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par Emmanuel Chirache le 14 juin 2011
Paru en 1967 (Philips/Verve)
Vous l’aviez remarqué, n’est-ce pas ? cette tâche honteuse sur l’honneur d’Inside Rock : Aucun album de Nina Simone n’était jusqu’à présent chroniqué dans nos pages ! Oh, ce n’est pas que nous n’y pensions pas, loin de là et au contraire. Non, le problème tient davantage au choix du premier disque, ardu, difficile, prise de tête. Et puis finalement la réponse, pourquoi ne pas commencer à parler d’elle en évoquant High Priestess Of Soul, disque de 1966, l’époque de son apogée chez Philips sur le label Verve ? L’album ne contient aucune des scies déjà entendues mille fois, comme Sinnerman, I Put a Spell on You, Feeling Good ou Don’t Let Me Be Misunderstood, et pourtant il représente Nina dans sa plus pure expression, complétant à merveille tout ce qu’elle a produit de meilleur durant les années soixante, reproduisant la même formule à l’envi en trouvant toutefois de quoi se renouveler au fil d’un répertoire de chansons incroyables.
Car comme Elvis, Nina peut tout chanter. Comme lui, elle choisit aussi ses morceaux avec le regard perçant et acéré du rapace fondant sur sa proie. Ces gens-là ont la classe, que voulez-vous, ils ressemblent à ces mannequins de magazines qui portent admirablement des tuniques que personne dans la vraie vie ne peut décemment arborer, si bien que la lectrice se surprend à penser : "Tiens, des bottes en fourrure, des leggings en léopard et un mini-short en cuir, c’est pas mal en fait." Idem pour la prêtresse de la soul et le roi du rock’n’roll. Que ce soit un vieux costume rapiécé ou du neuf composé sur mesure pour eux, tout leur sied comme un gant et leur préférence touche toujours juste. Dans leurs bonnes années, le génie dont ils font preuve se niche aussi bien à l’intérieur des standards qu’ils ont immortalisés que dans leurs bagatelles. Il n’existe d’ailleurs pas de "petite" chanson d’Elvis ou de Nina. Soit elles sont fabuleuses, soit toutes pourries.
Chanter, donc, Nina Simone y excelle dans n’importe quel genre, blues, jazz, gospel, soul, folk, swing. Mais la racine, bien entendu, reste et restera le gospel, qu’elle chanta petite, le gospel, qui lui met un pied dans nos amours rock et soul, le gospel, qu’on oublie trop souvent quand on parle de musique. Ici, Nina nous en met encore plein les dents, avec son vibrato à faire chialer, et sa (fausse) petite voix suraiguë-enjouée. Vous voulez du rock’n’roll ? madame reprend Brown Eyed Handsome Man de Chuck Berry et s’en délecte. Du jazz ? Paf, Duke Ellington et son The Gal From Joe’s viendront faire swinguer vos oreilles avec le savoir-faire du magistral chef d’orchestre Hal Mooney. Une ballade pour bien bader tout seul dans son coin, histoire de ressasser comme une merde sa haine du monde (même si la chanson parle d’absence de rancune) ? allez hop, mettez dans vos esgourdes I Hold No Grudge, le splendide pendant dépressif de Feeling Good, qui finit en apothéose.
Sans oublier les chansons chaloupées, entre gospel et soul, ces deux tueries signées Rudy Stevenson, guitariste attitré de la chanteuse qui composa régulièrement pour elle. Ici, I’m Gonna Leave You et I’m Going Back Home feront danser les plus raides et taper dans leurs mains les plus manchots. Le second titre contient même un break dévastateur qui se termine par une transe gospel dans le style typique de Nina Simone. Le gospel, qu’on retrouve enfin avec Take Me To The Water, un air traditionnel plus solennel et ample. De tout l’album, seul Keeper of the Flame pourrait être considéré comme un classique de la "High Priestess of Soul". Cette chanson poignante, toute en hautbois et piano, renoue avec la tradition introspective et dramatique de la chanteuse, femme ultrasensible aux amours douloureuses et au destin brûlant. Un peu dingo, un peu mégalo, un peu parano, Nina Simone s’était sentie meurtrie dans sa chair par les lynchages de Noirs durant les années soixante et la lutte pour les droits civiques, durcissant peu à peu son combat jusqu’à épouser la cause des Black Panthers et s’exiler hors des Etats-Unis, pour rallier en définitive le sud de la France près de Marseille, où elle décéda en 2003.
Aujourd’hui, la postérité de Nina Simone n’est heureusement plus à faire. Où que vous soyez, vous trouverez toujours quelqu’un pour vous dire qu’il adore la chanteuse. Et un tas de DJ incompétents ont allégrement massacré ses plus belles chansons pour faire danser des trisomiques 21 en boites de nuit. Au risque de passer pour un vieux con, je conseille quand même aux néophytes d’écouter High Priestess Of Soul plutôt qu’un remix. Porte d’entrée sur l’immense œuvre de Nina Simone, le disque fait le trait d’union entre les merveilleux Pastel Blues et Silk And Soul, entre I Put a Spell on You et Nina Sings The Blues, bref il place l’auditeur dans l’œil du cyclone d’un âge d’or exceptionnel.
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