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par Aurélien Noyer le 3 mai 2010
Il y a parfois des hasards de calendrier qui font mal. A une semaine d’écart, les cinémas français ont accueilli Kick-Ass puis Iron Man 2, deux adaptations de comics... alors une telle proximité encourage forcément les comparaisons.Mais avant de continuer, je résume pour les plus récalcitrants au 9e art made in USA.
A ma gauche, Kick-Ass : série créé en 2008 par Mark Millar (scénario) et John Romita Jr (dessins), éditée par Marvel. Le pitch : Dave Lizewski, un ado fan de comics tout ce qu’il y a de plus normal décide un beau jour de mettre un costume et de devenir un super-héros, quitte à se passer de pouvoirs. Au gré de ses aventures, il rencontre un duo constitué par Big Daddy et Hit-Girl, sa fille de 11 ans et un autre super-héros nommé Red Mist.
A ma droire, Iron Man : série créé en 1963 par Stan Lee (scénario) et Jack Kirby (dessins), éditée par Marvel. Le pitch : Tony Stark est un playboy capitaine d’industrie doublé d’un ingénieur de génie blessé au coeur après avoir été kidnappé. Ses ravisseurs essaient de le forcer à construire une arme de destruction massive. Il créé à la place une armure surpuissante qui lui permet de s’échapper. Il décide ensuite d’utiliser cette armure pour protéger le monde et devient Iron Man.
On a donc d’un côté le rookie et de l’autre, le vétéran, tous deux adaptés au cinéma. Evidemment les adaptations respectives font écho de ces différences et inutile de faire durer plus longtemps un suspense inexistant : Iron Man 2 représente tout ce qui ne devrait plus se faire lorsqu’on adapte un comics et le film semble ringard le jour même de sa sortie. Tout ça parce que Jon Favreau (réalisation) et Justin Theroux (scénario) ont décidé d’adapter fidèlement l’esprit original du comics, ce qui était évidemment la pire chose à faire... alors que Kick-Ass est un exemple en matière d’adaptation grâce au fait que Matthew Vaughn (réalisation) ait travaillé en étroite collaboration avec Mark Millar pour adapter fidèlement l’esprit original du comics, ce qui était évidemment la meilleure chose à faire.
Okay, ça peut paraître contradictoire. Mais laissez-moi vous expliquer. L’idée de base, c’est qu’en quarante ans, les comics ont grandement évolué. Il suffit de lire des auteurs comme Warren Ellis, Garth Ennis ou Mark Millar pour s’en rendre compte. Ces trois-là ont révolutionné le genre en y introduisant violence gratuite, sexe, drogue mais surtout en cassant cette espèce de réalité parallèle où semblaient se situer les comics. Ainsi dans The Authority, géniale série sur laquelle se sont succédés Ellis, Ennis et Millar, le président des Etats-Unis à la fin des années 90 était réellement Clinton et les super-héros n’hésitaient pas à lui balancer des vannes sur Monica. A partir de là, il devient naturel que les comics parlent de comics et que les super-héros se comparent naturellement à des héros de BD. L’évolution vient du fait que, non seulement les comics parlent de la réalité (ils le faisaient depuis toujours de façon plus ou moins détournée), mais en intégrant des éléments de fiction dans leur réalité, il brouillent complètement la frontière entre réalité et fiction. Et lorsque le héros de Kick-Ass décide de combattre le crime malgré son absence de super-pouvoirs ou lorsque les super-héros de The Authority décident d’aller botter le cul des dictateurs autour du monde et découvrent que même avec des super-pouvoirs répandre la paix et la démocratie dans le monde, c’est plus compliqué que de casser la gueule à des monstres extraterrestres ou à des super-vilains, on a la preuve que les comics sont arrivés à un degré de maturité artistique inédit et offrent désormais plusieurs degrés de lecture : une lecture au premier degré bien sûr avec des scénarios bien fichus et accrocheurs, un deuxième degré permettant une lecture souvent cynique et désabusée du monde réel et désormais un troisième de degré mettant en perspective les rapports entre réalité