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mercredi 15 avril 2015
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par Our Kid le 14 mars 2006
paru le 8 mars 1999 (Columbia / Sony)
Kula Shaker aura vécu. Oh, pas longtemps, guère plus de quatre années, le temps qu’il faut habituellement pour trouver un son et enregistrer un disque. Mais c’est le temps qui a suffi au groupe pour devenir culte en l’espace de deux albums et huits singles. Pour beaucoup, Kula Shaker équivaut simplement à la personnalité de Crispian Mills, leader du quatuor et l’emblème du groupe, mais ceci se révèle être un raccourci trop rapide : les quatre ont toujours affiché une parfaite entente entre eux et aucune amertume ou frustration n’a jamais été exposée publiquement. Du coup, qu’est-ce qui fait de Kula Shaker un groupe culte, si ce n’est dû au sabordage de la formation par un leader qui se serait révélé trop caractériel ? Réponse simple : sa musique !
Pour ceux qui pensaient qu’en 1999 tout avait déjà été exploré, fouillé, expérimenté, recyclé, plagié, Kula Shaker se voulait le parfait contre-exemple. En cette période post brit-pop chez nos voisins britanniques, le groupe a le bon goût de remettre à l’ordre du jour le rock psychédélique en lui insufflant un nouveau souffle, dans la continuité des Beatles, de Pink Floyd, du Grateful Dead, voire d’Hendrix et tant d’autres... L’autre aspect qui a forgé son statut culte réside dans sa capacité à marier une musique d’inspiration The Who/The Yardbirds avec celle d’inspiration orientale. En gros, bien avant que les productions cinématographiques de Bollywood ne fassent de cette contrée une destination à la mode en Occident, Kula Shaker avait déjà saisi l’intérêt de se pencher sur la culture indienne, dans la tradition des défricheurs que furent Ravi Shankar, George Harrison, Dave Mason voire David Crosby. Cette influence, particulièrement notable chez Crispian Mills, dépassait le simple cadre de la musique et était à rechercher du côté de l’esprit hindi et sufi. Sur le premier opus du groupe, K, on distinguait ainsi des tablas, sarungi, sitars, sarods pas sans rappeler le père Shankar. À ces sonorités exotiques étaient ajoutées des guitares, des orgues et des mellotrons que n’auraient pas reniés un célèbre groupe de Cambridge... Dernier paradoxe, également fondement du culte Kula Shaker : le groupe était en tête des charts dans seulement deux pays au monde, l’Angleterre et le Japon !
Peasants, Pigs & Astronauts tombe à point nommé en février 1999, entre trois singles de Boyzone et de Shania Twain - décès de la brit pop oblige - et montre ainsi que la révélation de l’année 1996 dispose d’un talent fou, craché à la figure du royaume le long de ses 54 minutes. Avec le recul, ce sera le chant du cygne de Kula Shaker mais aussi le plus abouti. D’ailleurs, le titre de l’album résume bien le style du groupe, à savoir associer des éléments a priori incompatibles entre eux, et pourtant, la mixture semble tenir le coup. Le côté surréaliste de la pochette (un astronaute qui sort d’une forêt bien de chez nous sur un escalator) nous renseigne quelque peu sur la bande des quatre : volonté de s’élever spirituellement, de dénoncer les abus de la société matérialiste, etc...
Le disque s’ouvre sur Great Hosannah, six minutes d’orgie sonore où l’on passe d’une intro analogique à la Pink Floyd (décidemment !) à un quasi-silence, puis à un déluge de six cordes, de bruitages en tous genres, sarungi, voix radiophoniques qui nous sautent littéralement à la figure. On se figure au sein de l’église du groupe dans laquelle retentirait l’orgue de Darlington. Mills, serait le grand ordonnateur et nous livrerait son prêche au son des chœurs, des percussions et des guitares. Le ton est donné mais le meilleur reste à venir avec Mystical Machine Gun, certainement le morceau le plus abouti du groupe, une introduction indienne volontairement calme, voire lancinante mais qui captive l’auditeur sur le champ. La montée en puissance du morceau est saisissante, sous l’effet des wha-wha et du refrain qui est éructé comme la foudre frappant le sol. On a le droit à une ambiance quelque peu « fin de monde » et les claviers font merveille, une réussite éclatante qui se termine de nouveau dans le calme avec quelques notes de cornemuse, comme pour dédramatiser l’ambiance...
