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par Brice Tollemer le 20 octobre 2009
Paru le 17 octobre 2000 (American Recordings)
L’histoire d’une vie, les soubresauts de l’existence, la mise en abyme de l’âme. L’ascension vers la Gloire, puis la descente aux Enfers. Le Purgatoire et enfin la Rédemption. Telle est l’Histoire de Johnny Cash. Il a traversé les décennies comme d’autres franchissent des sommets perdus et enfouis sous les neiges éternelles. Il a conté les aventures et les péripéties de ceux qui n’avaient plus rien, ou si peu, de cette Amérique profonde et rurale, mais aussi de ceux qui sautaient de train en train pour échapper à tout, à tort ou à raison. Il a enfin lutté contre ses démons qui ont failli l’emmener dans les tréfonds de la drogue et de l’alcool. Sa carrière aurait pu très bien pu s’arrêter à la fin des années soixante-dix, sa Légende était ainsi déjà faite. D’ailleurs, les eighties sont pour lui assez sombres et inadéquates. Et c’est en 1993 que sa carrière va prendre un ultime tournant. Johnny Cash pose en effet sa voix sur un morceau de U2, "The Wanderer", présent sur l’album Zooropa. Il ne le sait pas encore, mais il vient d’entamer une cure de jouvence qui lui sied à merveille. Cette participation lui permet de toucher une audience plus jeune, qui commence à se plonger progressivement dans la longue carrière du Man In Black.
Libre de tout contrat le liant à une maison de disque, il se voit par la suite approcher par le producteur Rick Rubin, qui officiait auparavant plutôt pour des artistes comme Run-DMC, les Red Hot Chili Peppers, les Beastie Boys ou bien encore Slayer, et qui le fait signer au sein de son label American Recordings. "Cela semblait juste être ce qu’il fallait faire, dira plus tard le Californien. J’avais réfléchi à qui était vraiment grand mais ne faisait pas vraiment de grands disques ; quels grands artistes n’étaient pas à leur vraie place. Et Johnny était le premier et le plus grand à me venir à l’esprit. Un personnage unique, une sorte de force de la nature inégalée. Quelqu’un qui ne rentrait dans aucun moule – quoi qu’il fasse, c’était toujours Johnny Cash – et qui ne semblait pas à ce moment-là inspiré pour produire son meilleur travail" [1]. C’est le début d’une collaboration qui s’avérera être une réussite d’un niveau exceptionnel. Le génie de Rubin consiste alors à proposer à Cash des reprises de chansons contemporaines, a priori assez éloignées de l’univers country-folk du chanteur. C’est notamment le cas en 1996, quand il reprend "Rusty Cage" de Soundgarden pour le compte d’Unchained.
Solitary Man est ainsi le troisième épisode de la série des American Recordings. Et sa sortie en 2000 intervient dans un contexte particulier. On a en effet diagnostiqué à Cash en 1997 une forme incurable de la maladie de Parkinson, appelé syndrome de Shy-Drager. Il annule par conséquent sa tournée, avant d’être hospitalisé en 1998, victime d’une pneumonie. C’est donc peu de dire que l’ambiance qui entoure cet American III pèse par son aspect sombre et envoutant.
Well I won’t back down, no I won’t back downYou can stand me up at the gates of HellBut I won’t back down
En reprenant dès le début du disque cette chanson de Tom Petty, tirée de son album sorti dix années plus tôt, Full Moon Fever, on sent immédiatement ce à quoi on va faire face. A Johnny Cash, à sa fin prochaine, au bilan de sa vie. Non seulement il se réapproprie les compositions, mais il arrive à leur donner une nouvelle vie, en leur insufflant une intensité et une profondeur d’une sincérité incroyable. L’ensemble est plus qu’homogène, le choix des morceaux est complètement cohérent. C’est le cas pour "Solitary Man", originellement écrite par Neil Diamond en 1966. Cela reste toujours vrai pour One, devant laquelle on ne peut que s’incliner, terrassée par la puissance de cette reprise de U2. Mais c’est véritablement par la suite que Cash va donner à cet American III ses lettres de noblesse. Il interprète tout d’abord avec son auteur "I See A Darkness", chanson que Bonnie ’Prince’ Billy avait écrite pour l’album du même nom en 1999.
Well I hope that someday buddyWe’ll have peace in our livesTogether or apartAlone or with our wives
Puis arrive dans la foulée "The Mercy Seat", composée par Nick Cave en 1988 à l’époque de Tender Pray et qui conte l’histoire d’un homme condamné à la chaise électrique – "the mercy seat", qui évoque également le Trône de Dieu dans l’Ancien Testament. Homme qui clame à la fin de la chanson qu’il « n’a pas peur de mourir »… Incantation directe de Cash à Dieu. C’est toute sa vie que nous avons dans ce disque et qui se conclut par un "Wayfaring Stranger" d’une étonnante quiétude, chant traditionnel de la folk, qui narre les plaintes de l’âme au cours du voyage de la Vie et qui ne trouve le repos qu’une fois à la maison, au Paradis, en compagnie de ceux qu’elle a connus et aimés…
Après cela, Johnny Cash sortira deux autres American Recordings, avant de s’éteindre le 12 septembre 2003, quatre mois à peine après la mort de sa femme. Quarante années de carrière qui s’achèvent tout simplement par cette série exceptionnelle d’albums, dont Solitary Man constitue avec son successeur The Man Comes Around les œuvres peut-être les plus emblématiques.
[1] Rolling Stone, juillet 2009
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