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par Frédéric Rieunier le 24 mai 2011
Faux os dans le nez, serpent factice et peau de léopard, Screamin’ Jay Hawkins savait jouer des accessoires comme des préjugés. Ses baragouinages proférés avec véhémence et ses yeux exorbités parachevaient son entrée en scène. Et donnaient au tableau une teinte caricaturale digne d’une affiche coloniale. La suite de la performance était à l’avenant. Se mettant tantôt à loucher ou à pousser des hurlements démentiels, Jalacy Hawkins, de son vrai nom, n’a pas volé son pseudonyme.
Accompagné par Henry, son sceptre à tête de mort, le bluesman aux airs de sorcier vaudou a marqué l’histoire de la musique à travers son illustre chanson : I Put a Spell On You. Sortie en 1956, elle devait d’abord être une sobre ballade dans laquelle Hawkins incitait son amour perdu à revenir vers lui.
C’était sans compter la façon dont allait être enregistré le morceau.
Le baryton a révélé que son producteur, Saul Zaentz (connu pour son travail puis ses démêlées avec Creedence Clearwater Revival), avait fait boire tout le monde dans le studio, avec pour résultat l’étrange chanson qui allait faire la renommée de son poulain. « Je ne me souviens même pas de l’enregistrement. Avant, j’étais juste un chanteur de blues normal, j’étais juste Jay Hawkins. Tout s’est en quelque sorte écroulé sur place. J’ai découvert que je pouvais faire plus en démolissant une chanson et en la hurlant à la mort. »
Le sort en était jeté, la magie noire était à l’œuvre.
I put a spell on you’cause you’re mineYou better stop the things you doI ain’t lyin’No I ain’t lyin’
À entendre asséner ainsi ces paroles, on imagine l’effroi qu’a dû ressentir leur destinataire. Une déclaration d’amour peut être angoissante. Screamin’ Jay Hawkins l’a prouvé.
Stop the things you doI ain’t lyin’I love youI love youI love you anyhowAnd I don’t careIf you don’t want meI’m yours right nowI put a spell on youBecause you’re mine
Le charme ainsi lancé a sans conteste opéré. La chanson a rapidement eu un grand succès, malgré la censure dont elle a fait l’objet de la part de plusieurs radios américaines. Utilisée dans des films et des publicités, I Put a Spell On You a surtout été reprise à maintes occasions. Nina Simone, Creedence Clearwater Revival, The Animals, Them, Nick Cave and the Bad Seeds ou encore Marilyn Manson font partie de ceux qui ont donné une seconde vie au titre.
Au-delà de cette influence, le musicien est considéré comme le probable initiateur du shock rock, sous-genre regroupant des artistes au jeu scénique à la fois théâtral et allant à l’encontre des valeurs établies, que ce soit par le sexe ou la violence. À la fin des années 1950, il était encore peu courant de débuter un concert en sortant d’un cercueil.
Screamin’ Jay Hawkins a frappé les esprits comme peu de musiciens ont su le faire. Il faut dire qu’il s’était d’abord exercé sur les frimousses de ses compatriotes en remportant en 1947 le championnat de boxe amateur américain, catégorie poids moyens et, en 1949, celui d’Alaska, dans la même catégorie.
Le chanteur avait décidément plus d’un tour dans son sac et plus d’une carte dans son jeu, puisqu’il a rédigé trois livres (inédits) dédiés à l’astrologie. Un art qu’il maîtrisait. En 1970, il écrivait Constipation Blues. Trente ans plus tard, le 12 février 2000, il s’éteignait après avoir été opéré pour une occlusion intestinale...
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