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Mano Solo

Mano Solo

par Noesis le 26 juin 2007

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À quelques minutes de son concert au Théâtre des 3 Chênes de Le Quesnoy, Mano Solo me reçoit en loges. Un bel entretien fleuve où le chanteur se raconte différemment. Une jolie rencontre ajournée pour les besoins d’une interview en direct sur France Bleu. Les autres questions, au prochain chapitre...

L’interview N° E515

Je vais prendre un pari. Celui d’envoyer valser les conventions d’une interview promotionnelle. Les questions, on vous les a, je crois, toutes posées. Votre parcours, vous l’avez disséqué dans les moindres détails. Et vous en avez peut être assez de répéter les mêmes choses.
Peut être que vous aussi vous aimeriez en savoir plus sur le type qui vous interroge. C’est vrai qu’après tout, c’est tout le temps les mêmes qui se mettent à nu.
J’ai donc pensé à un nouveau type d’entrevue où je pourrai mettre en relation votre univers avec le mien. Parler de moi, tout en parlant de vous. Parler de Mano Solo, tout en parlant de Noesis. L’idée est toute fraîche, j’espère tout de même être pertinent.

B-Side Rock : Je m’appelle donc Benoit Didier. Didier c’est le nom. Mais je me fais surtout appeler Noesis. Un pseudo pour dissimuler je ne sais trop quoi. Lorsque l’on parle de Mano Solo, Emmanuel ne perd-il pas de son identité ?

Mano Solo : Pas du tout, parce que ma mère m’a tout le temps appelé Mano. Je suis tout le temps le même, il n’y a aucun souci.

BS : Moi, mon grand père m’appelait tout le temps Piyo. C’est un sobriquet que je chéris encore, c’est l’affectif qui a voulu que vous conserviez Mano dans votre nom d’artiste ?

MS : Non, c’est juste que tout le monde m’a appelé Mano, tout le long de ma vie. À l’école, dans le bled où j’ai grandi, on m’appelait déjà comme ça, même les instits’. J’ai toujours été Mano et personne d’autre. C’est mon nom ! Il n’y a que mon père qui m’appelait Emmanuel quand il était en colère. « Emmanuel, viens ici ! » Les gens qui ne me connaissent pas ou ceux qui font semblant d’être mes amis m’appellent Manu. Je m’appelle Emmanuel, mais personne ne m’a jamais appelé comme ça.

BS : Mon père était menuisier, ma mère, auxiliaire puéricultrice. Je viens donc d’un milieu où l’artistique n’a pas spécialement sa place. Vos parents étaient tous deux journalistes. L’écriture était déjà présente chez vous. Vous pensez qu’on n’échappe jamais à ses origines ? Et que quoi qu’on fasse, tout nous y ramène ?

MS : C’est ce que je disais justement aux étudiants tout à l’heure. Mano a passé l’après midi à la Fac de Valenciennes. Effectivement, je pense que c’est cela la chance de ma vie. Avoir eu cet atavisme culturel, d’avoir été nourri de choses qui m’ont permis de réagir de façon artistique à l’adversité. Mes origines me servent donc, mais tout ne m’y ramène pas. Quoi qu’on fasse, nous sommes le produit de nos origines, ça c’est vrai. Mais ce n’est pas une fatalité. On peut se transformer complètement. D’ailleurs, c’est une grosse vérité, nous sommes le produit culturel des gens avec lesquels on a grandi... Mais aussi des recherches qu’on a entreprises personnellement.

BS : Car, oui, ma vie rêvée à moi, c’est l’écriture. Mais j’ai déjà eu affaire à des confrères journalistes qui m’ont coupés les ailes en me disant que je n’y arriverai jamais. Les crasses de ce genre, vous avez du en bouffer et vous avez su rebondir...

MS : ... Je ne sais pas. Bien sûr, je n’ai pas fait que des choses qui ont marchées. Mais on ne me les a jamais coupées comme toi. J’ai eu de grandes violences de honte. À 18 ans par exemple, à l’époque j’étais encore punk. Je bossais à Hara Kiri, je faisais les paquets pour la période de Noël, et là y a Cavanna qui vient me voir et qui me dit : « Pffff, t’es vraiment qu’un voyou désuet ». J’ai eu les boules de ma vie parce que je ne savais pas ce que ça voulait dire « désuet ». Il marque un temps et explose de rire. Mais pourquoi je te raconte tout ça !?... Après, quand j’ai su ce que voulait dire le mot, j’ai pris une deuxième tarte dans la gueule, parce que j’ai compris ce qu’il voulait me dire. En gros, personne ne te coupera les ailes. Dès que tu te prends des tartes, dis toi que t’apprends quelque chose. Pas de langage victimiste chez moi. J’aime bien cette phrase très conne qu’on entend dans les films : « Tout ce qui ne te tue pas, te rend plus fort ».

BS : In The Garden est sorti vendredi dernier. Mais il était disponible sur votre site Internet bien avant, moyennant une souscription. Cette démarche commerciale inédite en réponse au téléchargement, c’est un peu l’histoire de David contre Goliath. Les premières pierres lancées ont-elles déjà affaiblies l’adversaire ?

