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par Sylvain Golvet le 2 octobre 2007
« On a Monday, I was arrested ! »
Quand dans les années 30, Huddy William Ledbetter chante ces paroles, le bonhomme sait de quoi il parle. En 1930, Leadbelly (surnom qu’il a acquit en prison) entre pour la troisième fois en cellule pour tentative d’homicide. Pas vraiment un tendre donc, ce qui le place en témoin privilégié pour interpréter cette complainte de prisonnier, et c’est en toute connaissance de cause qu’il peut affirmer :
Take these stripes, stripes from around my shoulderTake these chains, these chains from around my legsLord, these stripes, it sure don’t worry meBut these chains, these chain’s gonna kill me dead
Dans cette prison de Louisiane, Leadbelly passe le temps en interprétant diverses chansons avec sa voix traînante et accompagné ici de sa guitare. On jurerait même entendre ses compagnons de cellule derrière lui, poussant des « Ha-Ha » d’accompagnement. C’est d’ailleurs dans cette même prison que Leadbelly sera découvert par John et Andy Lomax, deux musicologues qui parcouraient le pays pour en immortaliser le folklore musical grâce à leur matériel d’enregistrement portable. Les deux collectionneurs, interpellés par ce talent singulier, enregistreront dès 1934 un grand nombre de ses chansons qui traverseront les années.
Dans le film Walk The Line, Joaquin Phoenix interprète I Got Stripes complètement défoncé sur scène avant de s’écrouler. Ce titre est une chanson de Johnny Cash bien sûr. La version studio de ce titre date de 1959 et apparaît sur la réédition de Songs of our Soil, tout en étant récurent dans le répertoire scénique du Man in Black, tel qu’on le retrouve sur le mythique At Folsom Prison. Mais le maquillage est bien peu habile puisqu’on reconnaît tout de suite la chanson de Leadbelly rien qu’en comparant les paroles :
On A Monday I Was Ar-rested (Uh Huh)On A Tuesday They Locked Me In The Jail (Oh Boy)On A Wednesday My Trial Was At-testedOn A Thursday They Said « Guilty » And The Judge’s Gavel FellI Got Stripes --- Stripes Around My ShouldersI Got Chains --- Chains Around My FeetI Got Stripes --- Stripes Around My ShouldersAnd Them Chains --- Them Chains They’re About To Drag Me Down …
Pourtant étrangement ce titre est crédité ainsi : J.Cash/C.Williams, le C. Williams se référant à un certain Charlie Williams qui aurait écrit plus de 200 chansons interprétées par Ray Charles, Dean Martin et évidemment Cash. Lui-même et Williams connaissaient-ils la version originale de Leadbelly ? Il est fort à parier que oui puisqu’on y retrouve les « Uh-Huh » qui rappellent les « Ha-Ha » des chœurs d’On A Monday, qu’on retrouve aussi sur Take this Hammer. Cet élément rythmique typique du bluesman colle d’ailleurs parfaitement au thème carcéral de la chanson, ces exclamations pouvant être entendues comme une manière pour les prisonniers de donner un rythme régulier et de ne pas faiblir lors des longues heures de travaux forcés. Et même si on remonte plus loin, on peut facilement en déduire que c’est un chant d’esclave.
Outre par Cash, cette chanson a traversé les années via Ry Cooder qui la reprend en 1971 jusqu’en 2007 sur l’album Tied & True des Detroit Cobras en passant par Pete Seeger ou Arlo Guthrie. De manière plus détournée, on la retrouve également dans le Black Betty repris par Nick Cave and The Bad Seeds sur Kickig Against The Pricks. Car comme sur l’originale, la deuxième partie du morceau reprend le premier couplet d’On A Monday, avec des Bad Seeds effrayants en fond sonore.
Reprise, adaptée voire plagiée, la chanson de Huddy Ledbetter s’est propagée comme toute bonne chanson traditionnelle à thème universelle. On pourrait donc jeter la première pierre venue à Johnny Cash de s’être attribuée la paternité du morceau moyennant un petit changement de texte. Pourtant le retrouver dans la discographie de Leadbelly prouve-t-il que ce dernier en est bien à l’origine ? On peut légitimement questionner la part de chants traditionnels dans cette composition tant Leadbelly s’inspire d’une culture où la transmission orale est plus importante que de graver le tout sur sillons. À une époque où l’enregistrement de disques se fait rare et onéreux pour des chanteurs afro-américains dans le sud des Etats-Unis, il ne serait pas étonnant de considérer que le bluesman soit le premier à immortaliser sur vinyle une chanson ayant auparavant traversé diverses villes ou cours de prisons par l’intermédiaire d’autres interprètes. Pionnier du blues, du folk voire de la country, Leadbelly n’est pourtant pas à blâmer. Grâce à lui un patrimoine culturel conséquent (parmi d’autres compositions personnelles) sera sauvé de l’oubli telle cette complainte carcérale. Car finalement le blues ou le folk, c’est un peu les mêmes chansons renaissant à travers les époques et les interprètes, avec Leadbelly comme digne représentant.
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