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par Frédéric Rieunier le 11 novembre 2008
Paru le 6 juin 1972 (RCA)
« Ziggy Stardust m’a été principalement inspiré par Vince Taylor, un rocker américain des années 60 qui est devenu fou. Un soir, il a renvoyé son groupe et est monté sur scène uniquement vêtu d’un drap blanc. Il a déclaré au public qu’il était Jésus, et puis on l’a emmené. » [1] Dès son origine, c’est à contre-courant qu’évolue Ziggy Stardust. Ce personnage, inventé par David Bowie pour son cinquième album et qui sera un temps son pseudo-alter ego, flirte avec la figure du raté. D’ailleurs, si son prénom est un hommage au frontman des Stooges, Bowie révèle que son patronyme a des racines plus poisseuses. « Ziggy vient d’Iggy Pop et de Stardust, le légendaire Stardust Cowboy, un chanteur country du label Mercury, qui a joué une fois à Laugh In et s’est retiré parce que le public se moquait de lui. » [2] Un héros nommé loser, en somme.
Mais derrière le concept un peu ridicule de ce personnage - qui n’est autre qu’un extra-terrestre descendu sur Terre où il se fait passer pour une star du rock avant de se suicider - se cache un album dont les onze titres sont autant de pépites 24 carats. Tous les disques ne résistent pas à l’épreuve du temps. Celui-ci la remporte avec brio. Les mélodies sont splendides. Les harmonies font preuve d’une telle simplicité qu’elles pénètrent sans mal l’auditeur et le font se cambrer sous de langoureux frissonnements rachidiens. Ainsi en est-il des refrains de Ziggy Stardust et Soul Love, des assauts de Moonage Daydream, des lentes ascensions de Five Years, Lady Stardust et Rock ’N’ Roll Suicide.
Le plus basique des binaires est également au rendez-vous. Vélocement rock’n’roll, Star et Suffragette City pratiquent délicieusement le changement de tonalité avec un doigté qui frise l’insolence. Une chanson retient particulièrement l’attention au milieu de ces sprints retentissants. Est-ce pour sa basse époustouflante ou les bends extatiques lâchés par un Mick Ronson diablement en forme que Hang On to Yourself donne tant envie de headbanger ? Autre hypothèse : le souvenir primitif qu’il évoque et que Platon qualifierait de réminiscence. Derrière le rythme affûté de ce morceau, on devine l’ombre de Summertime Blues, chanté en 1958 par Eddy Cochran. Mais si le titre trouve ses racines plusieurs années en arrières, ses fruits éclosent quelque temps plus tard. Difficile, en effet, de ne pas voir là une certaine ressemblance avec Anarchy In The UK des Sex Pistols et We’re A Happy Family des Ramones. Qui sème le glam récolte le punk.
Toutefois, si belle soit-elle, toute médaille a son revers. Comme musicien, Bowie signe, avec son complice Ronson, des compositions superbes. Comme parolier, il produit des résultats... discutables. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ses textes ne témoignent pas exactement d’un don pour l’écriture à la mesure de ses talents de compositeur. Ce qui poussa le rock critique américain Lester Bangs à les placer en haut du podium des pires paroles jamais écrites [3]. Mais finalement qu’importe ! Son ambition n’est pas littéraire et il le reconnaît lui-même. « J’ai besoin de textes ; j’écris des textes. Je suppose que de nombreux éléments de mon subconscient apparaissent dans le processus, et peut-être révèlent-ils des choses sur moi. Mais à la limite, ce sont presque des textes dont la simple fonction est d’être des textes. Je pourrais tout aussi bien chanter : Quelques mots vont ici, et en voici quelques-uns de plus... » [4]
Cette attention accordée aux notes plus qu’aux mots n’empêchera pas Bowie de voir un avenir radieux s’ouvrir à lui. La voile de l’admiration naissante pour Bowie (élu en 70 « espoir de l’année » par les lecteurs des journaux Disc et Music Echo) va se voir gonflée par la bourrasque que provoque Ziggy Stardust, qui se vend à 80.000 exemplaires au cours de sa première semaine d’exploitation et est considéré dès sa sortie comme le Sgt. Pepper des 70’s [5]. A tel point qu’on parle même de Ziggymania pour désigner les masses de clones de l’extra-terrestre qui viennent assister en liesse à ses concerts. Le chanteur, en bon Narcisse, n’est pas le dernier de ses fans et va jusqu’à nommer le fils qu’il a avec Angela, sa première épouse, Duncan Zowie Haywood Bowie. Zowie, on peut s’en douter - et le père ne le cache pas -, est une contraction de Ziggy et de Bowie, et non la dénomination de quelque singe du Nouveau Monde comme on peut parfois incliner à le penser.
L’imagerie qui auréole Ziggy Stardust n’est pas seulement le fruit d’une fantaisie foutraque. Bien sûr, Bowie aime être original, devancer son époque et conjuguer à l’univers de la musique celui du théâtre et de la mode (point dont les effets catastrophiques se font encore sentir comme le prouvent certains rockers en herbe pour qui poser pour une marque de vêtements ne vient pas titiller un sens de l’honneur béant). « Je ne suis pas un poste de radio, je suis un écran de télévision en couleurs » [6], s’exclame-t-il crânement. C’est aussi le résultat d’un contrôle stratégiquement orchestré par l’artiste et son manager de l’époque, Tony Defries, qui veut que son poulain donne dans la provocation à travers une ambiguïté sexuelle. Dès le lancement de Hunky Dory, au début de l’année 1972, Bowie affiche une homosexualité qui est peut-être alors sincère mais joue avant tout un rôle tactique.
La méthode est payante en terme d’impact mais produit également des effets secondaires non souhaités. Aux Etats-Unis, où il fait une tournée à guichets fermés, le chanteur évite de justesse de se faire rosser, alors qu’il était en train de danser avec un homme. En France, on lui demande lors des conférences de presse : « Quand on parle de vous, faut-il dire il ou elle ? » [7]. Son orientation sexuelle et la mise en scène qu’il lui accorde vont même susciter le mépris de Jacques Brel (« Comment un pédé pareil peut-il croire que je pourrais avoir envie de le voir ? » [8]). La libération sexuelle a encore du chemin à faire.
Le succès de David Bowie n’est pas sans attiser les convoitises. Si Tony Defries veut faire de lui une star, et y parvient, ce n’est pas uniquement pour l’amour de l’art. Sans aller jusqu’à diaboliser le personnage (qui s’est attiré le regard noir de nombre de fans de Bowie depuis), précisons qu’il était fasciné par la figure du colonel Parker, le manager d’Elvis Presley, dont la légende voudrait qu’il ait vendu par correspondance des moineaux peints en jaunes à des amateurs de canaris et présenté des tours de poulets savants, qu’il faisait danser sur un chauffe-plat. Defries ne va pas jusque-là mais parvient tout de même à toucher plus d’argent que Bowie par disque vendu... Une arnaque dont le chanteur finira par se rendre compte et qui le poussera, peu de temps après, à se séparer de son impresario.
Malgré ces démêlés financiers, Bowie n’est pas avare. Dans la foulée de son triomphe, il fait profiter de ses talents à des personnalités aux dons pourtant indéniables. Comme celles du groupe Mott the Hoople, pour qui il écrit et produit All the Young Dudes, qui deviendra leur plus grand tube. Mais surtout comme Lou Reed. Aux côtés de Mick Ronson, Bowie produit Transformer - l’une des plus belles réussites de l’ancien chanteur du Velvet Underground - qui renferme des perles comme Perfect Day, Walk on the Wild Side et Satellite of Love. Avec des résultats plus mitigés, il est également derrière la console pour Raw Power, de son ami Iggy Pop et ses Stooges. Album extraordinairement brut et mordant, mais où sera reproché au producteur un mix trop aigu. A tel point qu’Iggy reprendra les bandes en 1997 pour proposer une nouvelle version aux basses exacerbées.
Parmi ces disques aux formes de jalons de l’histoire de la musique trône The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders From Mars. Un nom d’album dont la prolixité seyait aux vinyles, mais qui irrite au plus haut point les ID tags des MP3 et provoque l’incrédulité presque agacée des novices qui le découvrent. Pourtant, en matière de musique, Bowie le prouve, ce n’est pas la taille qui compte.
[1] Déclaration de David Bowie citée dans la biographie que lui a consacrée Jérôme Soligny, David Bowie, 10 18.
[2] David Bowie - Au-delà du glam, Andrés Ló, Editions La Máscara.
[3] Nicolas Ungemuth, qu’on pourrait difficilement taxer d’anti-bowiste, cite à l’appui (dans Bowie, Librio musique) un essai du défunt rédacteur de Creem.
[4] Bowie, Nicolas Ungemuth, op. cit.
[5] David Bowie, Jérôme Soligny, op. cit.
[6] Idem.
[7] Idem.
[8] Idem.
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