre Lips et Robb.
Anvil !, plus qu’un hommage à ce groupe si particulier, rend ainsi justice à tous les musiciens qui ont galéré et qui galèrent encore, bien plus nombreux que ceux qui réussissent. Bien entendu, maintenant que le film a récolté un relatif succès, la lumière s’est donc pour un temps remise à briller pour Anvil, qui enchaîne désormais les premières parties prestigieuses (ACDC, Saxon), alors que tous les artistes du métal semblent avoir retrouvé leurs pères spirituels. Ironiquement, tous semblaient les ignorer deux ans auparavant, quand Anvil traînait ses guêtres dans les coulisses des festivals, serrant des mains à d’anciens « collègues » qui ne les reconnaissaient pas. La dure loi de l’industrie du disque.
[1] Il a écrit The Terminal pour Spielberg pour n’en citer qu’un.
[2] Notez que le batteur d’Anvil s’appelle Robb Reiner. Non, les coïncidences, ça n’existe pas.
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