Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Psychedd le 6 mars 2006
paru en 1975 (Virgin)
En 1975, Mike Oldfield est surtout connu pour la bande son de L’Exorciste, son célèbre Tubular Bells, base d’une recherche sonore, premier volet d’une trilogie. La trilogie des albums où il n’y a qu’une seule longue suite par face. Tubular Bells en premier donc, suivi de Hergest Ridge, quelque peu oublié depuis et bien sûr, Ommadawn. Et là, on n’ira pas par quatre chemins ce dernier opus est tout simplement LE disque à avoir. Bien plus que le premier essai, pourtant culte, d’Oldfield.
Car cet Ommadawn a été conçu et produit avec un soin tout particulier et marque le début de la réclusion volontaire de son créateur. En effet, Mike Oldfield est un peu perturbé et a été secoué par le succès de son premier disque. Il s’est enfermé peu à peu dans une maison à la campagne et ne supporte plus vraiment d’avoir des contacts avec l’extérieur. Pour passer le temps, il fait de la musique et développe ses talents. Pour ce disque, Oldfield tripote guitares, basses, harpe, mandoline, piano, orgue, banjo et tout plein d’autres instruments rigolos et folkloriques. Il le fait jusqu’à l’obsession, presque neuf mois de préparation lui sont nécessaires pour maîtriser à la perfection chaque instrument et les faire sonner le mieux possible.
Véritable thérapie musicale, l’album permet à notre jeune agoraphobe en herbe d’évacuer ses tensions et de se libérer de sa frayeur des autres. Et heureusement qu’il le fait, car enregistrer un monstre pareil tout seul, ça n’aurait certainement pas été possible. Il fait venir dans ses propres studios un groupe de percussions africaines, Jabula, les écoute une journée entière avant de se dire que ce serait ’achement bien de changer de la sempiternelle batterie rock’n’roll. Il décide également de bosser avec une chorale aux accents folkloriques et choisi de la pointure dans le rôle de musicien additionnel : Pierre Moerlen, qui officiait avec Gong ainsi que Paddy Moloney à la cornemuse, patron du groupe The Chieftains (si ça ne vous dit rien, regardez Barry Lyndon de Kubrick et écoutez bien. Les chansons traditionnelles sont jouées par ce groupe...). On vous le dit, ça donne un résultat tout à fait surprenant !
Il paraît que toute la première partie du disque est basée sur un air traditionnel anglais. Ce qui n’étonne pas beaucoup. Ommadawn a sans aucun doute un aspect folklorique prédominant. Le choix des instruments et de la mélodie y sont pour quelque chose. Mais rien ne sonne ancien ou suranné, au contraire. Oldfield arrive à faire du nouveau avec du vieux, certains diront qu’il créé la musique new age ou ambient. Mais c’est bien au-delà de tout style, Oldfield nous balance juste en pleine figure ses émotions et on accroche... ou pas.
Car oui, il faut être capable d’écouter un morceau de presque 20 minutes sans s’ennuyer ou sans se perdre. À aucun moment, Oldfield ne laisse s’installer la monotonie, ça change de rythme, ça rebondit, ça vit et il faut suivre. Ommadawn est comme un puzzle où viennent s’imbriquer les éléments, minute après minute. Tout d’abord une guitare acoustique lointaine, noyée dans une nappe d’orgue. Comme un brouillard qui tombe sur la campagne. L’album est inspiré par la vie d’Oldfield, par son environnement et par l’ambiance générale dans laquelle il est plongé. Et si tout semble calme en apparence, il y a quelque chose qui guette, tapi sous une couche de douceur, vague menace symbolisée par une guitare électrique qui vient trancher dans le vif. Chaque élément est révélateur d’un autre. Certains moments extrêmement forts sont là pour le prouver. Ainsi le rythme tribal, profondément attaché à la terre, des percussions africaines est rehaussé d’un chœur qui semble venu de nulle part, qui s’élève et vous prend aux tripes tandis que peu à peu des couches d’instruments se superposent. Un gros millefeuille musical qui n’écœure pas en somme.
