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par Aurélien Noyer le 15 juillet 2008
Paru le 12 janvier 1976 (RCA Victor)
The Outlaws... Les Hors-la-loi alias Waylon Jennings, Willie Nelson, Jessi Colter et Tompall Glaser. Nous ne parlons pas ici d’un groupe, mais des plus éminents représentants d’un courant musical d’autant plus déterminant pour la musique populaire américaine que leurs noms sont paradoxalement tombés dans un oubli relatif (voire dans un oubli absolu en France). Et pour cause, ces quatre larrons jouaient de la country, un genre qui, pour beaucoup, se résume à une bande de débiles en costume de cowboy sortis d’un mauvais carnaval sautillant en cadence sur une musique dont chaque mesure remet en question la théorie de l’évolution . Mais ça, c’est le cliché, la country version Nashville, bloquée dans un style ridicule depuis les années 50. Or c’est justement cette country-là que les Outlaws ont tenté de renverser au travers de quelques albums superbes dont la quintessence se retrouve dans la compilation Wanted ! The Outlaws.
Le mouvement outlaw est donc né au début des années 70, à une époque où, si la country n’était pas dans le piètre état qu’elle connaît actuellement, elle sonnait déjà comme un produit pré-fabriqué, sortant à la chaine des « ateliers de montage » de producteurs tous-puissants qui décidaient quel chanteur interprèterait quelle chanson avec quels arrangements assurés par quels musiciens. Pourtant la fin des années 60 avait connu un regain d’intérêt du monde de la pop envers la country. Bob Dylan et The Band s’y étaient intéressés pour les albums John Wesley Harding, Nashville Skyline, Music From The Big Pink ou pour les Basement Tapes. Gram Parsons avait non seulement influencé les Stones sur leurs albums Let It Bleed et Sticky Fingers mais aussi inventé le country-rock avec les Byrds de Sweetheart Of The Rodeo et avec ses propres albums avec les Flying Burritos Brothers ou en solo. Jerry Garcia, leader de Grateful Dead, avait provisoirement délaissé ses visions lysergiques pour un album bluegrass nommé Workingman’s Dead, etc. Néanmoins l’industrie de Nashville s’était contentée de hausser les épaules en signe de mépris envers ces énergumènes et avait continué comme si de rien n’était.
La country semblait donc n’être destinée qu’à des ploucs du Tennessee se prenant pour des cowboys du dimanche... jusqu’à Waylon Jennings. Au début des années 70, ce dernier était depuis longtemps dans le système Nashville et s’il avait eu quelques hits (notamment avec le producteur Chet Atkins), il s’y sentait à l’étroit, frustré de ne pas pouvoir produire lui-même ses albums. C’est donc sans hésitation qu’il accepta lorsque Neil Reshen, un manager de New York lui proposa de renégocier le contrat le liant son label pour gagner plus d’indépendance. Au passage, il convainquit son vieil ami Willie Nelson de prendre également Neil Reshen comme manager. Ce faisant, ils lancèrent un mouvement qui allait révolutionner la country. Alors que Reshen renégociait le contrat de Jennings, ce dernier venait d’enregistrer un disque que, peu satisfait du résultat, il refusait de sortir. Toutefois, le label n’eut pas tant de scrupules et le succès du disque donna ironiquement son nom au mouvement que le chanteur allait initier : l’album s’appelait Ladies Love Outlaws, ce fut donc le commencement de la country outlaw.
Rapidement, d’autres artistes se joignirent à Jennings et Nelson. Leurs points communs : un rejet de la country ultra-policée de Nashville, une fascination pour les cowboys, pour la violence, pour les honky-tonks [1], pour tout ce qui touchait aux mythes de l’Ouest américain. Leurs héros : Johnny Cash bien sûr (Waylon Jennings étant un vieil ami de Cash), mais surtout Hank Williams, mythe de la country, songwriter exceptionnel dont les excès l’avaient poussé à être rejeté par l’establishment de Nashville. Leurs fringues : rien à voir avec les costumes à paillettes kitschissimes des chanteurs de Nashville, imaginez plutôt un croisement entre un hippie (pour les cheveux longs) et le personnage de Clint Eastwood dans Le Bon, La Brute et Le Truand.