MS : Je n’en sais rien. Ce n’est pas vraiment ça le truc... Je me suis surtout autoproduit pour pouvoir parler davantage.

BS : Ce soir, c’est la première date de la tournée avec l’album officiellement dans les bacs. Cela vous inspire un sentiment particulier ?

MS : Pas vraiment. Oui, je veux faire continuer le spectacle. Bien sûr c’est tout le temps différent, la musique que l’on joue et ce que l’on raconte... Mais la démarche, elle, n’est pas nouvelle. C’est cela qui commence un peu à me... Au bout de quinze ans, monter sur scène et faire le juke box... Je commence à en avoir marre. Pas que j’en ai marre des gens, mais j’ai l’impression d’avoir un peu fait le tour de ce que j’avais à faire sur scène... Je ferai mieux de passer à autre chose. Apporter du neuf, m’épanouir un peu plus. Changer de mode d’expression, comme je l’ai déjà fait plusieurs fois dans ma vie. Pourquoi pas sculpter ? Je sais travailler la ferraille, je suis un gros fan de Tinguely, un artiste qui fait des machines qui grincent et qui ne servent à rien. C’est monstrueux, complètement punk comme machinerie.

BS : Plus jeune, mon lycée d’enseignement catholique avait tracé pour moi une belle route : le CAP en institut familial, faisant fi de mes qualités littéraires. La reconnaissance du talent, c’est encore un moteur pour vous ou vous avancez quoi qu’en dise les critiques ?

MS : Bien sûr, c’est très important. Van Gogh s’est suicidé, parce qu’il n’était pas reconnu. Toute reconnaissance est importante, encore plus quand tu n’es pas encore abouti, en tant qu’artiste ou dans ton expression. Au théâtre du Tourteau où j’ai débuté, on m’a embauché sur la base d’un Contrat Emploi Solidarité. Tout d’un coup, j’étais payé pour ce que je faisais. J’avais un outil de travail. Et ce CES, qui pour tout le monde était une galère, c’était l’accès à un statut social. Une reconnaissance pas tellement au niveau de l’artistique, mais de la société. C’est tous ces discours là que je ramène autour de mon autoproduction. Finalement, j’ai commencé à me sentir bien dès que j’ai fait partie de la société. Je n’ai pas été une espèce de ménestrel à qui on donne quelque chose si on a envie. C’est devenu un travail. Et un travail se doit d’être reconnu. Mais si tu n’as pas cette reconnaissance, ce n’est pas pour cela qu’il faille t’arrêter. Alors, évidemment il y a des types qui poussent le bouchon très loin, comme Van Gogh qui a fait beaucoup de tableaux pour que dalle, à part pour son frère.

BS : En parlant de reconnaissance. En ces temps de campagne électorale, la France à peur, mais elle ne jure que par Bénabar, le chanteur bien pensant. Vous êtes toujours friand de ses dîners et de ses commandes de pizzas, caché sous les draps ?

MS : -Hilare.- Je ne suis même pas au courant de ce que tu me racontes.Je lui chante donc Le Dîner, de façon approximative... Mais je ne connais pas ses chansons, tellement cela ne m’intéresse pas. Pareil pour Delerm, tu écoutes ça une fois et pffff...

BS : Au lycée, en cours d’art plastique, matière où je n’excellais pas, on nous imposait de nous noter nous même. Je n’ai jamais saisi l’intérêt de la chose, à moins qu’il ne s’agisse d’auto flagellation ou de grosse paresse du prof. Vos peintures, vous arrivez à avoir un regard critique sur elles ?

MS : Je n’ai pas peint énormément, en vérité. J’ai davantage pratiqué la peinture éphémère. On était un groupe de peintres de rue : Les Puissances Populaires. On était issue de la mouvance de la figuration libre. C’était rock’n’roll de faire de la peinture. Je voulais faire de la musique, mais personne ne me faisait confiance pour cela. Et en plus, je n’étais pas assez sociable. J’étais journaliste pour Les Nouvelles Littéraires j’avais une chronique en dessin, comme Willem mon idole depuis toujours, et je suis tombé sur un groupe de peintres. Je suis allé les interviewer à l’atelier et je n’en suis jamais parti. Ils m’ont appris la couleur, et moi je leur ai enseigné le dessin. J’ai toujours eu un bon dessin, sans doute grâce à mon père. Il y a eu un bon échange technique. Eux étaient fous furieux, on faisait des performances de peinture en boîte de nuit, on se faisait un peu de pognon, on avait aussi des ventes aux enchères à La Scala. Puis, je me suis mis à peindre vraiment, mais je n’ai qu’une toute petite production. La plupart de mes tableaux, je n’en ai même pas de photos. On m’a volé mon book quand je vivais sur la péniche et également une toile. Ça, ça m’a fait plaisir ! Ils pensaient que cela valait quelque chose ou quoi ? Je n’étais même pas encore Mano Solo !