et fiction et la pertinence de la description du monde par la fiction au travers de héros qui se cognent sans cesse contre les contingences de la réalité. En se focalisant sur un fan de comics, Kick-Ass offre un quatrième niveau de lecture : un comic-book qui parle de fans de comics et donc, par extension, de la façon dont ils sont représentés . Et ce qui en ressort, c’est une relecture radicale de l’image du geek : finis les asociaux et leurs fantasmes psychotiques à la Donnie Darko, finis les débiles légers et leurs obsessions régressives à la Cyprien. La morale de Kick-Ass, c’est que, oui, les geeks vivent souvent dans leur petit monde et en prennent plein la tronche quand ils se frottent à la réalité, oui, leurs fantasmes héroïques sont souvent un palliatif à une vie un peu trop morne... mais au final, leur vie est toujours plus belle que la votre. Et si Matthew Vaughn a parfaitement évité l’impasse de l’adaptation case-à-case (cf. les laborieuses adaptations de Sin City, 300 et Watchmen), il a parfaitement retranscrit chacun de ces niveaux de lecture en intégrant intelligemment des références non seulement aux comics mais aussi aux adaptations de comics, faisant de Kick-Ass un film adapté d’un comic-book qui parle de fans de comics qui vont voir des adaptations de comics... vous suivez ?
Iron Man 2, au contraire, semble complètement bloqué dans les années 60. Scénaristiquement, on a l’impression d’être devant un numéro de la période Stan Lee avec une petite couche de vernis cool version années 2000. Pourtant en quarante ans, la saga Iron Man a connu d’énormes bouleversements qui ont enrichi le personnage. Et tout récemment encore, la titanesque saga Civil War a ramené Iron Man sur le devant de la scène. Le principe était simple : le gouvernement américain passe une loi façon Patriot Act obligeant les super-héros à révéler leur identité (encore un brouillage de la frontière entre réalité et fiction et sur ce que pourrait impliquer d’être un super-héros dans le monde "réel"... et oui, encore Mark Millar au scénar’), deux camps vont se former et s’affronter, l’un en faveur de la loi et mené par Tony Stark, l’autre se rebellant contre le gouvernement et mené par Captain America. Or avec ses adaptations de Batman, Christopher Nolan a montré à quel point il était important de s’inspirer des derniers développements de la version BD du héros et son Batman était radicalement influencé par The Dark Knight Returns (1986), Batman : Year One (1987) ou The Long Halloween (1996), trois histoires qui ont fortement contribué à faire évoluer le personnage et à lui donner sa forme actuelle, celle d’un Batman dont le pire ennemi est autre que lui-même, le Joker et Double-Face étant l’un l’antithèse du défenseur de l’ordre (plus que de la loi) qu’est Batman et l’autre, un reflet de la profonde schizophrénie du personnage.
Ainsi, non content de s’inspirer de la version moderne du personnage, Nolan n’hésite pas à proposer carrément une version inédite du personnage. Pour Iron Man, par contre, il faudra se contenter d’une version tout ce qu’il y a de plus standard, sans grande surprise. Si le premier Iron Man fonctionnait grâce à la capacité de Robert Downey Jr. d’incarner l’évolution du play-boy en machine de guerre, de retranscrire les conflits entre sa nature narcissique et ses pulsions quasi-exhibitionnistes d’un côté, et ses obligations morales de héros de l’autre. Par contre, pour Iron Man 2, Tony Stark est Iron Man, c’est officiel, il l’a annoncé au monde entier. La série est installée, le personnage est posé et a appris à gérer ses deux identités. Alors Favreau et Theroux nous refont le coup du héros qui a ses faiblesses mais les surmonte pour être à la hauteur de ce qu’il représente. Le problème, c’est qu’on ne marche plus. Et pas seulement parce qu’ils tentent de recréer de façon totalement artificielle le conflit interne du premier opus. C’est l’idée de départ qui merde. Qui peut encore croire que Tony Stark a des démons qu’il ne pourra pas surmonter ?
