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par Emmanuel Chirache le 13 septembre 2010
paru en mai 2005 (Sony BMG)
Il était temps. Il était temps que nous nous penchions de plus près sur le cas du "nu metal", ce genre qui ne méritait pas un nom si moche et qui naît en 1994, date de la sortie du premier album de Korn. A cette époque, souvenons-nous, le grunge se meurt et avec lui l’espoir de voir du rock dans les médias. Mais ce serait compter sans le nu metal donc, qui squatte les tops 50 et les magazines pour ados, au mépris de la presse rock dite sérieuse, peu encline à séparer le bon grain de l’ivraie au sein de la génération MTV. Le nu metal ? Un truc pour gamins et skaters, répondent en chœur les chiens de garde du bon goût rock’n’roll. Voilà qui ressemble fort à une faute professionnelle, osons le dire, voire à un contresens sur l’esprit même du rock, une musique historiquement et ontologiquement dédiée à l’adolescence. Surtout, ce nouveau metal va produire en l’espace de trois années pas moins de cinq albums primordiaux superbement ignorés par une critique qui préfère s’extasier sur de la pop électronique islandaise – tellement plus chic : Adrenaline de Deftones en 1995, Life Is Peachy de Korn en 1996, S.C.I.E.N.C.E de Incubus et Three Dollar Bill, Y’all $ de Limp Bizkit en 1997, enfin l’album éponyme de System Of A Down en 1998. De quoi dépoussiérer la maison metal et botter le cul de papa Slayer et maman Pantera…
Quoi qu’en disent ses contempteurs, il émerge alors bel et bien une nouvelle scène metal rafraîchissante, avec des points de convergence musicaux – guitares sept cordes et ampli Mesa/Boogie pour accentuer les graves, couplets calmes et refrains rageurs pour la structure des chansons, influence du hip hop pour le style – mais aussi amicaux, puisque les groupes se connaissent et s’apprécient. Dans ce paysage commun, chacun va bien sûr emprunter une voie singulière, du metal alternatif voire industriel de Korn, jusqu’au funk-metal des débuts d’Incubus, en passant par le rapcore de Limp Bizkit. Il n’empêche, le troisième millénaire sera néo-metal ou ne sera pas, semble-t-il, puisque l’an 2000 voit le mouvement triompher un peu partout. Cette année-là, Limp Bizkit vend aux states un million d’exemplaires en une semaine de son single issu de la B.O. de Mission : Impossible 2 et même les laborieux Crazy Town écoulent leurs disques comme des merguez un soir de match à Bollaert ! un signe qui ne trompe pas : quand tout va aussi bien, c’est que ça sent le sapin, demandez donc à Michael Jackson comment il a vécu son après-Dangerous. Du coup, Korn lâche prise après la sortie du fantastique Issues et ne livre désormais que des productions en demi-teinte, Chino Moreno n’en finit plus de grossir, tandis que les albums de Limp Bizkit rendraient presque sympathiques ceux de Linkin Park (on a dit presque). Au final, seuls sont parvenus à évoluer Incubus et System Of A Down. Les premiers grâce au jeu de guitare élégant et aux compositions brillantes de Mike Einziger, les seconds grâce à une série d’albums qui font mouche.
En effet, difficile de trouver ne serait-ce qu’un faux pas dans la discographie de ces quatre Américains d’origine arménienne, qui ont tout de suite marqué les esprits avec l’épatant Sugar, tiré de leur excellent premier opus. Suivront l’album de la consécration, Toxicity, et un assemblage de chutes plutôt réussi intitulé avec dérision Steal This Album !. Attendu au tournant, SOAD enchaîne trois ans plus tard avec la petite (36 minutes) bombe Mezmerize, sans doute leur meilleur album. Premier volet d’un double, Mezmerize consacre d’abord l’emprise sur le groupe de Daron Malakian, qui joue de la gratte, mais aussi les parties de basse en studio, compose toute la musique, s’incruste fortement dans l’écriture des textes, produit le disque et pousse parfois la chansonnette au côté ou à la place de Serj Tankian. Il s’en fallut de peu pour que le Daron se mette en tête de réaliser la pochette de l’album, qu’il confia en définitive à son daron à lui, Vartan Malakian, chorégraphe, peintre et plasticien d’origine irakienne. L’ensemble gagne en cohérence et en fluidité, même si certains regretteront la mise au placard de Tankian sur certains morceaux, tant il est vrai que ce dernier chante incomparablement mieux que le guitariste. Toujours est-il que Daron-tout-puissant est parvenu à son but, à savoir une création originale et pénétrante. Une œuvre d’art, comme papa.
