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par Milner le 10 mai 2006
paru le 23 janvier 1976 (EMI)
Bien que certains esprits chagrins et vaguement religieux affirment le contraire, la perfection semble être de ce monde. L’album Station To Station de David Bowie aura suffi à le prouver. En un peu plus d’un an, le dandy londonien a su gagner une zone privilégiée abritée à jamais des flèches empoisonnées de la critique, un paradis du jeu où il nous invite avec le sourire, conscient d’avoir su démontrer aux maisons de disques, aux musiciens et au public, qu’on ne pourrait pas entraver sa route devenue royale. Certains étaient inquiets à l’idée de devoir promouvoir et vendre ce qu’ils considéraient comme la nouvelle folie de Bowie.
Emigré de fortune à Los Angeles depuis déjà deux bonnes années avec ses compères noceurs rock stars (Keith Moon, John Lennon, Ringo Starr, Elton John, Ron Wood, Rod Stewart, John Bonham figurent parmi les plus connus), Bowie comprend en 1975 qu’il est en train de se suicider avec la drogue et que le cœur n’est plus à rester chez l’Oncle Sam pour profiter de son statut de superstar du glam-rock à la sauce Broadway mais plutôt dans l’incapacité à envisager l’avenir. Pendant l’été, il décide de reprendre les choses en main, s’entoure d’une nouvelle équipe de management et d’un nouveau groupe pour enregistrer l’album qui fera le pont entre la musique américaine et la new wave à venir.
Le morceau inaugural éponyme décrivant un voyage de trois jours entre New York et Los Angeles semble être une sorte de rêve lucide, illuminé par la virtuosité de ses compagnons d’enregistrement. Que cette défonce lumineuse lui vienne de sa propre musique ou bien de ses paroles ne change rien, le morceau est imparable du début à la fin. À bien des égards, il préfigure sa trilogie berlinoise et son titre mode de transport rappelle que Kraftwerk n’est jamais bien loin. Golden Years est un morceau discoïde adressé à Angela Barrett, sa femme de l’époque, et que Bowie aurait proposé à Elvis Presley, bien que l’entourage du King refusât poliment. La guitare funky de Carlos Alomar est suffisamment jouissive pour donner envie de taper du pied et est en quelque sorte la suite logique de l’album précédent, Young Americans.
Dans une autre veine, Word On A Wing, titre suivant inspiré du film The Man Who Fell To Earth (1975) dans lequel Bowie tenait le rôle principal, est un magnifique exemple de grâce musicale, de par son introduction au piano et ses changements d’accord à lui dérouler le tapis rouge. Mais surtout, la qualité de son chant est exceptionnelle et emporte le morceau vers des sommets d’émotion et de classe qu’on ne retrouve toujours pas dans un groupe comme Travis (encore qu’il ne doit sûrement pas être le seul groupe dans ce cas là...) car il faut bien le reconnaître, son filet de voix soul a de quoi écrouler les murailles de Jéricho. Mais le chenapan n’est pas encore à bout de souffle, la preuve avec ce TVC15 qui prouve que Bowie a un temps lancé le mouvement glamour à paillettes et c’est tout juste une surprise de distinguer une structure musicale proche des premiers titres de Queen... Stay est une sorte de réponse funky à Golden Years mais les guitares acides et la batterie amènent une nouvelle fois cette composition vers un univers insoupçonné .
Alors que l’album semble tout doucement s’achever, Wild Is The Wind, reprise poignante d’un titre des années 50 en forme de déclaration d’amour au Nouveau Monde, alterne romantisme à outrance et ton grave avec malaise et étrangeté, porte ouverte sur le désenchantement continental à venir... Ayant conquis le droit de ne plus faire que ce qui lui plaît réellement, d’être naturellement lui-même devant les autres (ultime présence d’une identité caméléon sur disque avec The Thin White Duke), sa présence tout au long des six titres de ce projet, procure un magnétisme particulier à Station To Station. La seule question qui se posait alors en 1976 à son sujet, c’était : « Qu’est-ce qu’il va bien pouvoir faire après ça ? ». Trente ans plus tard, force est de constater que Bowie a déjà fait tant de choses que sa carrière commence à ressembler à une version musicale allongée des contes des Mille et une Nuits.
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