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par Emmanuel Chirache le 26 avril 2011
Paru en avril 1978 (Decca)
Le snobisme, un peu comme le bon sens, est la chose du monde la mieux partagée. En musique notamment, le cercle vicieux fonctionne à plein, chaque tribu snobant une autre en fonction de ce qu’elle croit pouvoir appeler le bon goût, ou de ce qu’il lui plaît de croire plus légitime, plus sérieux, plus intelligent, plus beau. Avec les Rockets, ce sont à ces préjugés souvent débiles, et balayés dès qu’on s’attarde un peu sur un genre musical et sa raison d’être, que nous nous attaquons. En effet, il est de bon ton aujourd’hui chez les rockers (il en va différemment ailleurs) de considérer le disco rock comme un courant ringard et sans intérêt. Or, non seulement ce courant a inspiré une partie de la musique actuelle, en particulier électronique et pop, mais en plus il a recouvert des réalités aussi dissemblables entre elles que peuvent l’être par exemple le heavy metal et le blues-rock. Ainsi les Rockets font-ils partie d’un genre bien précis, à la croisée des chemins entre "space rock" et "space disco", matrice de la French Touch des années 90 et 2000.
Les Rockets sont nés de la rencontre entre la vision d’un producteur fou, Claude Lemoine (le paternel de Jordy, dur dur d’être un papa !), et les aspirations de musiciens prêts à tout pour remporter la timbale, avec pour toile de fond le contexte des années 70. A l’époque, toute une génération découvre émerveillée le monde de la science-fiction, romans, films et bandes dessinées diffusant en masse une culture autrefois marginale. Ce sont les années de la revue Metal Hurlant animée par Mœbius, Jodorowsky ou Druillet, de la collection Ailleurs et Demain chez Robert Laffont, sans oublier Star Wars cela va de soi. Bref, en 1977 tout le monde se touche sur les robots, les lasers et les extraterrestres. Difficile pour les musiciens de ne pas être emportés eux aussi dans ce tourbillon intergalactique, favorisé par l’émergence d’un nouvel instrument : le synthétiseur, qui permet de produire des sons étranges et futuristes capables de nourrir l’imaginaire fantastique de ces années-là. D’un côté, la technologie ouvrira donc des perspectives inouïes et nourrira les fantasmes des mélomanes d’une nouvelle ère, de l’autre, elle marquera au fer rouge la musique de l’époque et la datera irrémédiablement.
Au final, beaucoup d’idées reçues tout de même. Car la technologie, et les modes, ont toujours daté la production musicale populaire, du blues au trip-hop en passant par le rock’n’roll, la pop psychédélique ou le funk. Le disco rock a pâti d’une multitude d’images néfastes et péjoratives qu’on ne saurait analyser ici, tout en revenant régulièrement sur le devant de la scène. En France, on s’emparera vite et avec brio des synthétiseurs, et de nombreux groupes français font partie du panthéon de la musique électronique à tendance S-F, que ce soit Space et leur Magic Fly, les Rockets, The Droids, les Visitors, et naturellement les Daft Punk, derniers héritiers d’un mouvement historique. En écoutant l’album dont nous allons vous parler, On The Road Again, on peut certes y voir un objet daté, ancré dans son époque, mais on peut aussi y discerner les prémisses naïfs et touchants de notre modernité (on se réfère ici aux versions remasterisées du coffret Silver Years paru en 2007). Beaucoup de titres n’ont pas pris de rides, ou si peu, et seule la batterie sonne un peu anachronique.
Mais si le groupe représente le courant du "space disco rock" dans ce qu’il a de mieux à offrir musicalement, il est aussi l’un de ceux qui a poussé le plus loin l’imagerie et la symbolique. Chaque membre sera ainsi prié par le producteur Claude Lemoine de se raser le crâne (un traumatisme pour des rockers seventies) et de se peindre le visage en gris lors des apparitions en public. Les musiciens arborent aussi des costumes du même acabit, tandis que les frères Maratrat Alain et Guy se font réaliser des guitares sur mesure par les luthiers Jacobacci de Paris. La première est en forme d’étoile, la seconde représente Inti, le dieu inca du soleil. Sur scène, les musiciens y croient et jouent le jeu de façon presque inquiétante, comme en témoignent les extraits télévisés filmés par la Rai et visibles sur Youtube. Il faut voir ces ancêtres du clip (totalement déjantés !) pour apprécier à sa juste valeur l’incroyable folie du groupe.