Ce qui fait la griffe de System Of A Down en général, et de Mezmerize en particulier, c’est cette capacité à saisir l’auditeur dès la première écoute, là où d’autres nécessitent trois, quatre, dix, un million de passages. Une force rare et précieuse. Il y a quelque chose d’immédiatement accessible dans cet album, tout semble couler de source et faire sens musicalement. Dès B.Y.O.B, diatribe anti-guerre, une énergie chaleureuse se met en branle, pour ne plus jamais nous quitter. Chaque riff s’enchaîne avec le suivant dans une espèce d’évidence, chaque parole se fond dans la musique avec un plaisir délectable, comme sur ce Revenga monstrueux de dynamisme. Après quoi l’étrange Cigaro, qui moque les prétentions phalliques de certains fumeurs de cigare, renoue avec la tradition des chansons bancales de SOAD, ces chansons toujours sur le point de flancher ou de partir en sucette mais qui réussissent un numéro d’équilibrisme talentueux. Point culminant du disque, Radio/Video nous sort un instant du metal pur pour s’aventurer le long des plateaux d’Arménie, sur un air de gigue tzigane porté par des chœurs à la fois mélancoliques et joyeux, mélange propre à la musique gitane. Que dire également de ce Violent Pornography délirant dont les paroles plairaient certainement à Michel Boyon, le président du CSA ? En substance, trop d’images porno à la télévision, éloignez vos enfants du poste… Autre morceau de bravoure, Question ! mêle admirablement guitare acoustique et explosion électrique, à la manière du génial Chop Suey ! quelques années plus tôt. Notons enfin la paire de chansons anti-L.A. : un Old School Hollywood un peu kitsch, ce qui n’est pas pour déplaire, et surtout la ballade qui tue, ce Lost In Hollywood prêt à emporter l’adhésion des plus rétifs, du passionné de Sean Lennon à la fan de Rhianna.
En résumé, voici 10 bonnes raisons d’adorer System Of A Down, ici et maintenant.
1/ parce que Daron Malakian est actuellement le maître incontesté du riff de metal qui tue et qu’il n’a pas besoin d’un DJ à deux balles ou de son rack d’effets pour le prouver.
2/ parce que le groupe a repris le flambeau de l’engagement politique – avec sa noblesse et ses travers – que Rage Against The Machine avait abandonné avant de monter dans le yacht de luxe de Chris Cornell, j’ai nommé Audioslave.
3/ parce qu’ils sont Arméniens d’origine et qu’en France, la communauté arménienne c’est 350 000 personnes, soit le deuxième plus grand foyer de la diaspora après les Etats-Unis.
4/ parce que toutes les filles les adorent alors que le chanteur n’est pas un beau gosse comme Brandon Boyd, ce qui permet enfin d’écouter du metal avec sa copine sans casque sur les oreilles. Et de virer par la même occasion les CD de Mika, Beck ou Les Têtes Raides de madame.
5/ parce que grâce à eux, Le Mouv’ a enfin passé du rock en France.
6/ parce que ce sont les seuls à avoir survécu au naufrage de la vague nu-metal (avec, dans une moindre mesure, Incubus).
7/ parce qu’ils n’hésitent pas à pratiquer le contre-pied mélodique ou rythmique, jusqu’à introduire des influences de la musique traditionnelle arménienne entre deux riffs destructeurs.
8/ parce que tout le monde a cru que la reprise rock du thème de Legend Of Zelda était d’eux, alors que c’est pas vrai.
9/ parce que Serj Tankian qui chante, c’est quand même autre chose que Fred Durst.
10/ parce que le groupe a sans doute déjà donné le meilleur de lui-même et que l’avenir s’annonce terne. Petites prédictions : Serj Tankian entame une carrière solo et met 5 ans pour sortir un disque qui s’intitule Armenian Genocide, un flop retentissant hors de la communauté. De son côté, Daron Malakian monte un supergroupe avec Charles Aznavour, une expérience qui lui rapporte assez d’argent pour ensuite fonder son propre label de metal : Please Don’t Steal This Album, It Cost Me A Lot.
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