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Pretzel Logic

Pretzel Logic

Steely Dan

par Sylvain Golvet le 30 mai 2011

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Paru en mai 1974 (ABC).

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Steely Dan, ce duo de jazz-rock formé par Donald Fagen et Walter Becker, c’était, jusqu’à il y peu, au-dessus de mes forces. Imaginez le pire exemple de groupe américain œuvrant dans le jazz-rock, férus de musiciens de sessions, et jouant, il faut bien l’avouer, une musique de vieux piliers de club de Miami. À la moindre note d’Aja, voilà donc l’image qui me venait immédiatement en tête.

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Pardon monsieur.
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Steely Dan
Pas des gueules de porte-bonheur.

Il faut dire que la réalité n’est pas beaucoup plus reluisante, mention spéciale à Walter Becker à gauche. Je sais c’est complètement malhonnête, mais il faut voir aussi quel genre de tribute band se tape le groupe, c’est magique. Bref la cause était entendue, Steely Dan, très peu pour moi ma bonne-dame ! Et puis sortez-moi de ce putain d’ascenseur !

C’était sans compter l’abnégation d’une personne proche, écoutant régulièrement et inlassablement leurs disques en ma présence, provoquant mon inévitable crispation. Progressivement, l’habitude puis la curiosité se sont imposée. La force du songwriting du duo a fait son œuvre, jusqu’au jour où j’ai posé de moi-même un disque de Steely Dan dans ma platine CD. Car en étant tout à fait honnête, il est absurde d’abhorrer le Dan alors qu’on aime le Sky Blue Sky de Wilco, pour citer l’un de ses descendants directs (cf. le son de guitare d’Any Major Dude). Ou même vénérer le Bowie de Hunky Dory et Ziggy Stardust quand on en retrouve quelques aspects dans ce Pretzel Logic (Through With Buzz notamment). Mieux, comment Antoine pourrait-il se confondre en éloges continuels pour Ween sans ce duo originel ? Plus étonnant même, il suffit de jeter une oreille à ce titre des Eagles of Death Metal pour en trouver l’évidente source d’inspiration.

Le problème de Steely Dan, c’est d’être l’antithèse du punk et du hard. Là où ces deux genres ont imprégné la production musicale par plein d’aspects, Steely Dan s’en éloigne, probablement consciemment d’ailleurs. Ici donc, pas de puissance inconsidérée, pas de prises directes et/ou sans répétitions, pas de mix fondant les instruments les uns dans les autres. Et surtout pas de prestations scéniques puisque Steely Dan arrêtera (provisoirement) les concerts suite à la tournée suivant la sortie de l’album, par lassitude et pour mettre la priorité sur le studio qu’ils ont toujours préférés.

Précisions maladives du son, multiples musiciens de sessions, soli rejoués plusieurs dizaines de fois jusqu’à ce qu’il soient parfaits et morceaux concis, écrits avec précision : voilà ce dont on a affaire ici. On est donc bien loin des élucubrations plus extrêmes de l’époque (Deep Purple, Led Zeppelin,…) et même si la pop sophistiquée marche aussi via ELO, Pink Floyd ou les Wings de McCartney, Steely Dan peut-être considéré comme un groupe à part. Ce perfectionnisme est devenu presque légendaire, partagé par leur producteur Gary Katz et l’ingénieur du son Roger Nichols, inventeur pour sa part d’une des premières boîte à rythme. Le groupe peut même se vanter d’avoir inventé l’accord µ majeur si caractéristique de leur son. Cela s’explique et s’exprime aussi dans cette célébration du jazz que le duo considère avec révérence. Sur ce Pretzel Logic, East St. Louis Toodle-Oo est donc leur version du morceau de Duke Ellington and Bubber Miley, tandis que Parker’s Band est un hommage au Bird. L’album débute même sur un accord de piano directement emprunté à Horace Silver et son Song For My Father. Sauf qu’assurément, Steely Dan s’est décidé à jouer du rock. Du rock vicié de l’intérieur par l’emploi de trucs de composition du jazz (syncopes, shuffles, harmonies et accords « tordus »…) . Mais du rock tout de même, par entrisme dans la musique populaire américaine.

Car ce son très lisse, où rien de ne dépasse ne saurait cacher une acidité dans le propos. Le duo Fagen/Becker est assez cruel avec son époque et ne manque pas de railler les tares de leur époque. Sarcastiques et rigolards, les textes s’attachent à certains excès comportementaux chers à l’Amérique. Les adeptes de sectes de Barrytown, les mendiants de Night by Night et Charlie Freak, le politicien en quête de gloire de Pretzel Logic, ce sont autant de losers et de paumés que l’on va croiser sur des musiques faussement enjouées, comme si eux-mêmes ne se rendaient pas compte de leur malheur. Pour un Français non bilingue comme moi, il n’est pas toujours facile de capter l’humour acerbe du regard que les auteurs posent sur leurs personnages surtout quand le tout est enveloppé d’un sérieux sans failles. Pourtant il ne faut pas s’y tromper, comme l’a dit Walter Becker : « Every time someone’s in the next room when we’re writing a song they say, ‘Don’t tell me you’re fucking writing songs in there, you’re not working, ’cause you’re fucking screaming and laughing in there.’ »

Quoi qu’il en soit, Pretzel Logic, un des grands succès commerciaux du groupe via le single Rikki Don’t Lose That Number, est une porte d’entrée convenable. Pas forcément le meilleur, mais de très bonne tenu, c’est peut-être l’un des plus simple, composé de 11 morceaux plutôt courts, parcourant autant de styles à leurs manières, du rythme reggae de Night by Night aux dylaniennes Any Major Dude et Barrytown, de l’exercice blues Pretzel Logic à la country de With A Gun. Une sorte de pot-pourri musical presque parodique, mais exécuté avec le plus grand sérieux. Pas la peine de fumer la pipe et de contempler les paroles avec son monocle pour trouver son plaisir à l’écoute de Through With Buzz, Charlie Freak ou le petit rythme funk de Monkey In Your Soul grâce à l’écriture finalement très pop du duo.

Jouant sans conteste de l’adult rock, Steely Dan n’est pourtant pas dénué de saveurs. Et puis rien que de se dire que les clients de supermarché US ne savent probablement pas que le nom du groupe qui joue une musique si relaxante à leurs oreilles provient de ce passage du Festin Nu : "Mary is strapping on a rubber penis. ’Steely Dan III from Yokohama,’ she says, caressing the shaft." Oui, le Steely Dan III est un gode. Ces gens sont fous.



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