Enfantine, drôle et tendre, la première partie peut aussi être grave, profonde et receler des messages tout à fait surprenants : selon Oldfield les percussions que l’on entend à la fin du premier morceau symbolisent la naissance d’un enfant.
Tout un programme donc. Serait-ce un symbole pour la « renaissance » à venir du petit Mike ? Arrachant de ses propres entrailles ce morceau de bravoure, qu’il a créé avec tant de cœur et d’amour pour ensuite le bercer doucement avec la deuxième partie.
Moins tribale, plus folklorique, elle peut néanmoins provoquer une attaque cardiaque lors des premières mesures. Ça commence fort, guitares acérées overdubées à l’infini (marque de fabrique d’Oldfield qui avait mêlé 90 guitares en même temps sur Hergest Ridge). Le plus beau, c’est que ça sonne bien et qu’on est loin de la bouillie sonore à laquelle on s’attend quand on sait qu’il y a beaucoup de guitares empilées piste sur piste... Prouesse technique expliquée par le musicien lui-même : « [...] Au début de Ommadawn part II, il y a exactement 1984 guitares ! J’étais fasciné par cette idée, comment plusieurs centaines de guitares pouvaient sonner ensemble, quel son cela produirait-il ? Le résultat est saisissant, un son presque irréel avec des harmoniques superbes. J’ai eu l’idée aussi saugrenue d’y ajouter un accordéon français. Si tu écoutes bien, voilà ce que tu peux entendre, près de deux mille guitares et un accordéon noyé au milieu ! » [1]. Perso, je croyais que c’était de l’orgue...
Avec la suite on ne peut pas se tromper, c’est bien de la cornemuse que l’on entend. Réminiscence des origines irlandaises de maman Oldfield certainement. Ça détend en tout cas, la première partie était un exutoire, la seconde partie est un retour au calme. Et elle mérite déjà plus la mention « new age ». Plus évocatrice d’un crépuscule, il y a toujours cette mélancolie que l’on retrouve jusque sur la pochette du disque. Nostalgie de quelque chose qu’on a perdu. En poussant loin l’appropriation des sentiments, on aurait presque envie d’aller se mettre au coin du feu en écoutant quelqu’un vous raconter des légendes d’un autre temps (tout en sirotant un Irish Coffee). Oui, j’aime les clichés...
Tout ça avant que les guitares ne reviennent à l’attaque. Et là, on aurait plus envie d’imiter une troupe de danseurs irlandais (et tant pis pour le ridicule), les percus refaisant également leur apparition pour notre plus grand bonheur. C’est toujours incisif : Oldfield utilise les cordes de ses guitares comme celles des violons, c’est ce qui donne ce son si caractéristique.
Dernier petit morceau, parfois mis à part, parfois intégré dans la partie II, On Horseback est tellement mignon qu’on en sourit bêtement. Des paroles co-écrites avec un photographe et un premier essai pour Oldfield dans la catégorie « chanson courte avec paroles qui veulent dire quelque chose ». On la chanterait bien comme berceuse à tout marmot qui passe dans le coin. De quoi achever un disque sur une touche purement positive et innocente. Ça met du baume au cœur.
La preuve : le compositeur lui-même dit qu’Ommadawn est le disque dont il est le plus fier, celui qui est le plus en phase avec lui-même.
Mais cela n’empêchera pas un silence pendant trois ans, une thérapie poussée, puis un retour en 1978, poing levé contre les punks qui ont tué la musique (selon lui). Tout ça avant les compilations Tubular Bells incalculables, des tubes comme Moonlight Shadow qui passent à la radio...
C’était bien la peine de pondre un tel chef-d’œuvre pour que tout le monde l’oublie après...
[1] Source : Magazine PlayRecord, Mike Oldfield le voyageur, p.32, 1996
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |