Sur nos étagères
Fires In Distant Buildings

Fires In Distant Buildings

Gravenhurst

par Giom le 6 décembre 2005

4,5

sorti en octobre 2005 (Warp Records)

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

La meilleure nouvelle de cette fin d’année 2005 morose est bien là : le label Warp n’en finit plus de sortir des disques plus phénoménaux les uns que les autres. Le paroxysme semble atteint avec la publication du second album de Gravenhurst, Fires In Distant Buildings, véritable chef-d’œuvre qu’on serait tenté de qualifier directement d’album incontournable.

Il serait simple de classer ce groupe dans la famille étendue du post-rock atmosphérique qui va des Islandais de Sigur Ros aux Canadiens de Gospeed You ! Black Emperor en passant par Mogwai ou Explosion In The Sky. Mais Gravenhurst semble être beaucoup plus que cela, un groupe qui fait fi des modes et des courants pour imposer une voix qui lui est propre, en tentant ainsi d’atteindre l’universalité. Un beau programme !

Fires In Distant Buildings commence en trompe l’œil avec l’intro limite jazz-rock de Down River qui pendant deux minutes fait entendre une guitare lancinante, comme une ouverture mielleuse qui ne laisse en rien présager la suite, malgré la légère touche mélancolique. « Sous la plage, les pavés ! » serions nous alors tenté de dire, car ensuite arrive la voix Nick Talbot, chanteur et leader du groupe, une voix sans artifice, extrêmement sincère et émouvante comme on n’en avait pas entendu depuis le Thom Yorke d’OK Computer. Le morceau s’envole alors sous l’impulsion de paroles terribles, au lyrisme désespérant. La musique s’étoffe créant un mur sonore mimétique du malaise du narrateur, une véritable apocalypse sonore qui n’a rien à envier aux productions heavy metal. Une entrée en matière incroyable, annonciatrice de la suite. Pas d’avenir palpitant pour Gravenhurst, seulement du noir comme celui de la pochette, mais un noir d’où sort de bien étranges beautés.

La suite est prodigieuse, variant les styles. Le morceau Velvet Cell commence même comme n’importe quel titre des Strokes ! Gravenhurst sait tout faire et réinvente le post-rock actuel le temps d’un morceau, y imprégnant sa marque : sombre. La chanson évoque l’idée que pour comprendre un tueur, il faut l’être afin de comprendre cette émotion, cette sensation que constitue le meurtre, ce moment de vie [1]. Plus tard dans l’album, une reprise instrumentale de ce morceau participera à le rendre encore plus angoissant. L’ambiance nocturne est renforcée et le pouvoir évocateur des notes crée un véritable malaise qui plonge l’auteur dans les méandres, méandres à l’esthétique parfaite (et toute la réussite du disque est bien sûr là).

On pourrait écrire beaucoup sur ce disque inspiré, jusqu’à en user son clavier. On pourrait disserter des heures sur le morceau ultra-réussi Cities Beneath The Sea, ballade acoustique marquante. On pourrait s’emballer sur Nicole, titre folk atmosphérique que même Lennon, l’auteur de la magnifique Julia, n’aurait pas renié. Il faudrait aussi et surtout évoquer le paroxysme de l’album : Song From Under The Arches où un texte torturé de quelques lignes (« I’ve seen bad things in bad places/ What did I learn ?/ Wallow in grime/ Tonight we’ll drink the sewers dry/ We can’t function outside of these dreams of suicide » [2]) hante une composition extrêmement ambitieuse de plus de dix minutes. Rarement des arpèges de guitare, entrecoupés de véritables orages électriques, sont allés aussi droit au cœur. Mais l’article ferait alors dix pages et n’atteindrait peut-être pas forcement son but. Seul petit bémol, le titre concluant le disque, See My Friends, reprise moins réussie du titre des Kinks, peut décevoir car on était en droit d’attendre, en conclusion de ce chef-d’œuvre qu’est Fires In Distant Buildings, un titre plus intense. Les cinq étoiles passent alors très près.

Après ce voyage de plus de 50 minutes dans l’abîme de la condition humaine, il ne nous reste que la voix de Talbot à laquelle nous raccrocher. Cette dernière se révèle si prenante et si attirante qu’elle est la négation de son propre discours, rendant foi en l’Homme et en ses dons. Vous avez dit catharsis ?



[1Il s’agit avant tout de paroles de chanson, ceci n’est évidement pas à prendre à la lettre. Manquerait plus que ce groupe provoque des émules !

[2Vous l’avez compris, on n’est pas dans l’univers de Travis...

Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom



Tracklisting :
 
1. Down River (7’14”)
2. The Velvet Cell (5’01”)
3. Animals (5’32”)
4. Nicole (5’13”)
5. The Velvet Cell Reprise (4’38”)
6. Cities Beneath The Sea (5’09”)
7. Song From Under The Arches (10’21”)
8. See My Friends (9’07”)
 
Durée totale : 52’30”