Pas de répit. S.O.S. a déjà explosé avec son signal « It’s two o’clock ». Un morceau agressif avec un rythme soutenu, des riffs de guitare tous plus tranchants les uns que les autres, des nappes de mellotron, les cris ravageurs de Mills... on est toujours un peu dans une ambiance catastrophiste mais cette fois, c’est la société qui est visée :
This is the age of decay and hypocrisy/Sometimes I feel like the world isn’t ready for me
À la suite de cette dénonciation matérialiste, place au spirituel avec Radhe Radhe, morceau dans l’esprit indien, sorte de mantra, titre lancinant, répétitif mais rythmé sur lequel on retrouve une chanteuse indienne mais aussi des trompettes, des guitares et un tintement de cloches... Proprement envoûtant. Par comparaison, le morceau suivant incarne la sobriété absolue : Crispian Mills seul avec sa guitare et sa voix, charmante et mélancolique sur I’m Still Here. Encartade acoustique détendue de moins de deux minutes, comme pour signifier le passage d’une face du disque à l’autre... Changement d’ambiance, en effet, avec Shower Your Love qui rompt avec les morceaux précédents. Exit les ambiances Armaggedon, vive le soleil et l’amour ! Le tempo s’est stabilisé, les violons sont de sortie et on respire les fleurs.
Cet état de rêve ne dure pas. Le soleil se couvre et le tonnerre résonne avec 108 Battles (Of The Mind). Un harmonica menaçant et tout s’accélère. Sur un rythme endiablé tinté d’Hammond et de guitares, le groupe s’éclate sur un bon vieux rock dont les quelques effets sonores ont été enregistrés sur la péniche de David Gilmour. Restons dans les années 1960 avec Sound Of Drums, mené pied au plancher par l’orgue Hammond et des chœurs aériens, la voix de Mills est superbe et sa guitare sort des sons magiques. Encore une fois, la frénésie ne dure pas et, comme pour nous rappeler que la musique a aussi une dimension spirituelle, Kula Shaker nous sort Timeworm aux influences indianisantes toutefois traitées avec des sonorités plus électroniques. Son côté lancinant ne laisse cependant pas le morceau dans la monotonie du fait de la richesse apportée par la production de Bob Ezrin et de Crispian Mills. S’en suit une sorte de reprise de Great Hosannah à la sauce blues, qui devient Last Farewell, une excellente idée qui s’appuie sur des chœurs sonnant presque gospel. Encore une fois, la preuve que les Londoniens sont doués et pas sectaires pour un sou.
D’ailleurs, ils remettent de la viande dans le broyeur avec Golden Avatar, une composition qui pourrait très bien avoir été commencée par The Who et terminée par Jimi Hendrix, même si la voix de Mills semble toutefois dominer l’ensemble du morceau, en faisant une autre réussite, une constante sur l’album, quatre minutes de pure énergie. Évidemment, on s’approche de la fin du disque mais l’esprit Kula Shaker est plus fort que tout le reste, supérieur aux torrents d’électricité. Le calme se révèle avoir du charme, se veut détente, bonheur. Namami Nanda - Nandana constitue une clôture idéale pour Peasants, Pigs & Astronauts, un morceau écrit et chanté exclusivement en sanskrit, ce qui nous renvoie au folklore indien avec ses flûtes de bambou. La répétitivité du morceau semble signifier la fin, un dernier adieu, renforçant le côté « dernier témoignage du groupe » de l’album. On s’imagine volontiers ce morceau entonné sur les berges du Gange par de jeunes indiens. Un morceau d’une pureté inouïe qui véhicule le bien-être chez l’auditeur. La fin, mais pas tout à fait car une piste cachée, intitulée Stotra se dévoile au bout de quatre minutes. L’esprit indien toujours avec la voix d’un vieil homme appuyé par la flûte de bambou, sorte de prière d’adieu, forte à propos. Une voix qui s’imprègne au plus profond et qui renforce le sentiment religieux de la fin de l’album. L’esprit Kula Shaker prend place en nous et n’en ressort plus, malgré la séparation de ses membres quelques mois plus tard. Encore une fois, la musique défie le temps.
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