BS : Plus jeune, moi, je me contentais du minimum. Je visais la moyenne, pas plus haut. Depuis, j’ai appris à me battre, pour imposer mes choix, essayer de les défendre. Vous, vous y avez toujours cru, vous étiez persuadé de la force de vos premiers albums. On assimile souvent la satisfaction, la conscience de ses mérites à de la mégalomanie. Vous en êtes où de ce rapport à soi même ?

MS : Oui, je pense que je suis mégalo et que cela m’est salutaire. J’en suis conscient et je joue avec. Quand tu te sens seul, t’es forcément mégalo quelque part. C’est une explication de la solitude. Malgré tous mes amis, je me sens assez seul. Il y a toujours un moment où je me sens « pas adapté ». Il y a un problème quelque part et je passe mon temps à le chercher. Lequel ? Et j’en sais rien, car en fait je n’en ai pas. L’ennui d’être tout seul dans sa tête. On peut éventuellement aussi appeler ça la déprime.-il rit- Si tu n’es pas mégalo, tu ne t’en sors pas. Tu es obligé de parler de toi. Mais si tu ne fais que cela, il faut que tu deviennes artiste...

BS : Plus petit, j’ai eu une sale expérience sexuelle avec un Monsieur tout rouge, fort imbibé. Il m’avait emmené chez lui, et voulait en savoir plus quand à mes capacités érectiles. Vous pensez qu’on écrit aussi pour exorciser ou que l’idée est très surfaite ?

MS : J’en ai eu un comme ça aussi. Il m’emmenait chez lui, et adorait me renifler les couilles. Mais moi, cela ne me posait pas de problèmes. C’est parce que je voulais qu’il me donne des trucs que j’allais chez lui, tu vois. Il m’avait pêcho parce que je bouffais les cerises de son jardin. Et il avait dans son garage, une tête de chat en fer avec des agates à la place des yeux. Je le voulais ce truc là. Un bel objet pour un gamin... Il commence à m’embrouiller sur les meufs, j’avais 12 ans, j’en avais à moitié rien à foutre. Mais il est finalement arrivé à ce que je lui montre ma bite. Mais ça, c’est un truc que tu fais entre gamins. Le déroulement, je n’en ai pas souvenir. Je le revois, lui, collé sur ma teub, en train de me renifler en disant « c’est doux, ça sent bon ». Il était gentil. Je ne sais pas comment il est arrivé à ma bite. Je ne m’en souviens plus. Il aimait bien mes petites couilles. C’était un gros bonhomme tout hirsute. À aucun instant, je n’avais peur. Je suis retourné plusieurs fois chez ce type, pour bouffer ses cerises. Et la plupart du temps, il me prenait la tête pour que je lui sorte ma queue. Et moi, finalement, ça me branchait, tu vois. Ce n’était pas désagréable. Je n’avais pas l’impression qu’il me voulait du mal. Sauf un jour où je l’ai senti bizarre. Il voulait qu’on aille dans une autre pièce, il matait par la fenêtre, il n’avait pas la conscience tranquille. Donc, il m’emmène dans cette pièce qu’il avait sécurisé du regard, et me demande si je veux voir son sexe. Je lui dis que s’il voulait, il pouvait le sortir. Je m’en foutais encore. Et là, l’image reste encore gravée. Il baisse son froc, et j’ai alors vu l’énorme différence entre lui et moi. Tu vois, lui, c’était un singe. Des cuisses et une grosse bite pleine de poils tout bruns. Putain, j’ai vu un truc qui ne m’a pas branché. J’ai commencé à me rendre compte que c’était un gros bonhomme complètement fou. Ce n’est qu’à ce moment là que je l’ai réalisé. Ce mec, je l’avais même présenté à mes parents. Un type qui passe inaperçu. Bref, je me suis barré en courant, et je n’y suis jamais retourné. Mais aujourd’hui, effectivement, je suis horrifié de constater que j’aurai pu me faire violer ou même me faire tuer...

BS : Bon... On va conclure là-dessus... J’espère que cette interview façon Blaise Cendrars, où j’écris comme si je parlais à un vieux pote, aura su vous séduire. Néanmoins, je vais tout de même tenter de me remettre en question. Le concept de l’interview N° E515, je le garde, ou je l’enterre ?

MS : Garde-le. C’est très bien. On discute. J’imagine que cela ne va pas passer avec tout le monde. Les gens qui n’ont pas le temps, ça va les énerver. Les gens très prétentieux n’en auront rien à foutre de ton histoire et te diront qu’ils ne sont pas là pour ça. Ou alors des gens méprisants... Mais avec des gens sympas, ça passe très bien. Et en plus, t’as raison dans ton intro. On me pose toujours les mêmes questions, on veut toujours m’amener au même endroit. Le type a envie d’écrire quelque chose qu’il a déjà lu auparavant. C’est ça le journaliste d’aujourd’hui, si tu ne lui donnes pas un dossier de presse avant, il est à poil...

BS : Merci Mano, pour ta grande générosité.



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