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mercredi 15 avril 2015
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par Milner le 8 août 2006
paru le 14 octobre 1977 (RCA)
Alors qu’il lui avait fallu trois bonnes années à l’aube de la décennie 70 pour se forger un style à part entière, Bowie n’aura eu besoin que de quelques mois pour imposer la new wave au monde entier, aidé en cela de Brian Eno, génie fou qui co-signe quatre titres sur dix mais qui est également devenu le complément idéal du Thin White Duke. En effet, alors que l’un contrebalance le côté brouillon de l’autre, ce dernier assouplit la tendance de l’autre à la robotisation systématique, particulièrement évidente dans le premier volume de ses aventures en terre germanique que représente Low, sorti dix mois auparavant. Les vagues de synthétiseurs s’écroulent pendant que la section rythmique (rappel : Dennis Davis, batterie ; Carlos Alomar, guitare rythmique et George Murray à la basse) assure un swing permanent, laissant libre cours à son imagination débordante et accouche d’un disque absolument cohérent qui semble tenir du hasard à la première écoute.
Pourtant, dès Beauty And The Beast, l’impression d’être happé à mesure que le morceau rentre dans la démesure est flagrante. Le son est incroyablement dense et les nombreux échantillons soigneusement traités par les machines de Eno donnent le vertige. Moins optimiste, Joe The Lion est un excellent titre de hard-rock qui évoque l’univers des bars berlinois. Tant bien que mal, si on tend l’oreille plus près encore des haut-parleurs, on retrouve finalement le chanteur que l’on connaissait déjà, c’est à dire l’esthète de l’ennui (Sons Of The Silent Age) ou l’apprenti-sorcier en électronique (Black Out). Tous ces titres allient la rigueur rythmique du R’n’B et le chaos électrique de Eno avec une hystérie dans le chant que l’on n’avait plus connu depuis Station To Station.
Rejouant le coup des deux faces, deux ambiances, l’Anglais débute sur une farce militaire (V-2 Schneider) en forme d’hommage à Florian Schneider, leader du groupe teuton Kraftwerk qui venait de donner à Bowie sa vision de l’Europe sur le Trans-Europe Express. Un temps envisagé, la collaboration entre ces deux-là n’aboutira pas. Que ce titre puisse rappeler le bombardement de Londres par les Nazis ne serait pas impossible ! Dans un climat de tension palpable, l’un des deux grands moments du disque est en fait la trilogie Sense Of Doubt, Moss Garden et Neuköln. Les sons s’imbriquent avec une précision surréelle, un peu comme un puzzle qui se serait assemblé tout seul. La glaciale évocation d’un film de l’ère expressionniste s’estompe au moment où des claviers semblent se réveiller, telle la brume matinale cédant sa place à la vie qui s’éveille, représentée en cela par l’emploi d’un koto, instrument japonais que Bowie aurait acheté dans une boutique de souvenirs de Tokyo. La dernière partie est un brusque retour à la réalité, celle du quartier turc de Berlin où la solitude et l’agonie que peuvent ressentir les immigrés résonnent grâce à un motif de saxophone particulièrement touchant.
La palette de climats et de sensations que nous propose d’écouter le dandy britannique irradie les couleurs des plus lointaines rêveries. Les parfums de l’Orient se mêlent aux images européennes et achèvent le voyage sur une note plus conventionnelle, ce que représente The Secret Life Of Arabia. En bien des points, si un morceau rassemble à lui seul le thème général de cet album décalé, c’est bien la chanson éponyme qui est à mettre à l’honneur : sur une mélodie envoûtante et désespérée, Bowie signe l’un de ses chants les plus poignants, d’une voix égale, presque monocorde, faisant passer Gainsbourg pour un chanteur de variétés (ce qu’il était, après tout). Les splendides lignes de guitares de Robert Fripp (guitariste de King Crimson présent sur l’album comme session man de luxe) donnent l’impression de se tourner vers des lendemains qui chantent puis, soudain, la machine s’emballe, Bowie tourne son chant à la passion et atteint son paroxysme pour un final grandiose avant de redescendre, façon retour au quotidien.
S’il a été dit que Tony Visconti, co-producteur de l’ensemble et parfait compagnon de route, aurait inspiré cette chanson, nul doute que l’album « Heroes » représentait l’achèvement de l’année 1977, année faste qui l’aura vu travailler sur quatre projets différents, tous devenus désormais des classiques de la pop. Un rythme qu’aucune star des années 00 ne pourrait rêver d’imiter.
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