Mais si leurs tenues tranchaient nettement avec les habituels vêtements country, leur musique n’était pas moins une petite révolution. Contrairement aux efforts de Gram Parsons, ce n’était nullement une tentative d’hybrider la country traditionnelle avec le rock ; pas plus que leur ambition était de moderniser la country music. Au contraire, leur but était de revenir aux racines de cette musique, à une forme d’authentique musique de garçon vacher. Le pari se révèlera payant puisqu’en choisissant des arrangements sobres aux antipodes des productions surchargées de violons à la mélasse made in Nashville, la country outlaw s’inscrit dans une tradition musicale intemporelle, dépassant même le cadre restrictif de la country stricto sensu pour rejoindre le folk au rang des grandes musiques blanches américaines. D’ailleurs le public ne s’y trompa pas puisque libérés des carcans de Nashville, ses représentants connurent un succès assez important qui culmina avec cette compilation publiée début 1976 et qui fut le premier disque de country à se vendre à plus d’un million d’exemplaires.
Elaborée par Waylon Jennings, elle ne brille pourtant pas par son originalité (elle ne contient aucun morceau original) ni par son exhaustivité (ne représentant que quatre artistes d’un mouvement bien plus important) mais sa concision dans le choix des morceaux permet néanmoins de découvrir et de saisir parfaitement l’esprit de cette musique. En outre, le fait de ne regrouper que quatre artistes permet d’éviter les querelles d’érudits sur l’appartenance éventuelle de tel ou tel chanteur au mouvement. Commençant par deux chansons de Waylon Jennings, My Heroes Have Always Been Cowboys et Honky Tonk Heroes, elle frappe le néophyte par la rudesse du chant de Jennings, l’efficacité des arrangements et les titres qui sont autant de profession de foi, de preuves que le chanteur se range du côté des cowboys bourrés croisés au coin du comptoir d’un bouge de quartier. Vient ensuite Jessi Colter, madame Jennings à la ville, qui rappellera à l’auditeur qu’une chanteuse country n’est pas qu’une grosse vache à routier ricain façon Dolly Parton mais surtout une voix formidable, une interprète qui n’a rien à envier aux plus belles voix de la soul. Si Willie Nelson, avec son timbre un peu plus nasillard, se révèle un peu plus goguenard qu’émouvant sur la très drôle et désabusée Me & Paul, Tompall Glaser lorgne un peu plus vers une country proche du rock’n’roll de Jerry Lee Lewis avec T For Texas. Mais alors qu’on croit comprendre chacun des chanteurs, le disque nous présente de nouvelles faces de leur talent : la ballade You Left A Long, Long Time Ago illustre un Willie Nelson magistral puis féroce pour le duo avec Waylon Jennings sur Nowhere Road. Même les arrangements surprennent tout au long de l’album, parfois respectant à la lettre les canons de la country (guitare, contrebasse, lap-steel et violon), parfois se rapprochant du rock’n’roll via une guitare saturée ou carrément de la pop avec des chœurs. La seule constance se situe finalement dans la qualité des chansons et de l’interprétation. Wanted ! The Outlaws marque ainsi l’apogée du mouvement outlaw qui ne survivra pas aux années 70, chacun des ses protagonistes évoluant naturellement dans diverses directions.
Pourtant, son influence sur la musique américaine sera décisive. En permettant à la country de redevenir un genre musicalement pertinent, il aura permis aux générations suivantes de se réapproprier à leur tour une musique qui aurait été, sans cela, limitée aux clichés de Nashville. Ainsi, des artistes aussi variés que Violent Femmes, Hank Williams III, Townes Van Zandt, Steve Earle, Calexico, Bonnie ’Prince’ Billy ou même Two Gallants n’auraient sans doute pas sonné de la même façon sans l’influence outlaw.
[1] Bars country mal famés.
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