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par Emmanuel Chirache le 26 juillet 2011
J’imagine que si je vous parle du "club des 27", vous savez qu’il ne s’agit pas d’un inédit d’Enid Blyton pour la Bibliothèque rose. Non, ce club fait partie des nombreux mythes charriés par le rock, ce qui en ces temps cyniques où les légendes n’ont pas bonne presse, fait de lui une irrémédiable stupidité vilipendée par les lazzis de tout expert mélomane qui se respecte. Surtout depuis la mort d’Amy Winehouse samedi dernier, qui d’un côté a ravivé cette idée selon laquelle la vingt-huitième année des rock star serait fatale, et de l’autre l’attitude consistant à s’en moquer. Et le journaliste Nicolas Ungemuth de remarquer sur Facebook quelques heures après le décès de la chanteuse : "Lu ici et là ces idioties suintant la petite érudition fébrile sur le club des 27 ans... Il y a pourtant beaucoup plus de membres dans le club de ceux qui n’avaient pas 27 ans, non ?" Certes, le critique de Rock&Folk a raison, ce club relativement sélect (on n’y compte guère d’entrées durant les trente dernières années) est en soi une simple coïncidence qui est née de la mort rapprochée de quatre immenses icônes en l’espace de trois ans : Brian Jones en juillet 1969, Jimi Hendrix en septembre 1970, Janis Joplin en octobre 1970, et Jim Morrison en juillet 1971. Ajoutons aussi en number five le grand Alan Wilson, chanteur de Canned Heat. Le choc était rude, il fallait bien lui donner un sens a posteriori.
Mais à cette époque héroïque et héroïne, les rock stars tombaient un peu comme des mouches, il faut le rappeler. Dans les années soixante-dix jusqu’en 1980 notamment, incroyable mais vrai, on y mourait à tout âge. La liste est longue : Nick Drake, 26 ans, Gram Parsons, 26 ans, Duane Allman, 24 ans, Tim Buckley, 28 ans, Marc Bolan de T.Rex, 29 et presque 30 ans, Sid Vicious, 21 ans, Ronnie Van Zant, 29 ans, Keith Moon, 32 ans, Bon Scott, 33 ans, John Bonham, 32 ans, John Lennon, 40 ans, etc. Résultat, les partisans du club sont obligés d’intégrer de force un nouveau membre : le bluesman maudit (par Thibault) Robert Johnson, décédé en 1938 à l’âge fatidique. Puis les années quatre-vingts voit la cocaïne devenir tendance, on en meurt moins, au grand dam des membres du club qui commencent à se sentir un peu seuls. Et l’alcool conserve semble-t-il, Gainsbourg décède à 61 ans. Le club dépérit, on l’oublie. C’est compter toutefois sans Kurt Cobain, qui remet non seulement le punk et l’underground en selle, mais aussi la mort précoce. Plus de trente ans qu’on attendait ça, une star du rock de 27 piges qui clamse ! Hélas, rien ne suit, les années quatre-vingt dix sont celles de lambins qui ont traîné, des mi-précoces, mi-vieux, comme Jeff Buckley (30 ans), Jeffrey Lee Pierce (38 ans), Rory Gallagher (pire, 47 !). Le chanteur d’Alice In Chains Layne Staley aura l’élégance d’attendre sa trente-cinquième année pour s’éteindre en 2002.
Du coup, aujourd’hui chacun apprécie à sa juste valeur le remarquable timing du sosie de Janice dans FRIENDS. Avec une légère impression de déjà vu. Car, triste à dire, mais personne n’imaginait la chanteuse en train d’enregistrer un disque à soixante-treize balais avec Jack White comme producteur... La mort d’Amy Winehouse, le public l’avait déjà un peu en tête. Elle-même se sentait fragile, prête à rejoindre le fameux groupuscule "Neil Young" qui préfère burn out que fade away (phrase ironique, de la part d’un type aujourd’hui largement sexagénaire). Chaque journaliste, chaque commentateur, donc, y est récemment allé de sa petite référence au club. Le plus souvent avec distance, voire dédain. Dans Libé par exemple, l’auteur de la nécro écrit : "Beaucoup de commentateurs pas trop regardants sur les clichés rock notent ainsi qu’elle intègre le fameux club des 27." Sans doute s’agit-il d’un cliché, mais ceux-ci font partie du paysage, ils en sont même d’une certaine façon l’essence comme les images d’Epinal ont pu façonner l’imagerie populaire. Il ne faut pas nier l’aspect ludique du cliché. Cette malédiction, personne n’y croit, tout le monde s’en amuse. Elle permet de ressortir les cadavres du placard, de citer ses morts au combat. Les artistes en personne peuvent se prendre au jeu, craindre que la faucheuse ne se manifeste un peu trop tôt parce qu’ils vivent dangereusement, adopter la posture romantique du "hope I die before I get old", et le dire dans les médias. Le club des 27 ans incarne la propension du rock à se penser au présent, à condition que ce présent soit celui de la jeunesse, de la volonté, de la puissance.
Il ne pourrait pas y avoir de "club des 36 ans" par exemple, ça n’aurait aucune résonance avec l’idéologie rock. Pour autant, chaque disparu mythique fonde son propre club perso (le "Gun Club", pour Jeffrey Lee Pierce, ptdr lol) qui s’épanouit moins en fonction de l’âge que du tragique. Si les morts de Syd Barrett, Arthur Lee, Elliott Smith, Joe Strummer, Vic Chesnutt, Michael Jackson ou Jay Reatard ont endeuillé un grand nombre de personnes, c’est parce qu’il s’agit là d’artistes majeurs, à qui le destin a joué quelques tours. Un peu abîmés par la vie, mais pas suffisamment pour mourir à vingt ans, ils nous quittent à des âges intermédiaires. La vie commence à rattraper les rockers, qui ne la trouvent pas si désagréable. Conséquence, on parle d’autant plus de la mythologie des 27 qu’elle correspond de moins en moins à la réalité. Amy Winehouse et Pete Doherty focalisaient l’attention au moins autant pour leur musique que pour leur consommation de drogues, si bien qu’ils fascinaient beaucoup à cause de leur date de péremption potentielle. A ce propos, un blogueur "sélectionné" par le Nouvelobs.com explique ainsi l’addiction d’Amy Winehouse : "Tout d’abord, on trouve l’idée qu’une star de la stature d’Amy Winehouse a besoin de se doper. Il faut tenir le coup physiquement, être très en forme pour assurer les concerts. La consommation de drogues et autres substances peut alors s’assimiler à du dopage." Se doper au crack et à l’alcool, donc. Je ne sais pas combien de coureurs cyclistes marchent à ce cocktail, mais mon petit doigt me dit qu’ils sont assez peu nombreux.
Non, la consommation de drogues et la mort précoce d’Amy Winehouse ont touché une corde sensible dans le public parce qu’en filigrane c’est le mal de vivre de tous les artistes solitaires qu’on peut y lire. Au final, le "club des 27" s’apparente à une réminiscence ancienne de ce mal-être fondateur de bien des carrières, un garde-fou qui rappelle aux artistes carriéristes, bien dans leur peau ou trop prudents qu’on peut aussi envoyer balader un destin prometteur. Mais c’est encore la preuve de l’échec de l’art, qui ne réussit visiblement pas à guérir les maux intérieurs de tout le monde.
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