Ça fait quarante ans que ce gars-là est un héros invincible qui surmonte les pires obstacles. La fin des années 70 a même vu le personnage plonger dans l’alcoolisme, alors il faut autre chose que des grosses ficelles éculées ("bouhou, il va mourir alors il fait n’importe quoi", "bouhou, son papa ne l’aimait pas, mais en fait, si, il l’aimait") pour nous faire croire que ce gars-là a des problèmes. Et quant au super-vilain de service, que dire ? Il est méchant, il se bat avec Tony Stark et quelques bourre-pifs plus loin, Tony Stark gagne parce que c’est le héros. On en baille littéralement d’ennui.
Et que le casting (de Robert Downey Jr. à Mickey Rourke en passant par Gwyneth Paltrow et Scarlett Johansson) soit impeccable ne change rien à l’affaire. Iron Man 2 est un film désespérément mono-couche. Tout le film, tous les effets spéciaux, la réalisation et jusqu’aux clins d’oeil (le bouclier brisé de Captain America, le dossier du projet Avengers et l’arrivée de Thor en fin de générique) rappellent qu’on est dans l’univers d’Iron Man, bien au chaud, loin de la réalité. Dormez, braves spectateurs, aucune surprise ne viendra vous réveiller... Kick-Ass, au contraire, superpose les niveaux de réalité. On a ainsi Dave Lizewski, en plein dans la réalité avec tout ce que ça implique de blessures et de pêtages de gueule. Vient ensuite Big Daddy, l’ex-flic reconverti en super-héros qui rêve de se venger du parrain Marc d’Amico, on est alors à la frontière entre réalité et fiction, avec d’un côté une histoire de flic accusé à tort et de l’autre le super-héros à la Batman, avide de vengeance (il est d’ailleurs amusant de remarquer que le passé "réaliste" de Big Daddy est représentée sous forme de dessin animé alors que sa personnalité de super-héros est filmée). Et enfin, il y a Hit-Girl, gamine de 11 ans sur-entrainée, nous plongeant dans la fiction la plus débridée, sans aucune limite autre que l’imagination de l’auteur. En jouant sans cesse sur la prédominance d’un de ces trois niveaux, Matthew Vaughn fait continuellement basculer le spectateur d’un monde à l’autre, sans lui laisser le temps de reprendre son souffle. Et c’est là que se joue toute la différence entre Kick-Ass et Iron Man 2 : l’un met ses effets de réalisation (cf. la superposition entre Kick-Ass essayant de sauver un chat et une course-poursuite effrénée) au service d’un scénario en forme de montagne russe, l’autre accumule les effets tape-à-l’oeil pour masquer l’indigence et la platitude de son propos.
Au final, l’échec d’Iron Man 2 montre bien une chose. Pour adapter des comics de nos jours, il faut au moins deux caractéristiques essentielles : de l’audace (Kick-Ass est tellement politiquement incorrect que tous les studios ont refusé de le produire, obligeant Vaughn à lever personnellement des fonds en organisant un diner d’investisseurs, ce qui lui a garantit en contre-partie une totale liberté artistique) et un profond travail de réflexion sur le matériau qu’on veut exploiter, histoire de ne pas proposer qu’une version plate et mille fois réchauffée. Malheureusement, vu la quantité hallucinante de films de super-héros qui arrivent (Thor, The Avengers et Green Lantern, la Justice League Of America, Spiderman 4 ou Superman sont sur les rails), je doute que beaucoup de ces films bénéficient d’aucune de ces qualités. On va se farcir du super-héros à papa encore longtemps...
PS : J’en profite pour dénoncer une arnaque colossale à propos d’Iron Man 2. Entre la campagne de pub dans le métro et la parution de pas moins de quatre versions de la compilation AC-DC/Iron Man 2 (version normale, Collector, Super Collector et vinyle), on pouvait s’attendre à un film dopé au hard-rock des Australiens en intraveineuse. Il n’en est rien. Le film ne contient que Shoot To Thrill et Highway To Hell débarque pour le générique de fin comme un cliché (trop évidente) totalement incongru (pourquoi celle-là plutôt qu’une autre ?)
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