Après divers tâtonnements et expérimentations, les Rockets ont fini par trouver leur formule à partir de 1978. A cette date, ils ont depuis longtemps abandonné le rock pur et dur de leurs débuts et troqué leur look hippie pour la panoplie d’extraterrestres mutants robots. Installés dans le confortable studio pour musique classique de la maison de disques Decca à Paris, ils posent leurs valises et peaufinent le son de ce deuxième opus durant de longs jours. Aux synthés, Alain Maratrat et Fabrice Quagliotti développent des nappes sonores planantes aux mélodies imparables, qui vont reléguer le chant et la guitare aux rôles de simples accompagnateurs. Armés de minimoogs et de synthés Korg ou ARP 2600, les deux claviéristes se lancent ici dans d’incroyables symphonies futuristes (cf. la Venus Rapsody ou bien Astrolights, qui ressemble un peu à du Zappa), entre odyssée de l’espace et générique de dessin animé. Et c’est un vrai compliment : je tiens toute la musique originale des Cités d’or pour un pur chef-d’œuvre. Bref, force est de reconnaître que les Rockets ont composé des titres hallucinants, à la fois accrocheurs et longs à apprivoiser, moins faits pour danser finalement que pour planer à dix mille comme le montre bien le démentiel Cosmic Race. Une fois dépassé l’aspect kitsch, on peut en effet découvrir de grandes choses tout au long de ces morceaux instrumentaux et se laisser bercer par la houle du cosmos.
Le groupe n’a pas non plus lésiné sur les moyens lors de l’enregistrement. Quarante violons apporteront par exemple leur contribution au disque, contrepoint plus classique à l’ultra contemporanéité des synthétiseurs dernier cri. Fasciné par le procédé du vocoder qu’il découvre grâce à l’artiste Zeus B. Held (futur producteur de Nina Hagen), Claude Lemoine s’en procure un pour 150 000 francs. Dès lors, les Rockets ne cesseront d’utiliser l’instrument, souvent avec réussite comme pour le morceau On The Road Again, sur lequel Zeus chante. Evoquons d’ailleurs cette reprise sidérante et sidérale de la chanson des Canned Heat, merveille absolue. Fans des Doors, du Floyd ou de Genesis, les membres des Rockets ont toujours apprécié le mélange de rock progressif et de blues hypnotique, si bien que c’est logiquement qu’ils choisissent de s’emparer de ce classique blues-rock pour le remanier à leur sauce.
Leur adaptation du morceau est un modèle du genre, lente progression qui s’ouvre sur la basse funky de Gérard L’Her et le chant au vocoder de Zeus. Peu à peu, les synthés se font plus pressants, alors qu’une section de cordes et des bruits de laser viennent ponctuer le rythme de la chanson. Au bout de 2’35, le chanteur Christian Le Bartz entre enfin dans la danse, sans artifice technologique, premier climax génial. Derrière lui, c’est un véritable orchestre symphonique qui envoie la sauce. Le break réglementaire installe alors un long répit, durant lequel on peut entendre au vocoder le chanteur énoncer "sur la route toujours", traduction littérale des paroles dont on ne se lassera jamais. Le roulis des synthés nous caresse doucement, à peine perturbé par de nouveaux tirs de lasers, avant que l’orchestre ne réapparaisse pour un second climax qui clôture en beauté la chanson. Rien à jeter. Idem avec le serein Space Rock qui suit et complète la première face du vinyle avec l’aide d’Electro Voice. Beaucoup plus court, ce dernier titre est une espèce de complainte mélancolique de l’espace, tout aussi ahurissante que le reste de l’album.
Moins magistrale sans doute, la face B demeure malgré tout un grand moment de space rock, lancée par un Astrolights zappaïen, puis poursuivie par une curiosité : Sci Fi Boogie, sorte de pastiche maladroit du Led Zeppelin période Physical Graffiti avec l’écho sur la voix, les guitares un peu ringardes et les synthés en appui, quelque part entre Trampled Under Foot et Custard Pie. Puis les excellents Cosmic Race et Venus Rapsody promènent leur airs d’opéras galactiques kitsch sur huit minutes, juste assez pour éviter la monotonie.
Seul disque des Rockets à avoir connu une sortie aux Etats-Unis, On The Road Again n’a pas rencontré là-bas le succès escompté. Le groupe a surtout peiné à s’y faire un nom, puisqu’un groupe appelé Rockets existait déjà depuis plusieurs années. Les deux premiers morceaux de l’album sont tout de même mixés par le grand Tom Moulton, inventeur du remix d’après son hagiographie, et ils obtiendront un certain succès en Europe, surtout en Italie où le groupe peut se vanter d’être des superstars. Aujourd’hui, ce disque est considéré à juste titre comme une influence majeure pour beaucoup d’artistes electro (j’en veux pour preuve cette autre reprise de On The Road Again réalisée par Telex en 2006) et il se vend très cher sur certains sites, d’autant plus que le vinyle n’a jamais été réédité et qu’aucun CD n’est paru hormis le coffret Silver Years dont on salue l’admirable travail de remasterisation. Au final, la dimension outrancière des Rockets, ainsi que leur "mauvais goût" au regard des critères actuels de la musique, les rendent plus attachants que repoussants, dans la mesure où les préoccupations mélodiques sont permanentes au sein des chansons. Au lieu de se reposer sur la technologie et de paresser au soleil comme tant d’autres, le groupe a essayé de combiner cette technologie avec son amour pour le rock et le blues, tout comme il a combiné les synthétiseurs et les instruments traditionnels comme les violons. Et puis, il y a ces tirs de lasers un peu partout... haaa les tirs de lasers, il faut avoir vu Star Wars enfant pour comprendre !
L’une des rares vidéos de bonne qualité sur le net :
Vos commentaires
# Le 1er septembre 2016 à 10:04, par Didi Baldry En réponse à : On The Road Again
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