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par Psymanu le 10 juillet 2007
paru en mars 2007 (La Marmaille Nue 2007)
Réduit à l’auto-production, mais pas (encore) au silence, Mano Solo signe son sixième album dans la douleur, face aux éléments contraires d’une industrie du disque dont il ne cesse de souligner les errements à longueurs d’entrevues. Ce disque-là doit passer ou casser, il en appelle à ceux qui l’aiment encore de bien vouloir en faire l’emplette. On s’exécute, parce qu’il manquerait au paysage, ce mec-là, et que s’il n’a pas forcément les mots les plus tendres à l’encontre de son public, il sait encore le ravir par son art.
In The Garden, le morceau-titre introductif, est un coup de poing sur la table. Une mise au point, en quelque sorte, façon "voilà où j’en suis, à vous de voir si ça vous va, mais si ça vous va pas je m’en balance parce que moi ça me va". Non, il ne refera pas La Marmaille Nue, ne serait-ce que parce que ça le gave que ce soit là tout ce qu’on ne attende de lui. Un texte d’où perce une colère qui ne l’a jamais quitté, Mano Solo, quand bien même ses choix artistiques aient pu être critiqués. Un texte ambigû, aussi, en celà que se confrontent d’un côté l’aigreur de s’être laissé malgré lui enfermer dans un personnage de poête maudit viscéralement écorché dans lequel il ne se reconnaît finalement pas tellement, et de l’autre l’apaisement qu’il trouve aujourd’hui dans sa modeste demeure et son petit jardin même pas secret. Mano reste droit dans ses bottes, "stiff upper lip", comme disent les Anglais, et il beugle qu’il aurait pu. Tout ça. S’ouvrir les veines sur chaque disque, la crucifiction, ces bêtises de littérature, mais que merde il fait encore ce qu’il veut, non ? Qu’au fond il préfère la vie en vrai à sa propre légende.
Une fois les bases bien établies, on peut commencer. La seconde piste est aussi le single, c’est Les Endurants, et son accordéon syncopé, vif. Y a des ondes positives, dans ce titre, c’est l’affirmation d’un souffle de vie, celui qui renverse sur son passage les carcans et les prisons, et que les individus, nos propres carcasses, finalement, valent moins que cet élan auquel ils participent. C’est une grosse guitare électrique qui nous cueille sur Les Petits Carrés Blancs, et Mano solo chante son Paname à lui qu’est plus là et qui n’est plus le même. Il pleure Paris qui exclue et Paris qui refroidit, se dépersonnalise en même temps qu’elle entasse des "petits carrés blancs avec des gens dedans". Sans être parigots, on voit bien le truc, parce qu’on l’aperçoit, ou plutôt on nous le balance en pleine face à chaque JT. Ensuite, c’est Palace, et c’est à pleurer. C’est l’amour tel qu’il l’a déja souvent chanté, avec les mots qu’on lui connait mais qu’il assemble chaque fois différemment et qui sonnent tellement justes à chaque fois qu’on n’est jamais dans la répétition, comme un torrent de feeling qui coulerait toujours pareil mais avec des eaux venues de partout emmenant avec elle un peu de chaque brin d’herbe qu’elle a renversé. Du même sentiment il est encore question sur Aimer D’Amour, celui pour lequel on cède toujours, malgré ce fatalisme omniprésent, "aimer d’amour, se fracasser tous les jours, contre les murs en soi, les limites de notre moi". Pour autant, la rythmique donne à ce morceau un je-ne-sais-quoi d’enjoué, ou bien sont-ce les choeurs qui relèvent l’ensemble pour lui donner ce parfum tzigane qui fait voyager, forcément. Le finish abrupt rajoute un côté spontané qui tranche avec cette mélancolie inévitable qui naît des trémolos de la voix de Mano Solo.
On change de registre, mais pas d’univers, avec La Fortune, dont les accords parfois dissonants d’un piano martellé et de la guitare apesantissent l’atmosphère, interrogatif quant aux limites de la résistance face à un regard distant et qu’on voudrait tellement plus chaleureux. Suite logique, poursuite de la chute, vers les tréfonds du maussade, Entre Nous signe l’absence, pleure le départ, un oeil dans le rétro, et les souvenirs, l’autre vers le vide qui s’ouvre sous les pas, droit devant. Sur un doux jazz que surplombe un accordéon plaintif, Mano Solo déroule son verbe, et pour Dans Ma Mémoire, plus que jamais, la musique n’est plus qu’accompagnatrice, réagissant, rebondissant sur chaque émotion qu’il envoie, sur chaque branche pleine d’épines qu’il dessine à la bouche, ça sonne comme une impro et c’est ce qui donne ce sentiment à l’auditeur qu’il est en train "de se passer quelque chose", que quelque chose se crée, là, devant lui. Mano Solo, il faut absolument le souligner, sait s’entourer : son orchestre lui tisse un merveilleux écrin, à la discrète sophistication, cette arme fatale qui propulse vers les cîmes celui qui sait en maîtriser la flamme. Preuve en est cette ballade toute en arpège qu’est Le Repas. Si l’écriture et la voix sont mises en avant, c’est bien en appui sur un sublime tissu d’arpèges qu’elles peuvent se tenir si fièrement debout. Est-ce un hymne à sa jeunesse de keupon, que ce No Future ? L’ironie tient dans ce futur qui est bien là, justement, et à cette satisfaction de le vivre, finalement. Il y a de l’amusement à être encore là, et à espérer voir demain se lever, encore, "et on s’retrouvera là", et l’accordéon s’envole dans une valse toute d’allègresse enrobée, et à la voix toute cramée de Mano se substitue celle d’un môme (qui en plus possède un grain similaire), symbole de cet éternel recommencement, ou bien reflet de l’âme encore heureusement juvénile du gars Mano. Rester vivant et rester le même, Toujours Le Même Tableau, raconter "toujours la même histoire", il est cet arbre que le temps a rendu un peu malingre mais dont les racines sont trop fortes même pour les pires vents contraires. La conclusion, c’est Ne Sens-Tu Rien Venir ? et son texte sublime, toujours entre regrets et foi en ce qu’il reste de lumière des jours à venir : "nous entrons dans l’hivers mais je te garde un été..."
In The Garden est un disque superbe, qui possède une sorte de douceur, comme une saveur d’apaisement. D’un cœur ouvert ne coule pas forcément du sang, c’est peut-être la leçon à retenir ici, et finalement la pudeur dévoile parfois des fruits aussi juteux que les grands déballages à l’arrachée.
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