Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Milner le 23 mars 2005
paru en septembre 1967 (Elektra / Warner)
1969, le supergroupe Crosby, Stills And Nash publie l’éponyme album FM de l’été qui cartonne une bonne partie de l’année. Qui peut honnêtement écouter de nos jours les inepties que sont Guinnevere ou Lady Of The Island sans ricaner ? Plus grand monde, sans doute... Ce qu’il est bon de rappeler au sujet de ce groupe, c’est qu’ils n’étaient que trois chanteurs-songwriters qui avaient quitté leurs groupes et formé une triade informelle au sein de laquelle chacun pouvait enregistrer ses morceaux. La figure du chanteur-songwriter s’accompagnant lui-même n’avait jamais vraiment disparu : c’était juste que les groupes qui s’étaient formés au début de l’Invasion Britannique lui faisaient de l’ombre.
Il est significatif qu’un jeune chanteur folk comme Tim Buckley ait dû réactiver une tradition ancienne en se rendant à New York pour trouver un début de reconnaissance en 1966. Buckley se produisait dans la région de sa ville natale Anheim et écrivait des chansons avec le poète Larry Beckett depuis qu’il avait quitté le lycée, mais ce fut seulement lorsque Herb Cohen, le manager des Mothers Of Invention, emmena le troubadour aux cheveux ébouriffés à Greenwich Village que Jac Holzman le signa chez Elektra.
Une fois découvert ce qu’il y a à l’intérieur de ce disque, il est aisé de comprendre que son auteur n’ait pas voulu le laisser sortir avant d’avoir atteint exactement à ce qu’il désirait, et qu’il faut bien appeler ici la perfection. Goodbye And Hello, deuxième album de Tim Buckley, est un des albums les plus accomplis, les plus pleins, les plus stimulants qu’on ait jamais enregistrés. Tellement gigantesque qu’une personne lambda ne sait pas par quel bout commencer pour en parler. Pourtant, il faudra bien essayer de percer la dimension de ce génie. Là, le chanteur abandonnait ses frusques de troubadour pour laisser son chant s’envoler tandis que l’instrumentation s’enrichissait considérablement. Plus mélancolique et de plus en plus détaché des structures traditionnelles de la chanson que son précédent album, il laisse libre court à sa folie créatrice et à sa démesure.
Cet artiste prenait des risques à tous les niveaux : mélodiques, harmoniques et rythmiques. Comme un jazzman, il ne jouait d’ailleurs jamais deux fois un morceau de la même façon. Impossible de rattacher Buckley à quoi que ce soit d’existant, à l’époque et encore moins aujourd’hui : il inventait ici une espèce de folk psychédélique où le vibraphone, les congas du batteur CC Carter et la guitare sinueuse de Lee Underwood se posaient délicatement sur un tapis de guitares douze-cordes jouées par Tim, avec ce son qui n’appartenait qu’à lui.
L’album abandonnait ce que son guitariste appelait « son babillage de poète enfantin aux yeux de biche sur les cœurs en papier et les cadeaux de Saint-Valentin » et se rapprochait davantage de l’esprit bizarre des Doors, signés sur le même label que Buckley. Malgré la préciosité des paroles - écrites par Beckett et Buckley -, des chansons comme Hallucinations et Pleasant Street ne parlaient que de la descente suivant l’euphorie grisante du psychédélisme. De plus, sur les six minutes de I Never Asked To Be Your Mountain, le contre-ténor pur de Buckley faisait place à la voix « jazz » cassée et déclamatoire qui s’épanouirait sur l’album suivant Happy/Sad (1969) et dominerait les albums courageusement expérimentaux qu’il enregistra plus tard jusqu’à sa mort en 1975 pour Straight Records, le label de Frank Zappa. Ce morceau voyant l’artiste s’adresser à sa femme en se dégageant des responsabilités inhérentes à la récente naissance de leur fils, Jeff, est plus que bouleversant lorsqu’on connaît la suite...
Morceaux quasi moyenâgeux (Knight-Errant, Goodbye And Hello, pièce magistrale de plus de huit minutes enluminée de cordes et cuivres, une vraie symphonie), valses (Carnival Song et son orgue de barbarie, Once I Was) ou de jazz (Morning Glory), il n’y a strictement rien à jeter au cours de ces 42 minutes de pure beauté. La raison aurait dû imposer que Phil Collins donne dix ans de sa vie pour avoir écrit voire chanté No Man Can Find The War. Trop doué, trop fort, trop haut, ce disque est à recommander à tous les Starsailor et Keane du monde n’ayant jamais su dépasser le souci de soi pour devenir l’otage de l’autre.
A méditer en restant éveillé...
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |