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par Milner le 17 mai 2010
La chanson-titre du douzième album studio du plus célèbre dandy anglais est considérée comme l’une des meilleures de Bowie. Comme le raconte Tony Visconti, bassiste et producteur de Bowie mais également ami de longue date, ce classique du rock a été produit à partir d’une folle improvisation et d’une brillante technique de studio :
« David était toujours prêt à essayer de nouvelles techniques d’enregistrement. Dans un studio où il y avait une telle résonance, il est courant d’enfermer le chanteur entre quatre cloisons amovibles. Au contraire, j’ai voulu utiliser l’écho. Alors j’ai installé trois micros avec des « portes » électroniques dessus. Elles ne s’ouvraient que si David chantait au-dessus d’un certain volume. Il a fallu à peu près une demi-heure d’essais pendant lesquels David passait du murmure au cri, mais tout a marché super bien quand j’ai trouvé le bon niveau. La réverb qu’on entend sur « Heroes » est naturelle mais filtrée par les « portes ». On a fait les paroles en même temps que la voix. Il a écrit ou modifié un couplet précédemment écrit en le chantant, me demandant d’arrêter la machine le temps qu’il change une phrase ou deux. Au bout de deux heures, on avait des paroles et un enregistrement vocal définitifs, qui s’étaient faits presque simultanément.
Après, David et moi on a chanté les chœurs, en améliorant certains vers et en y répondant. On peut entendre mon charmant accent de Brooklyn dans des passages comme ’I remember’ et ’By The Wall’. Il a été écrit par erreur que Brian Eno et David avaient chanté l’accompagnement de « Heroes », mais il est clairement dit sur l’album qu’ils ont été faits par David, moi-même, et quelquefois Antonia Maas, une chanteuse qu’on avait rencontrée dans un club à Berlin.Antonia et moi on se plaisait, et cet après-midi-là, on a laissé David seul, afin qu’il soit tranquille pour écrire les paroles. On s’est arrêtés près du Mur et on s’est embrassés. David nous a vus depuis la fenêtre de la salle de mixage et ça lui a inspiré un couplet. »
Une autre version bien différente circule quant à l’origine du titre. Durant son séjour à Berlin, Bowie avait eu l’occasion de visiter le Brücke-Museum à plusieurs reprises et une pièce de la collection retint alors particulièrement son attention. Otto Mueller, l’un des peintres préférés de l’Anglais à l’époque se trouvait exposé et son oeuvre de 1916 baptisée Lovers Between Garden Walls, où deux amoureux s’embrassent aux abords du Mur, fut la source d’inspiration pour les couplets.
« Heroes » est le River Deep - Mountain High de Bowie. C’est un énorme mur du son ; un bloc de son monotone, répétitif, menaçant, mécanique, invincible. On imagine Bowie debout dans la décadence froide des studios Hansa, faisant voler en éclats les « portes » des micros de Visconti pour produire l’un de ses meilleurs moments. Les bribes de répétition dramatique - « I, I will be King » - s’inscrivent non pas dans la tradition pop mais de celle des grandes ballades de variétés (rappelant le « I, I who have nothing » de Shirley Bassey).
L’histoire d’amour impossible entre un couple et l’isolation qu’évoque le Mur sont bien sûr évidents car l’imagerie du Mur du Berlin domine « Heroes ». Pour Bowie, le Mur n’était pas seulement un symbole d’isolation, ni même de tyrannie ou de division politique. Il représentait aussi sa vie passée en tant qu’idole du rock. De l’autre côté se trouvait un mode de vie nouveau, moins affecté par la dépendance, moins obsessionnel. Quand il chantait « We can be heroes, just for one day », il reconnaissait que l’avenir ne lui appartenait plus. Il appartenait à tous. Exactement comme Warhol avait prédit un quart d’heure de gloire à tous dans les années 60, Bowie, comme le punk rock lui-même, annonçait un avenir d’héroïsme pour tous, pas seulement pour une élite. En octobre 1977, Bowie chantait « Heroes » à Top Of The Pops (pour sa deuxième apparition live à l’émission, bizarrement), et le groupe The Stranglers nous rappelait qu’il n’y avait plus de héros avec la parution de son deuxième album No More Heroes.
A ce titre, « Heroes » (dans sa version raccourcie pour les radios) demeure l’un des titres les plus importants de ses prestations scéniques, tellement puissant que certains groupes s’en rappelleront au moment de rentrer en studio. Que ce soit Alfie Davison et son Love Is Serious Business, The Jesus And Mary Chain pour Darklands, Suede avec Trash ou, comble de l’ironie, Bowie lui-même pour les titres Boys Keep Swinging et Teenage Wildlife, tous doivent une dette à ce morceau déchirant de simplicité et gorgé d’émotion.
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