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par Aurélien Noyer le 17 mai 2010
Paru le 17 décembre 1971 (RCA)
La Fontaine professait que "patience et longueur font plus que force ni que rage". Le sieur David Jones avait sans doute fait sienne cette maxime. Il avait passé la deuxième moitié des sixties à chercher le succès, enchaînant les groupes blues, beat puis pop dans la confidentialité, changeant les noms des groupes au gré des abandons successifs des musiciens qui l’accompagnaient et aucune reconnaissance ne venait récompenser ses efforts. De peur d’être confondu avec Davy Jones des Monkees, il s’était même résigné à changer de nom en David Bowie. Il lui faudra donc attendre 1969 et un peu de chance pour percer. Sa chanson Space Oddity sert fort à propos de générique à la retransmission par la BBC de l’alunissage de Neil Armstrong. On pourrait trouver pire publicité...
D’instinct, David Bowie sait alors que son heure est venu. Il abandonne les oripeaux de hippie qui décoraient l’album d’où était extrait Space Oddity et les troque contre une superbe robe qui ornera la pochette de The Man Who Sold The World. Cette drag-cover fera bien sûr grand bruit (lire l’article qui lui est consacré), mais le song-writing est encore hésitant et l’orientation heavy-rock de l’album n’est pas forcément judicieuse. Néanmoins, cet essai lui a surtout permis de mettre la main sur deux musiciens extraordinaires : Mick "Woody" Woodmansey à la batterie et Mick Ronson à la guitare. Non seulement ce dernier est un excellent guitariste, mais il se révèle également être un arrangeur intelligent, prompt à mettre en forme les idées musicales de Bowie.
Avec de tels musiciens, il sait qu’il ne peut se contenter de chansons écrites à la va-vite. Si tôt The Man Who Sold The World sorti, il s’attelle donc à l’écriture de nouvelles chansons, pressé de profiter des potentialités de ses musiciens et de la notoriété engendrée par le scandale dû à la pochette de l’album. Ainsi un an à peine après les premiers sessions de The Man Who..., il rentre en studio. Avec Rick Wakeman aux claviers et Ken Scott à la production, il s’y attardera plus que pour son album précédent, expédié en un mois. Malgré le nombre réduit de musiciens (avec Trevor Bolder recruté pour tenir la basse, ils sont cinq au total), il veut une production qui rende justice à ses chansons, une variété dans les arrangements, des ambiances suffisamment différentes pour qu’aucun titre ne soit lésé.
Au final, avec Hunky Dory, c’est un grand album de pop qui sort le 17 décembre 1971. Entre les perles pop (Changes, Oh ! You Pretty Things), les titres rock (Andy Warhol, Queen Bitch) et les ballades fantasmagoriques (Quicksand, The Bewlay Brothers), les critiques ne peuvent qu’admirer une diversité qui fait bien souvent défaut à la production rock. Des cordes, du piano, des guitares acoustiques et électriques, des cuivres... l’orchestration assure une assise infaillible à cette poignée de titres. Elle leur offre des nuances, des pleins et des déliés. Il suffit d’écouter les interventions des violons sur Quicksand pour se rendre compte de l’importance des arrangements dans la qualité d’un titre. On peut avoir une idée de la chanson telle que Bowie l’a composé grâce aux premières minutes où il l’interprète seul, accompagné presque uniquement d’une guitare sèche. Jolie, certes... Mais rien en comparaison du potentiel qu’elle révèle grâce aux arrangements. Entre le songwriting et la production, Hunky Dory révolutionne en douceur le monde de la pop. Point d’ostensibles excentricités comme au temps de Sgt Pepper, mais une sorte de perfection formelle, de démonstration par l’exemple du niveau d’excellence accessible par quelques musiciens enfermés dans un studio.
Le seul point noir éventuel de cet album réside dans les paroles. Cela s’est vérifié depuis, David Bowie n’a jamais été un grand parolier et ses histoires d’extra-terrestres, de thin white duke ou d’enquêteur futuriste frôlent bien souvent le ridicule. Mais les textes de Hunky Dory sont sauvés par leur principale faiblesse, c’est-à-dire leur très grande naïveté. De façon très ingénue, il ne compose pas moins de trois chansons rendant hommage à ses idoles. Outre Andy Warhol et Song For Bob Dylan, il écrit également Queen Bitch sous forte influence Velvet Underground. Au dos de la pochette, à côté de ce titre, un petit "Some V.U. White Light returned with thanks... confirme l’hommage. Si la référence au Velvet pouvait surprendre de par la confidentialité dans laquelle évoluait encore le groupe à cette époque, on avouera que les titres sur Dylan et Warhol ont des relents de missives énamourées de fan-boy. Un défaut plus attachant que rédhibitoire...
D’autres obsessions récurrentes se retrouvent sur cet album. La science-fiction apparaît au détour de la superbe Life On Mars et le thème nietzschéen du surhomme, déjà présent sur l’album précédent avec la chanson The Man Who Sold The World et The Supermen, trouve un écho dans Oh ! You Pretty Things (cf. notamment le vers "You gotta make way for the Homo Superior"). Chacun jugera de la pertinence d’inviter Nietzsche et des extra-terrestres dans une pop-song... Toujours est-il que le résultat, à défaut d’être du niveau de son idole Dylan, est amusant et permet aux chansons de ne pas se prendre au sérieux... ce qui serait la pire chose qui puisse arriver à une pop-song.
S’étant fait jeté par Mercury à la sortie de The Man Who Sold The World, Bowie avait enregistré ses chansons sans contrat d’enregistrement. Dès la fin des séances, il s’empresse de faire écouter les bandes à divers labels et c’est finalement RCA qui accepte de signer un contrat pour trois albums, dont le premier sera tout naturellement Hunky Dory. L’album sort fin 71. Il reçoit des critiques favorables et se vend honorablement. Mais Bowie est déjà passé à l’étape suivante. Fort de ses expériences passées, il vient d’avoir une idée... voire mieux, un concept : regrouper la qualité d’écriture de Hunky Dory et le scandale généré par la pochette de The Man Who Sold The World. Pour cela, il garde les musiciens de Hunky Dory (mis à part Rick Wakeman, trop occupé avec Yes) et créé le concept de Ziggy Stardust & The Spiders From Mars. La suite est connue de tous... Mais on pourra noter que cette outrageuse mutation en androgyne extra-terrestre connaîtra un succès tel qu’elle profitera au sage Hunky Dory qui atteindra la 3e place des charts plus de six mois après sa sortie. Un grand album ne reste jamais dans l’ombre très longtemps.
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