Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Béatrice le 3 mai 2010
paru en septembre 1969 (Witchseason/Island)
C’est un de ces albums qui hantent les esprits et réchauffent les cœurs, qui s’écoutent en solitaire, religieusement, qui apaisent et transportent, dans lesquels on se retrouve à chaque écoute un peu plus, et dont la beauté est si évidente qu’elle saisit et subjugue autant la première fois qu’après que le disque a été usé jusqu’à la corde. Une œuvre intemporelle, qui transcende les époques et les genres, pour sembler en même temps inébranlablement classique et incroyablement audacieuse. Celle d’un jeune homme qui se traîne une réputation de timide incurable, de romantique solitaire, de poète dépressif consumé par son génie, et qui ne s’est pas gêné pour livrer, en quatre ans à peine, trois ouvrages finement tissés d’une dentelle d’arpèges et d’un voile de poésie mélancolique, et enveloppés d’arrangements soyeux. Fives Leaves Left est le premier de la trilogie, le plus paisible aussi peut-être. En dix chansons, il constitue un remarquable recueil de poésie automnale, en forme de méditation contemplative devant la beauté de la nature, dans lequel la guitare rappelle le son de la pluie qui tombe doucement sur les dernières feuilles, la voix coule comme une rivière, et les cordes soufflent comme une brise à la fois fraîche et réconfortante. Comme tout ce que touche Nick Drake, la magie y est presque tangible ; le monde qu’il dépeint dans ses textes - dont on ne sait s’ils revêtent un caractère purement poétique ou se couvrent d’un discret manteau mystique, apparaît à la fois familier et totalement inconnu, comme transformé par un pouvoir mystérieux qu’aurait le jeune homme et qui semble toujours opérer aussi puissamment.
Il a souvent été présenté comme l’album des dimanches matins pluvieux ou des lendemains de rupture, le joyaux de folk dépressif qui scintille au milieu d’une discographie. Certes, il est un peu de tout cela, mais il est surtout bien plus. Bien plus qu’une simple collection de folk-songs désenchantées - d’ailleurs, un disque qui emprunte autant au classique, au jazz, au blues, peut-il vraiment être considéré comme un simple album de folk ?
Bien plus qu’un compagnon des coups de cafard, bien plus que tout ce qu’on pourra jamais dire qu’il est. Mais ce qui est certain, c’est qu’il est loin, très loin d’être un album d’une tristesse effarante ; bien au contraire, c’est un album lumineux, rassurant, apaisant, enchanteur, et qui, bien que drapé dans une douce mélancolie, ne sombre jamais dans le désespoir, même lorsqu’il chante sur Saturday’s Sun l’implacabilité du temps qui s’envole, couvrant le soleil d’hier de nuages lourds de pluie, ou sur Fruit Tree les aléas du destin :
"Safe in the wombOf an everlasting nightYou find the darkness canGive the brightest light..."
L’album est peuplé de vagabonds, d’ermites, tous un peu marginaux, mais qui semblent parfaitement en phase avec leur univers, que ce soit le Jacomo ou le Jeremy dont Three Hours narre l’errance, le jeune homme vivant seul dans une cabane, à côté d’une immense maison où habite la jeune fille qui hante ses rêves de Man In A Shed, ou Mary Jane qui voyage parmi les étoiles et s’envole sous la pluie dans The Thoughts Of Mary Jane. Et bien sûr, l’Homme de la Rivière, à qui est consacré une des chansons les plus emblématiques de Nick Drake, concentré de fragilité et de magie, invitation à la méditation et à la contemplation qui captive, hypnotise, et finalement perd l’auditeur dans cette étrange boucle d’accords jouée en 5/4 et dans ces dédales de cordes envoûtantes...
Difficilement descriptible mais immanquablement bouleversant et attachant, cet album est loin de l’idée qu’on s’en fait souvent, tout comme son auteur est loin du portrait de génie suicidaire qu’on trace volontiers de lui. Comme toutes les œuvres de Nick Drake, il reste, quand on le détache de tout élément ayant contribué au mythe ou la légende, tout aussi vivace, magnifique et chaleureux, et on a toujours l’impression, en l’écoutant, d’avoir surpris un musicien particulièrement inspiré livrant ses états d’âme dans la pièce voisine. Ni véritablement triste, ni véritablement gai, il a le charme du premier rayon printanier qui perce à travers les nuages de l’aube, la fraîcheur de la bruine qui apaise le crépuscule, et la douce amertume de la brise qui emporte les cinq dernières feuilles de l’automne...
Vos commentaires
# Le 11 novembre 2017 à 08:42, par BOLLEROT En réponse à : Five Leaves Left
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |